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L’Exorciste, la suite – William Peter Blatty

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The Exorcist III. 1990

Origine : Etats-Unis 
Genre : Thriller d’épouvante 
Réalisation : William Peter Blatty 
Avec : George C. Scott, Brad Dourif, Jason Miller, Ed Flanders…

Auteur du roman et du scénario sur lesquels se basa Wiliam Friedkin pour L’Exorciste, William Peter Blatty n’a jamais caché son aversion pour la première séquelle (il est vrai désastreuse) réalisée en 1977, à une époque où ni Blatty ni Friedkin ne jugeaient opportun de donner une suite à leur célèbre création. Peu de temps après, peut-être piqués au vif dans leur fierté par la purge de Boorman, qui massacra en règle leur propre film, les deux hommes se mirent d’accord pour refaire une autre séquelle, pour le plus grand bonheur d’une Warner Bros qui, en dépit de l’échec retentissant de L’Exorciste II, restait toujours émue par le souvenir des bénéfices juteux engrangés par le premier film. Restait tout de même à trouver un sujet, ce que fit Blatty. Mais Friedkin devint hésitant et finit par demander à ce que l’histoire concoctée par son compère soit changée du tout au tout. Finalement, par consentement mutuel, L’Exorciste III fut remisé au placard, et l’idée de Blatty devint le roman Légion, publié en 1983. A la fin des années 80, toujours motivé par l’idée de concevoir une deuxième séquelle cinématographique, et cette fois sans William Friedkin, l’auteur remit ça, encouragé par les compagnies Morgan Creek et Carolco, la Warner cédant au passage ses droits de distribution à la 20th Century Fox. Déjà réalisateur en 1980 de La Neuvième configuration, Blatty était désormais libre de rédiger et de réaliser comme bon lui semblait L’Exorciste III, faisant table rase des évènements narrés dans le film de John Boorman et s’orientant dans une direction bien moins saugrenue et bien moins spectaculaire. Cela avait tout l’air d’une carte blanche. Et pourtant, l’auteur / réalisateur déchanta lorsque ses producteurs lui demandèrent de tourner une nouvelle fin, et d’y inclure un exorcisme. Jugeant préférable de limiter la casse, il se plia à cette volonté (la version “director’s cut”, incluant d’autres modifications, semble aujourd’hui perdue), et dût également subir l’affront de voir son film titré L’Exorciste III, lui qui avait vivement émit le souhait de le nommer “Légion, non seulement pour remettre son roman en pleine lumière mais aussi pour se distancier dans l’esprit du public de L’Exorciste II… voire même du premier.

L’Exorciste III est en effet fortement éloigné de ses deux prédécesseurs dans le sens où il pourrait aussi bien être une œuvre dérivée, ou un “spin-off” comme disent les pro. Contrairement à ce qu’a fait Boorman ou à ce que feront Schrader et Harlin, Blatty ne s’est pas laissé vampiriser par l’aura du premier Exorciste. Là où toutes les autres séquelles tentaient d’expliquer les évènements de Georgetown en s’attardant principalement sur Pazuzu et son passé avec Merrin, la sienne s’éloigne fortement du sujet au point que le fantastique y devient un élément pratiquement secondaire.
Quinze ans après avoir assisté à la mort du père Karras, le Lieutenant Kinderman (George C. Scott), ami du défunt homme de foi, traîne encore ses guêtres à Georgetown, où il côtoie le père Dyer (Ed Flanders), autre ami de Karras. Il enquête présentement sur un meurtre d’enfant perpétré de manière particulièrement abjecte : le gamin a été décapité et sa tête a été remplacée par celle du Christ, volée sur une statue. Bientôt, un second meurtre hérétique est commis, cette fois sur la personne d’un prêtre, retrouvé massacré dans son confessionnal. C’est bientôt au tour du père Dyer, assassiné en plein hôpital. Outre la tristesse et la colère qu’il éprouve pour la disparition de son ami, un fait troublant perturbe Kinderman : les meurtres ressemblent à s’y méprendre à ceux du “Gémeau”, un tueur arrêté et exécuté sur la chaise électrique il y a quinze ans. En se promenant dans l’hôpital, au quartier des fous dangereux, Kinderman est interpellé par un homme prétendant être le Gémeau, et qui est l’exact sosie du père Karras. Cet homme prétend aussi s’appeler Légion.

