China 9 Liberty 37 – Monte Hellman
Amore, piombo e furore. 1978Origine : Italie / Espagne
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Peu de temps avant d’être exécuté, le pistolero Clayton Drumm (Fabio Testi) est gracié par le gouverneur à la condition qu’il aille assassiner Matthew Sebanek (Warren Oates), un pistolero retraité qui refuse obstinément de vendre ses terres à la compagnie de chemins de fer. Drumm se rend donc chez Sebanek… et les deux hommes se lient d’amitié. Le jeune pistolero décide donc de ne pas accomplir sa funeste besogne. Les choses vont pourtant devenir compliquées lorsqu’au du départ de Drumm pour la Californie, Catherine, la timide femme de Sebanek (Jenny Agutter) va cocufier son mari pendant le sommeil de celui-ci. Se rendant compte de ce qu’il s’est produit, Sebanek décide d’assassiner Drumm, qui a entre temps pris quelque avance. Sa femme l’en empêche, et le poignarde au cours de la bagarre qui s’ensuit. Elle rejoint alors Drumm, avec lequel elle envisage de refaire sa vie. Cependant Sebanek n’est pas mort, et avec ses frères il part à la recherche du couple, tandis que la société de chemin de fer apprend la trahison dont elle a été victime et envoie une bande de tueurs pour s’occuper de tout le monde.
Un peu plus de dix ans après ses deux westerns produits par Roger Corman (L’Ouragan de la vengeance et The Shooting), Monte Hellman traverse l’Atlantique et revient au genre avec un film co-produit par l’Espagne et l’Italie. Il amène dans ses bagages le réalisateur Sam Peckinpah (engagé comme acteur dans un petit rôle) et leur acteur fétiche commun, Warren Oates. China 9 Liberty 37 sent le sapin à plein nez : le western n’est plus vraiment à la mode, y compris en Italie et en Espagne, terres de sa renaissance. Contrairement à la plupart de ses camarades de l’époque (Coppola, Dante, Demme, Scorsese…), Hellman n’a pas su conquérir Hollywood après être sorti de la tutelle de son mentor Corman. Après y avoir brillé en décrivant la décadence du far west dans des oeuvres aussi noires que violentes, Peckinpah a arrêté le western et s’est perdu dans l’alcool et dans des frasques qui l’on rendu persona non grata sur les plateaux de tournage américains. Quant à Warren Oates, il a lui aussi arrêté de jouer dans des westerns et sa filmographie commence à pâtir de la disgrâce de ses deux mentors (on le retrouve alors fréquemment à la télévision). Bref, China 9 Liberty 37 est dominé par trois américains talentueux mais en pleine déchéance, qui selon certaines rumeurs auraient traversé le tournage du film en vrais barbares orgiaques, ce qui justifierait l’attribution du poste de co-réalisateur qui est parfois crédité à Tony Brandt, l’assistant de Hellman. Œuvre de commande écrite par des italiens visiblement forts inspirés par Les Charognards de Don Medford, China 9 Liberty 37 (titre repris d’un véritable panneau de signalisation au Texas), n’exige pas il est vrai de prouesses de mise en scène la part de son réalisateur. Il s’agit essentiellement d’une histoire bien plus proche des westerns américains à tendance “romantique” de série B que des westerns spaghettis hautement cyniques à la Leone ou Corbucci, ou même des films plus complexes de Monte Hellman et Sam Peckinpah. Le scénario consiste en fait en plusieurs chasses à l’homme : d’abord Drumm après Sebanek, puis Sebanek après Drumm, puis le groupe de tueurs à la solde de la compagnie de chemins de fer après tout le monde. Le tout contenant bon nombre de considérations sentimentales partagées dans le triangle amoureux que forment Drumm, Sebanek et Catherine. Certaines scènes de dialogues amoureux particulièrement grandiloquentes évoquent même les drames de l’âge classique hollywoodien, tout comme les scènes d’amour, qui si elles sont assez crues n’ont vraiment rien de bestiales ou provocantes (notamment l’union de Drumm et Catherine dans un lac aux eaux pures, très bucolique). Dans le rôle du jeune pistolero en passe de reconstruire sa vie, Fabio Testi est d’ailleurs assez transparent. Son personnage manque de profondeur, il manque de répartie, et surtout il manque de défauts… C’est un brave type, protecteur, guère intéressé par l’argent (outre la prime sur le meurtre de Sebanek, sur laquelle il fait une croix, il refuse également plusieurs tentatives d’argent facile) et il ne tue que lorsqu’il y est obligé, ce qui est bien dommage puisque c’est à peut près la seule chose qui le met en valeur.
