CinémaHorreur

Encarnação do demônio – José Mojica Marins

encarnacaododemonio

Encarnação do demônio. 2008

Origine : Brésil 
Genre : Horreur 
Réalisation : José Mojica Marins 
Avec : José Mojica Marins, Rui Resende, Jece Valadão, José Celso Martinez Corrêa…

Il est de retour! Zé du cercueil, le personnage le plus célèbre du cinéma d’horreur brésilien revient dans Encarnação do demônio (littéralement « L’incarnation du démon » : le film étant encore inédit dans l’hexagone à l’heure où j’écris ces lignes, il ne dispose pas encore de titre français). Toujours réalisé et interprété par José Mojica marins, créateur du personnage, le film se veut la dernière partie d’une trilogie entamée en 1964 avec A minuit je posséderai ton âme et poursuivie en 1966 par Cette nuit je m’incarnerai dans ton cadavre. José Mojica Marins éclipse donc les autres apparitions du personnage dans l’excellent L’Éveil de la bête et Délires d’un anormal dans lesquels Zé n’était finalement réduit qu’à une figure cauchemardesque hantant les cauchemars des protagonistes et ne participait pas à la narration en tant que personnage, pour nous conter une vraie nouvelle aventure de son fossoyeur mégalomane et sadique. Encarnação do demônio reprend les mêmes ingrédients que les deux films précédents pour les insérer dans un contexte plus moderne. Le film débute alors que, après avoir passé 40 ans dans une prison de São Paulo, Zé du cercueil est enfin libéré. Mais les années passées en prison ne l’ont pas changé et le fossoyeur aux ongles démesurés est toujours déterminé à trouver la femme parfaite destinée à assurer la continuité de sa lignée. Il va donc encore une fois user de « tests » particulièrement cruels et sadiques pour choisir son élue…

A l’origine du film on trouve le producteur Paulo Sacramento qui fait partie de la maison de production brésilienne Olhos de Cão, le scénariste Dennison Ramalho et José Mojica Marins. Ensemble ils retravaillent un script écrit en 1966 par José Mojica Marins et qu’il n’avait jamais eu l’occasion de tourner malgré plusieurs tentatives. Leur ambition est de livrer un nouveau film de Zé du Cercueil qui reprenne à l’identique toute la mythologie du personnage établie dans les deux précédents films, mais aussi d’en faire une production résolument moderne capable de rivaliser avec les films d’horreur actuels techniquement et artistiquement, ne serait-ce que sur le terrain de la violence et des effets spéciaux. Une ambition dans la droite lignée des motivations qui avaient poussé Marins à réaliser les premières histoires de Zé du Cercueil : en effet il avait alors pour objectif de donner au Brésil une icône horrifique comparable à ce que représentaient Dracula ou la créature de Frankenstein pour le cinéma et l’imaginaire Occidental. Et si la dimension underground et encore très amateur de A minuit je posséderai ton âme marquait les balbutiements d’un cinéma d’horreur de nationalité Brésilienne, l’éclatante réussite de Encarnação do demônio lui donne ses lettres de noblesse.
Ainsi, malgré son âge avancé (72 ans tout de même) José Mojica Marins s’investit dans ce projet avec le soutient des producteurs de Olhos de Cão et Gullane Filmes qui lui permettent de bénéficier d’un budget particulièrement confortable apte à concrétiser toutes les idées folles du génial réalisateur brésilien.