Nous avons donc ici clairement une histoire policière, un thriller au sein duquel le fantastique ne vient se placer que comme un élément susceptible de renforcer l’effroi. La démarche de Blatty est largement plus proche de celle qu’utilisera Jonathan Demme l’année suivante dans Le Silence des agneaux que de celle qui fut la sienne (et de Friedkin) dans le premier film, puisque la véritable finalité du film, celle de découvrir le tueur, passe par l’intermédiaire d’un cinglé enfermé dans une cellule. On retrouve la même solennité lors des visites de Kinderman à Légion que celle des visites de Clarice Starling à Hannibal Lecter. Blatty, comme Demme (c’est à se demander si celui-ci ne s’est pas inspiré de L’Exorciste III), apporte un soin tout particulier à ces entretiens et à l’aspect à donner à la cellule. Légion / Karras / le Gémeau se doit d’être impressionnant, et son environnement doit lui ressembler pour que le visiteur ne se sente pas en sécurité. C’est bien le cas : dans cette cellule très sombre, à peine éclairée par deux fenêtres tout en haut des murs capitonnés, Légion parle par énigmes de choses sordides (les meurtres) dépassant la raison humaine (leur connotations démoniaques). Son nom, Légion, renvoie à la Bible, et aux propos tenus à Jésus par un homme possédé : “Mon nom est Légion, car nous sommes nombreux” et quant à son physique, il change au gré du temps, tout comme son attitude : il prend parfois l’apparence de Brad Dourif, auquel cas il se montre agité, et parfois celle de Damien Karras, auquel cas il est plus calme. Dans les deux cas, il reste cependant une figure inquiétante. Il ne fait alors plus grand mystère que Légion est bien un possédé, qu’il contient en lui les esprits des deux hommes, morts à peu près au même moment, et que le “maître” mentionné par le Gémeau est le démon Pazuzu. A la différence d’Hannibal Lecter, Légion semble directement impliqué dans les meurtres au cœur de l’intrigue, ce qui a pour conséquence de faire déborder sa présence (spirituelle) en dehors de sa seule cellule (matérielle). C’est là l’une des grandes qualités de L’Exorciste III, qui sans jamais se débarrasser de son aspect profondément policier parvient à suggérer le surnaturel via des détails prenant de plus en plus de sens et participant à l’instauration d’une sensation d’épouvante.

La prestation de George C. Scott y est déjà pour beaucoup : remplaçant Lee J. Cobb (décédé en 1976) dans la peau de Kinderman, il incarne un flic au bout du rouleau, extrêmement las, cynique et spirituel (ce qui vaut quelques réflexions d’humour noir), qui en refusant d’abandonner son scepticisme semble crouler sous la charge émotionnelle que représente pour lui cette enquête, qui en plus des crimes sauvages lui rappelle le souvenir de son ami Damien Karras (ce qui a été inventé, puisque Kinderman et Karras se connaissaient à peine à la fin du premier film) et le plonge dans celui de son autre ami, le père Dyer. Depuis la cellule où il croupit, le démon prend un malin plaisir à ruiner son quotidien, déjà assez morose. La volonté de Blatty de tourner son film à Georgetown s’explique par l’allure du lieu caractérisé par l’escalier dans lequel tomba Karras, qui en plus de faire écho aux évènements du premier Exorciste retranscrit bien cette impression de grisaille qui caractérise la vie de Kinderman. Impression décuplée par son enquête dans le sinistre hôpital, où le personnel autant que les patients -principalement en gériatrie- semblent être dominés par la présence de Légion. En même temps qu’une sinistrose annonciatrice de Seven (surtout que la famille de Kinderman sera également menacée), Blatty impose aussi discrètement l’épouvante, résultat de sa bonne gestion du personnage de Légion, dont les paroles plus que toutes autres choses pèsent tout au long du film. Les manifestations surnaturelles évidentes sont rares, au point que L’Exorciste III fut souvent accusé d’être verbeux, mais elles ne sont certainement pas gratuites. La plupart de ces manifestations se produisent dans le dos de Kinderman, ce qui justifie le maintien de son scepticisme tout en faisant comprendre au spectateur que le flic a tort, et qu’il risque de le payer cher (d’où les menaces sur sa famille). Blatty effectue un superbe travail : il place son personnage en position délicate, celle du sceptique désarçonné par tous ces évènements qu’il juge opaque (ce qui est digne d’un bon film policier), et il adopte le point de vue du démon pour manipuler Kinderman au vu et au su de tous les spectateurs (l’argument épouvante… à ce titre, on peut comprendre pourquoi Christophe Lemaire dans le Mad Movies N°100 trouvait que le film a “franchement l’air d’être réalisé par le démon“). Ce qui nous vaut quelques impressionnantes scènes de frayeurs, dans lesquels la caméra nous montre des envoyés du démon telles que la vieille Madame Clelia rampant comme une araignée sur le plafond de la salle commune ou encore la silhouette armée de cisailles chirurgicales sortant d’une pièce pour poursuivre une infirmière (une scène choc valant avant tout pour sa soudaineté et sa brièveté). On pourra par contre se montrer bien plus circonspects face au dénouement imposé à Blatty, cet exorcisme vite torché et plein d’effets spéciaux venant saboter le raffinement avec lequel le réalisateur avait fait progresser son intrigue. La fin initialement prévue n’était pas forcément très différente dans ses implications, mais s’abstenait au moins de présenter un tel exorcisme, clairement opportuniste.

Dans ses mécanismes, dans sa construction, dans son sujet, L’Exorciste III n’a pas grand chose à voir avec le premier film. C’est pourtant un excellent thriller surnaturel bien plus effrayant que la moyenne, dans lequel le démon se propage insidieusement dans la vie d’un homme par le biais de son environnement et de ses émotions. Ainsi, ce n’est plus une personne qui est possédée mais bien sa vie au quotidien. Une approche réaliste faisant part de la vision que le réalisateur porte au monde actuel, qu’il juge corrompu par le démon. C’est du moins ce qu’il ressort de L’Exorciste III. On peut ne pas être d’accord avec cette vision catholique des choses, mais on ne pourra certainement pas reprocher au réalisateur d’avoir bâclé son film. Il est vrai que Blatty a eu le temps d’y réfléchir pendant la longue période de gestation séparant son envie de donner une suite à L’Exorciste et l’instant où il a effectivement pu s’y atteler. Son travail a en tout cas payé.

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