Le personnage tenu par Jenny Agutter est un peu plus intéressant : son amour pour Drumm tient plus au fait qu’elle ne supportait plus de rester cloîtrée dans sa maison isolée que de la violence d’un Sebanek très machiste et sujet aux crises de jalousie. Mais elle se rend compte que tout gentil qu’il soit, son nouvel amour n’est pas fait pour la vie à deux, ce qui la replace face à ses propres paradoxes, à savoir sa fuite pour échapper à vie bien rangée au profit d’une autre qu’elle souhaiterait identique. Plus le temps passe, plus il devient évident qu’elle a agit sur un coup de tête, autant dans son choix de refaire sa vie que dans le faux meurtre de son véritable époux. Elle n’est après tout guère expérimentée dans la vie, et déborde encore d’élans idéalistes sur le prince charmant. Catherine est donc un personnage plus complexe, mais elle aussi entretient ce côté “romantique” peu palpitant. Par contre, Sebanek incarne un personnage digne des westerns de Sam Peckinpah, ce dernier n’ayant certainement pas été invité au hasard par Monte Hellman. Le personnage campé par Warren Oates est une sorte d’hommage (bien) rendu par le réalisateur à son collègue en pleine dérive. Contrairement à Drumm, Sebanek est loin d’être un homme parfait, et c’est bien là ce qui fait de lui le véritable personnage principal. Derrière ses allures de paysan bourru, c’est un homme intelligent (il sait très bien pourquoi Drumm est venu chez lui), vieillissant mais endurci, une vieille carne aux réactions trop humaines. La jalousie et la tentative de meurtre dont il a été victime appelle à ses yeux une vengeance qui pourtant ne doit pas concerner Catherine, à laquelle il est encore attaché (ce qu’il rappelle parfois avec violence à ses frères, des chiens fous). La violence est pour lui le seul moyen de se maintenir dans ce vieil ouest régi par le crime. Comme il le dit lui même à Drumm vers la fin du film : “il n’y a pas de pistolero au cœur tendre.” On ne peut faire plus éloigné de la conception de Drumm, lequel encore trop naïf n’use de ses armes qu’à des fins défensives et s’en va même consoler la veuve enceinte d’une de ses victimes. L’usage de la violence n’est pas en soi condamnable, et du reste elle n’est pas incompatible avec des sentiments humanistes, bien au contraire : elle marque toute la différence entre un homme pragmatique comme Sebanek, sachant faire la part des choses entre être un meurtrier et être quelqu’un d’intègre (après tout il n’est pas un fou furieux comme ses frères, et du reste il accepte leurs morts puisqu’ils l’ont cherché) et un homme comme Drumm, qui agit comme un seigneur dans une époque et un lieu qui ne s’y prêtent guère. Les origines dévoilées par le jeune pistolero sont d’ailleurs éloquentes : élevé en Europe par ses grands-parents bourgeois, il risque fort de payer un jour le prix de son romantisme. En fait, en le pourchassant, Sebanek lutte pour faire revenir sa femme, mais il apprend aussi à son ancien ami la manière de vivre sainement dans l’ouest. Il y a chez le vieux Sebanek impulsif quelque chose de bien plus réaliste et de bien plus noble (à savoir l’existence de sentiments à la fois violents et affectifs) que chez le trop parfait Drumm.
Il n’est cela dit pas sûr du tout que le film ait été envisagé ainsi. Trop de temps est passé auprès du personnage de Fabio Testi, et beaucoup trop peu auprès de Sebanek (absent pendant toute la période où on le croit mort). Un peu comme si entre deux frasques, Hellman (conseillé par Peckinpah, lequel aurait d’ailleurs selon certaines sources réalisé les scènes de fusillades) s’était réellement intéressé au film pour ce seul personnage, expédiant le reste assez platement. Ce n’est pas très gentil pour Fabio Testi, qui est habituellement un formidable acteur, mais c’est un joli adieu au western pour Warren Oates et Sam Peckinpah.