CinémaThriller

Blue Steel – Kathryn Bigelow

Blue Steel. 1989.

Origine : États-Unis
Genre : Thriller
Réalisation : Kathryn Bigelow
Avec : Jamie Lee Curtis, Ron Silver, Clancy Brown, Kevin Dunn, Elizabeth Peña.

Tout juste promue agent de police, Megan Turner (Jamie Lee Curtis) assiste au braquage d’une supérette lors de sa sortie nocturne inaugurale. Première sur les lieux, elle met en joue le braqueur (le débutant Tom Sizemore !), qui refuse d’obtempérer. Et alors qu’il s’apprête à lui tirer dessus, elle l’abat en état de légitime défense. Néanmoins, l’arme du braqueur restant introuvable, Megan est suspendue par sa hiérarchie qui lui reproche son hyper émotivité (elle a vidé l’intégralité de son chargeur sur le malfaisant). Et comme si cela ne suffisait pas, un homme est retrouvé mort, tué par des balles floquées à son nom. Pressée par l’inspecteur Nicolas Mann (Clancy Brown) de la criminelle de lui fournir une piste quant à l’identité du meurtrier, Megan trouve un peu de réconfort dans les bras de l’opérateur en bourse Eugène Hunt (Ron Silver). Ce qu’elle ignore, c’est qu’il s’agit de l’homme qui a dérobé l’arme du braqueur, et qui désormais nourrit une fascination autant pour le revolver que pour la femme flic.

Malgré d’évidentes qualités, Aux frontières de l’aube a été un échec cuisant à sa sortie, le public lui préférant largement les jeunes vampires de Génération perdue, à la tonalité plus enjouée. Loin de se laisser abattre, Kathryn Bigelow se lance ensuite dans un ambitieux projet de science-fiction qui restera finalement lettre morte. Mais si Aux frontières de l’aube a été boudé par le public, il n’en a pas moins impressionné certains grands noms de la profession, dont Oliver Stone et Edward Pressman, lesquels proposent à la réalisatrice de produire son prochain film. Toujours associée à Eric Red pour la rédaction du scénario, qui entre-temps a réalisé son premier film, le polar Cohen and Tate (1988), Kathryn Bigelow délaisse les contrées désertiques de l’Oklahoma pour se confronter à la faune urbaine de la Grosse Pomme. Du polar, Blue Steel en a l’apparence, mais louche plus volontiers vers le thriller, genre alors en plein essor dans la foulée d’un Liaison fatale (1987) au succès aussi inattendu que foudroyant.

A l’image de la scène d’ouverture, lors de laquelle l’intervention de Megan dans un appartement où un homme bat sa compagne s’avère n’être qu’un exercice, Blue Steel agit en trompe-l’œil. A aucun moment le film ne se veut un reflet réaliste des débuts d’une jeune flic au sein de sa brigade. Au contraire, ceux-ci sont rapidement expédiés au profit de la scène charnière autour de laquelle s’articule le thriller à venir. Néanmoins, cette mécanique du thriller permet à Kathryn Bigelow de s’interroger dans une moindre mesure sur la place de la femme dans ce métier éminemment masculin. Pour peu crédible qu’il soit (parmi les personnes présentes au moment du braquage, il paraît peu probable qu’aucune ne soit en mesure d’accréditer les dires de Megan, et partant, de corroborer sa bonne foi), le point de départ du film n’en est pas moins révélateur du machisme ambiant qui régit notre société. Le fait que Megan ait vidé son chargeur sur le contrevenant ne peut découler, pour ses supérieurs mâles, que d’une hyper émotivité toute féminine, qui n’a en outre pu que phagocyter ses capacités de discernement. En d’autres termes, elle n’a pas les “couilles” nécessaires pour faire ce métier. L’essentiel du film s’ingénie donc à la conforter dans un statut de victime qui sied mieux à sa féminité, et contre lequel elle n’aura de cesse de se battre. Sous ses airs bienveillants, l’inspecteur Mann n’agit pas autrement, jouant les chevaliers blancs avides de demoiselles en détresse. A sa manière, il accentue l’emprise que les hommes aimeraient avoir sur Megan, s’immisçant sans vergogne dans son intimité, sous prétexte qu’elle est la seule piste pour le relier au tueur qui sévit en ville. A ce titre, la facilité avec laquelle Nicolas Mann et Eugène Hunt s’introduisent dans l’appartement de Megan en dit long sur un scénario peu avare en grosses ficelles. A moins que cela ne soit dans le but d’illustrer par l’absurde la place trop grande que Megan est prête à accorder aux hommes dans sa vie.

