CinémaHorreur

Frissons – David Cronenberg

Shivers. 1975.

Origine : États-Unis
Genre : Horreur
Réalisation : David Cronenberg
Avec : Paul Hampton, Lynn Lowry, Alan Migicovsky, Barbara Steele…

Au sortir d’une période de cinq ans pendant laquelle il s’est consacré à la télévision, le canadien David Cronenberg croise la route de Ivan Reitman, qui lui permet de réaliser son premier film depuis deux métrages plus ou moins longs, Stereo (1969) et Crimes of the Future (1970). Oui, le Ivan Reitman à qui l’ont doit ces deux chefs d’oeuvres que sont les SOS Fantômes. Une rencontre qui semble aujourd’hui improbable, quand l’on sait que le Cronenberg des débuts était considéré comme un réalisateur gore et malsain, alors que Reitman s’est toujours fait remarquer par ses comédies (à part les Ghostbusters, il a notamment fait des choses comme Arrête de ramer t’es sur le sable, Junior ou Evolution). Mais toujours est-il que les faits sont là : la carrière cinématographique de Cronenberg a démarré avec l’aide d’Ivan Reitman, dans une industrie canadienne coincée entre une politique assez prude et l’ombre que lui faisait Hollywood, et avec un film au combien annonciateur des préoccupations du génial réalisateur. Pourtant ce premier film, si il est indéniablement empreint de la patte de Cronenberg, n’en demeure pas moins un film assez bancal, pour lequel le futur réalisateur de Faux-semblants a opté pour un rythme lent, porté sur le réalisme voire sur un certain côté documentaire, avec une absence quasi totale de musique, d’emphase dans la mise en scène ou de travail exagéré sur la photographie (à certains moments, on se croierait presque dans le Kingdom du dogmatique Lars Von Trier).

Le sujet se serait pourtant bien porté à une débauche de voyeurisme complaisant (à l’italienne, dirais-je) : il s’agit ici d’un immeuble isolé sur un îlot au coeur de Montréal dont les habitants vont être victimes d’un parasite libérant leurs instincts sexuels. Mais Cronenberg se veut froid et scientifique, chose qui n’est pas répréhensible en soi et qui parvient même à installer le climat de malaise. Il ne balance pas une meutes de femmes nues et avides de sexe dans les pattes dans son personnage principal (un médecin) : après une introduction à base de viol sur une jeune fille, il prend le temps de décrire la colonisation de l’immeuble par ses parasites repoussants, au look d’étron. Il prend justement peut-être trop de temps, et si les parasites / étrons et leurs premières victimes inspirent la répulsion, ce sentiment a bien du mal à se developper au fur et à mesure de la stagnation du scénario, malgré plusieurs symbolismes évoquant tour à tour le sexe et la maladie. Car ce sont les thèmes du film (et en partie de la carrière de Cronenberg) : l’horreur ne vient pas d’éléments extérieurs, mais elle est organique, elle est en nous, et elle ne demande qu’un élément déclencheur (parasite, maladie, chirurgie déviante…) pour faire son apparition. Ce n’est pas tant le gore qui est dérangeant : c’est son côté charnel, les chairs viciées, le sang contaminé… Le look d’étron des parasites s’explique ainsi par leur côté naturel et leurs origines plutôt douteuses. Chose d’autant plus dérangeante que les envahisseurs sont voués à aller d’hôtes en hôtes, dans une répugnante contagion … A titre d’exemple, je citerai une scène dans laquelle un de ces parasites sort de la baignoire pour aller se loger dans l’entrejambe d’une figurante prestigieuse (Barbara Steele !). Même si rien ne nous est explicitement montré, il n’en reste pas moins que… c’est dégueulasse! Tout le film est ainsi fait : quasiment aucune concession au trash explicite ou au sexe (il y a bien plus d’érotisme lascif que de copulations en gros plan). En comparaison, la grande orgie terminant le film, pourtant elle aussi traitée sobrement, aura moins de portée que ce qui a précédé.

Cronenberg pose là les bases de son cinéma, qui prendra dans les années 80 une ampleur incroyable, extrêmement personnelle, et qui sera la tête de proue du cinéma fantastique des années 80, en compagnie peut-être d’un ou deux cinéastes (John Carpenter notamment). Avec Frissons, Cronenberg patine peut-être un peu avec son scénario, qui relève plus de l’étalage de pistes de réflexions sur le corps en tant qu’élément organique (s’accompagnant même parfois d’un humour très subtil) que de l’intrigue en bonne et due forme, mais il démontre qu’il est un cinéaste très doué, très inventif, l’un de ceux capables de tirer le cinéma horrifique vers le haut en utilisant tout son potentiel à la fois visuel et intellectuel.

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