Avec une conscience aiguë des attentes du public, Marins déconstruit la structure très rigide de ses deux premiers films (basés sur une première partie qui montrait les exactions de Zé et sur une seconde partie qui l’envoyait dans un enfer surréaliste et psychédélique) et dynamise la narration par l’introduction d’obstacles à la quête sanglante de Zé en la personne d’un Colonel de police anciennement victime du fossoyeur et d’un moine désireux de venger son père assassiné. En outre, la narration du film est perturbée par l’apparition des spectres des victimes de Zé qui constituent, comme les personnages du moine et du colonel, des références directes aux deux premiers films, et qui permettent ainsi de véritablement inscrire Encarnação do demônio dans une mythologie propre à Zé du Cercueil.
Le personnage principal n’ayant d’ailleurs pas changé d’un iota entre le dernier film et celui-ci. Il a vieilli certes mais a toujours les mêmes obsessions, il combat toujours avec autant d’acharnement l’obscurantisme et est toujours aussi mégalomane et sadique. De même, ses ongles sont toujours aussi démesurément longs et tordus et il a conservé sa cape et son chapeau haut-de-forme. Et c’est avec plaisir que le fan des premiers films que je suis a pu retrouver le charisme du personnage intact malgré les années. La vieillesse ayant même rendu le personnage plus effrayant et plus fascinant. Il faut le voir à sa sortie de prison, la barbe hirsute et l’œil mauvais.
Et puis le personnage a aussi gardé sa propension à déclamer avec conviction des phrases chocs sur la vie, l’immortalité et le sang. Le film finissant par regorger de monologues et de punch-lines amusantes.

Il comporte en outre des séquences extraites des deux précédents films, par ailleurs très habilement complétées de nouvelles images, en noir et blanc également, et où un autre acteur que José Mojica Marins vient endosser le costume et les griffes de Zé pour apporter de nouveaux éléments absents des anciens films. Ces quelques nouvelles séquences sont très bien intégrées et feront non seulement parfaitement illusion auprès des spectateurs qui n’ont pas encore vu les précédents films mais feront aussi douter ceux qui les ont vu ! En plus du caractère irréprochable de ces scènes sur le plan technique, il est assez saisissant de voir que Marins parvient à recréer d’emblée la même atmosphère empreinte de cinéma gothique classique, d’exotisme et d’éléments psychédéliques très années 60 lors de ces très courts flash-backs.
Le présent du film occulte par contre complètement ce coté gothique, devenu désuet avec le temps, alors qu’au contraire il garde la dimension très gore qu’avaient les premiers films à leur époque. Et si ces derniers n’ont plus cet aspect excessivement violent aujourd’hui avec l’évolution qu’ont connu aussi bien les effets spéciaux que le degré de violence au cinéma, Encarnação do demônio est bel et bien un film moderne tant ces effets spéciaux apparaissent à la fois comme très réussis et excessivement violents. Le film ne lésine pas sur le gore et offre un panel de tortures véritablement impressionnantes et très réalistes sans pour autant qu’elles ne versent dans une surenchère idiote ni qu’elles ne soient conçues dans le but de choquer le public adolescent comme cela semble être la norme actuellement. Dans le film, le responsable des effets spéciaux André Kapel semble avoir avant tout misé à la fois sur la diversité, l’originalité et le réalisme, et ce dans le but de divertir le spectateur en l’impressionnant. Certaines scènes étant en effet véritablement impressionnantes même pour les amateurs de cinéma gore habitués à ce genre de spectacle. Je pense notamment au passage où une victime de Zé est pendue par des crochets enfoncés sous la peau et à celui où des femmes se font coudre les lèvres, qui semblent mettre en scènes des adeptes du piercing et de la scarification ou des fakirs, au vu de leur réalisme effrayant.

Autre différence notable avec les deux précédents films, le petit village empreint de traditions dans lequel évoluait Zé est à présent remplacé par São Paulo et ses favelas. L’occasion pour Marins de filmer ces superbes scènes où Zé, avec sa cape, son chapeau haut-de-forme et ses ongles tordus arpente des rues d’aspect très moderne en compagnie de son assistant bossu Bruno (qui fait immédiatement penser au Igor de la mythologie de Frankenstein). Il crée d’emblée un décalage intéressant qui fait basculer le film dans le genre fantastique comme si Zé était un personnage issu d’un film gothique faisant soudainement irruption dans notre réalité. On retrouve d’ailleurs un soin particulier à l’établissement progressif d’une réalité alternative et fantastique dans le film, notamment par l’apparition récurrente des fantômes. Ils sont d’abord de simples hallucinations et seul Zé les voit, puis le film franchit une frontière à la fin en permettant à un autre personnage que Zé de voir les fantômes, leur donnant par la même une existence tangible.

