Goldfinger – Guy Hamilton
Goldfinger. 1964Origine : Royaume-Uni
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Cette fois, ça y est ! Avec Goldfinger, troisième film de la série, James Bond devient le véritable James Bond, une véritable icône populaire, et ses films prennent une envergure supérieure, tant artistiquement que commercialement. Si la plupart des ingrédients avaient déjà été posés dans les deux premiers films, Goldfinger vient définitivement en faire des ingrédients incontournables, rajoutant au passage l’indispensable visite dans les locaux de Q (où les gadgets sont créés), la vodka-martini au shaker (et pas à la cuillière), ainsi que l’Aston Martin “customisée” pour l’agent secret. Des éléments qui peuvent sembler être des détails, mais qui témoignent de l’orientation définitive de l’univers 007 : un monde radicalement différent du quotidien du tourneur-fraiseur ardennais, un monde luxueux, snob jusqu’à atteindre une certaine forme d’humour typiquement britannique, dans lequel évolue des hommes distingués et violents ainsi que des femmes fatales à la merci de ces hommes toujours triomphants. Sean Connery, avec toute la classe qui le caractérisait dans sa jeunesse (et qui se manifeste également avec son vieil âge malgré des rôles parfois indignes), est définitivement le James Bond parfait. Le prologue du film, monument du genre, résume ainsi tout le personnage : un dandy capable de faire exploser un complexe industriel en toute discrétion sans perdre son standing, un homme à femmes misogyne, un professionnel inventif ne perdant jamais son flegme… Très peu réalistes comparé à Bons baisers de Russie, Goldfinger et son James Bond sont quelque part l’aboutissement cinématographique du style anglais bon chic bon genre des années 60, avec des séries télévisées comme Chapeau melon et bottes de cuir ou encore Le Saint. Des séries aux héros atypiques parvenant à faire croire en la grandeur des serviteurs de Sa Majesté, là où la réalité plaçait le Royaume-Uni au rang humiliant de subalterne de l’ancienne colonnie américaine. Avec de telles fictions, le Royaume-Uni pouvait dès lors s’imaginer encore en superpuissance mondiale. Une énorme prétention, certes, mais pourtant non dépourvue d’une subtile auto-dérision donnant tout leur charme aux productions de cette époque. Si les James Bond de l’ère Sean Connery apparaissent à ce point supérieurs à leurs successeurs, il y a fort à parier qu’ils le doivent en partie à leur époque de réalisation, inimitable.
Mais revenons à Goldfinger. James Bond doit y combattre un ennemi à sa mesure : Auric Goldfinger (Gert Fröbe), richissime industriel britannique aux colossales réserves d’or, suspecté de trafic mondial. Bond découvrira que non seulement Goldinger utilise son or de manière illégale, mais qu’en plus il prépare un casse de grande ampleur : celui de Fort Knox, réserve d’or des Etats-Unis, réputée imprenable. Un tel “vilain” est l’antagoniste parfait pour l’agent 007 : bien que n’appartenant pas à une association comme le SPECTRE, bien qu’étant physiquement assez quelconque, Auric Goldfinger, véritable Midas moderne, s’inscrit dans la tradition des mégalomanes aussi tordus que prétentieux. Ici, sa fascination pour tout ce qui est doré l’entraîne à tous les excès : au jeu, au cadre de vie et surtout au crime. Les défis qu’il lance à Bond (ou que celui-ci lui lance) prennent des allures de provocation, allant au départ de la simple triche au golf au casse de Fort Knox. Entre les deux, Goldfinger placera sur le chemin de sa nemesis des obstacles parmis les plus reconnus de la saga, à commencer par le meurtre de l’ex copine de Goldfinger partie dans le lit de Bond, assassinée en étant recouverte d’une peinture d’or. Une image visuellement mémorable et la signature d’un méchant au moins aussi arrogant que l’agent 007. La suite incluera de la haute technologie (l’Aston Martin dans toute sa diversité), un vilain homme de main indestructible aux méthodes aussi brutales que sarcastiques (Oddjob et son chapeau-couperet) et une James Bond Girl radicale, Pussy Galore (à la tête d’un “flying circus” féminin), dont l’homosexualité latente représente à elle seule un défi à relever pour 007. Le film aurait très bien pu sombrer dans l’absurde et dans l’humour facile (comme le feront plus tard les films de Roger Moore), mais le traitement que lui réserve Guy Hamilton (remplaçant au pied levé Terence Young), tout en subtilité britannique, le place dans une position idéale, à mi-chemin entre l’espionnage réaliste et la comédie.
Prétentieux, le film l’est assurément, avec son héros imbattable, son méchant dément et ses personnages secondaires hauts en couleurs. Mais c’est justement cette audace qui lui donne toute son identité et qui forge l’aspect innovant d’un tel film. Un spectacle de haute volée venant mettre à bas et surtout avec style la sempiternelle rengaine du “divertissement sans prétention”. Goldfinger est d’une irrésistible suffisance, qui pour ne rien gâcher s’appuie sur le travail musical tout aussi exubérant de John Barry : l’une des plus belle chanson-titre de toute la saga (interprétée par Shirley Bassey) et l’affirmation des thèmes musicaux exécutés à grands fracas par une horde de cuivres déchaînés, pour un rendu comptant aujourd’hui parmi les musiques de films les plus marquantes et les plus recopiées / parodiées.