Pour autant, Megan Turner n’incarne pas qu’une demoiselle en détresse aux yeux de ces messieurs. Elle est aussi objet de fantasme pour un Eugène Hunt en transe depuis qu’il l’a vue se servir avec dextérité de son arme de service, un revolver aux mensurations flatteuses et à l’évidente connotation phallique. Depuis cette “apparition”, il n’en finit plus de faire joujou avec l’arme du braqueur qu’il a subtilisée, l’apprivoisant progressivement jusqu’à passer à l’acte, moment charnière de son basculement progressif dans la folie. Par contre, il maintient une certaine distance avec l’autre objet de sa fascination, une Megan Turner qui lui mange dans la main, mais qu’il se refuse pourtant à profaner. Il y a un mélange d’impuissance et de respect qui transparaît de son comportement. Il est comme subjugué par cette image de Megan en uniforme brandissant avec conviction son arme de service lors du hold-up de la supérette. A tel point qu’il lui prête une assurance qu’elle n’a pas eu, Megan transpirant la peur quelques secondes encore avant de faire feu. En réalité, c’est l’apparente facilité avec laquelle elle a fait feu qui l’a impressionné, lui qui semblait ronger son frein en attendant son heure. Le premier meurtre dont il s’acquitte agit sur lui comme un révélateur. En se prouvant qu’il est capable de tuer quelqu’un sans sourciller, il se montre l’égal de Megan. Il peut dès lors la courtiser et tenter de la lier à sa destinée, estimant que tous deux forment les moitiés d’une seule et même personne. Sa folie n’est jamais plus effrayante que lorsqu’il expose à Megan le plus calmement du monde sa véritable personnalité, et le tour qu’il aimerait donner à leur relation. Intervenant à mi-film, cette scène de révélation marque un évident tournant. Pour Megan, c’est un rude coup à encaisser. Alors qu’elle avait enfin rencontré quelqu’un qui n’était pas mal à l’aise vis-à-vis de son métier, elle voit soudain tous ses espoirs d’entretenir une relation stable avec un homme s’effondrer. On sent poindre en elle une profonde détresse mêlée à une forme de vexation à l’idée d’avoir été séduite par un fou dangereux. Le coup est également rude pour le spectateur, qui après cette scène voit défiler bon nombre de poncifs visant à transformer l’existence de Megan en cauchemar. Ainsi, Eugène hante de sa présence le quotidien de Megan, faisant irruption aussi bien dans son immeuble que dans l’appartement de ses parents. Et tout ça en toute quiétude puisque avec l’appui de son avocat, il la maintient dans son rôle de femme trop émotive dont les élucubrations concernant sa folie homicide ne saurait faire l’économie de preuves tangibles. Dans sa deuxième partie, Blue Steel sombre dans un stérile jeu du chat et la souris, tout juste rehaussé par quelques idées déviantes, comme lorsque Eugène, après avoir descendu Nick Mann qui venait se soulager la vessie suite à une partie de jambes en l’air en compagnie de Megan, s’empresse de la violer dans la foulée. A ce moment là, il n’a plus ni respect, ni adoration pour elle, juste une ardente volonté de s’imposer à elle dans toute sa supériorité.

Loin de réitérer le coup de maître d’Aux frontières de l’aube, Kathryn Bigelow s’est fourvoyée dans ce thriller assez mou et peu crédible. On retrouve néanmoins son style notamment lors de scènes nocturnes à l’ambiance cotonneuse (la balade en hélicoptère au-dessus de la ville), et dans l’usage régulier –voire trop dans le cas présent– de ralentis. C’est d’autant plus dommage que Jamie Lee Curtis est très bien dans l’uniforme de Megan, dont elle traduit parfaitement les tourments. Face à elle, les rôles masculins font pâle figure et contribuent au déséquilibre d’un film qui distille par ailleurs une ambiance cafardeuse à souhait en parfaite adéquation avec l’état d’esprit de son héroïne.

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