Encarnação do demônio explore de manière très riche les thèmes mis à disposition par le cinéma fantastique et d’horreur, fantômes, vengeance, tortures, meurtres, zombies, apparitions mystiques et créatures répugnantes sont au menu. Cette richesse thématique s’inscrit autant dans une volonté manifeste de satisfaire les attentes du spectateur en réutilisant des thèmes et codes du genre à fort potentiel divertissant (et en cela Encarnação do demônio est sans doute l’un des seuls vrais films « bis » actuel) que dans une intention de rendre hommage au genre fantastique. Sur ce dernier point, le final du film se révèle notamment d’une grande habileté en donnant au personnage de Zé du cercueil le statut d’icône du fantastique dans le film même, ce qui lui permet de devenir aussi réel dans l’imaginaire des personnages du film que dans celui des spectateurs qui se prennent au jeu. José Mojica Marins touche ici à l’âme même du cinéma fantastique en donnant une existence réelle à son personnage fantastique via la suspension volontaire d’incrédulité. De nombreuses scènes peuvent ainsi être rattachées à la dimension « d’hommage » que revêt le film, les flash-backs issus des précédents métrages avec Zé du Cercueil évidemment, mais aussi la présence de l’assistant bossu, et tout le décor du l’antre de Zé qui, avec son trône décoré de crânes et ses ornements funéraires, a cet aspect très factice propre au décor de cinéma qui jure de manière très intéressante avec les extérieurs de São Paulo qui ont un aspect réaliste très imposant.

La manière dont la dimension fantastique est traitée et l’importance toute particulière que Marins apporte aux éléments visuels forts dans son film en sont les aspects les plus intéressants. Le look des fantômes qui viennent hanter le fossoyeur maudit est particulièrement soigné. On retiendra notamment cette femme qui avait vu à sa grande horreur son corps parcouru par une myriade de mygales revenir ici sous la forme d’un fantôme éventré dont les viscères noirs et fumants laissent échapper les mêmes arachides qui viennent cette fois tourmenter Zé. Et comment aussi ne pas parler de la désormais inévitable scène psychédélique ? Ce type de scène au travers duquel le génie iconoclaste de José Mojica Marins trouvait sa plus belle expression comme dans Cette nuit je m’incarnerai dans ton cadavre et sa scène en couleur d’un enfer coloré, sublime et enneigé et dans L’Éveil de la bête et ses délires hallucinatoires marqués par le LSD. Dans Encarnação do demônio ce n’est plus l’enfer qui nous est montré mais une sorte de purgatoire où les âmes damnées s’entre-dévorent et se crucifient sous l’œil cynique d’un dieu mystificateur qui n’hésite pas à embrasser goulument la Mort représentée par un personnage anorexique et halluciné… D’une grande originalité et visuellement splendide, cette scène ravira tous les amateurs de cinéma pas normal et fait de Encarnação do demônio un film au charme particulier.

Proposant à la fois des éléments horrifiques variés aptes à séduire un public d’amateurs du genre, un vrai parti pris cinématographique d’hommage au genre fantastique dans son acceptation la plus large et une volonté artistique de créer quelque chose d’à la fois très beau et particulièrement original, Encarnação do demônio s’impose aisément comme l’une des production horrifiques les plus intéressantes de la décennie. Et son approche, faite d’une part de réutilisation de codes très spécifiques à un genre et d’autre part d’une volonté de proposer du cinéma moderne sans artifices, lui donne une authenticité et une fraîcheur éminemment appréciables.
Enfin, le film marque le retour à la réalisation plus de vingt ans après son dernier film d’un auteur qu’on attendait plus, et on serait bien tentés d’espérer le voir réaliser un nouveau film mettant en scène Zé du Cercueil si ce dernier film n’apparaissait pas comme le chef d’œuvre définitif de cet étrange réalisateur qu’est José Mojica Marins.

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