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Blue-jean Cop – James Glickenhaus

Shakedown. 1988.

Origine : États-Unis
Genre : Corruption policière
Réalisation : James Glickenhaus
Avec : Peter Weller, Sam Elliott, Patricia Charbonneau, Richard Brooks, Blanche Baker, Larry Joshua, Antonio Fargas.

Une fusillade éclate dans un coin de Central Park. Les premiers policiers sur les lieux découvrent deux hommes à terre. Un homme noir, blessé et un homme blanc, mort. Il se trouve que le décédé n’était autre qu’un policier en civil et le blessé, un dealer. Alors que ce dernier plaide la légitime défense, il est emprisonné dans l’attente de sa comparution pour meurtre avec préméditation. Roland Dalton (Peter Weller), avocat à l’aide judiciaire, s’occupe de l’affaire. Lorsque son client relate son quotidien constitué notamment d’extorsion de la part de flics corrompus, le juriste en fin de carrière décide de mettre les pieds dans le plat et de secouer le cocotier. Il cherche des informations auprès de l’inspecteur Richie Marks (Sam Elliott), un ami, lequel rechigne à l’aider franchement en l’enjoignant à se tenir à l’écart de ce milieu dangereux. Son attitude change lorsque à la suite d’une descente dans le repaire de Nicky Carr (Antonio Fargas) et à l’arrestation de ce trafiquant de drogues notoire, il assiste à la libération sous caution de l’inculpé quelques heures après et ses collègues ne rien trouver à y redire. Dès lors, il mène sa propre enquête et contribue par les preuves amassées à ce que Roland puisse défendre au mieux les intérêts de son client.

Lorsqu’il se lance dans la réalisation de Blue-jean Cop, titre français plus judicieux que ce que sa consonnance anglaise pourrait laisser penser, James Glickenhaus vit une période faste. A l’en croire, il a à cette époque déjà gagné suffisamment d’argent pour pouvoir vivre confortablement sans avoir à lever le petit doigt. Sauf qu’il adore le cinéma. Blue-jean Cop fourmille d’ailleurs de devantures de cinéma projetant des Le Justicier braque les dealers, Hidden, Freddy 3 : Les Griffes du cauchemar, Steel Dawn avec Patrick Swayze ou plus amusant, Fatal Beauty dans lequel joue aussi Sam Elliott. Ce dernier dont le personnage trouve au début refuge dans un cinéma qui propose Le Droit de tuer et Le Soldat, deux titres de la filmographie de James Glickenhaus. Un clin d’œil auto-promotionnel que le réalisateur effectue avec beaucoup de dérision, Richie Marks dormant à poings fermés alors que le héros du Soldat mitraille à tout va sur l’écran. James Glickenhaus aspire non seulement à continuer de réaliser mais en outre, il souhaite contribuer à l’éclosion de jeunes réalisateurs en une sorte de retour d’ascenseur qu’il estime aller de soi. En ce sens, il fonde sa propre compagnie de production en s’associant à Alan Solomon et Léonard Shapiro, la SGE Entertainment, à l’existence éphémère puisqu’elle cessera ses activités en 1995. Mais en 1987, il se sent pousser des ailes. Les succès successifs de 48 heures, Le Flic de Beverly Hills ou encore de L’Arme fatale ne peuvent qu’enchanter l’amateur de polar qu’il est. Avec Blue-jean Cop, il ambitionne de jouer dans la cour des grands et choisit notamment Peter Weller pour son impact commercial nouvellement acquis avec Robocop. Il l’associe à Sam Elliott, son pendant taciturne, pour un duo détonnant qui compte pour beaucoup dans la réussite du film.

Il n’aura échappé à personne que les années 80 sont parsemées de duos de plus en plus improbables à mesure de l’expansion des buddy-movies, et ce afin uniquement de se distinguer de la masse, du moins en théorie. En associant un avocat impétueux à un flic blasé, Blue-jean Cop semble revenir à l’essence même de ce sous-genre prolifique. Or James Glickenhaus ne mange pas de ce pain-là. Outre leur indéfectible amitié, Roland Dalton et Richie Marks partagent une même conception de la justice. Ils ne s’opposent pas, ils se complètent. Roland impulse le mouvement par son abnégation et Richie lui emboîte le pas avec détermination. Et si Roland accompagne Richie sur le terrain, maniant l’arme à feu sans grande dextérité, James Glickenhaus a la bonne idée de ne pas pousser trop loin le dépassement de fonction. L’action reste le terrain de jeu privilégié de Richie quand Roland se révèle davantage à son aise dans le cadre rassurant d’une salle d’audience d’un tribunal. Il ne s’agit pas de magnifier l’un par rapport à l’autre même si le récit s’attarde davantage sur la vie privée de Roland quand celle de Richie reste de l’ordre de l’évocation au sein de quelques échanges entre les deux hommes. A cela une raison simple, Roland Dalton se situe à un moment charnière de son existence. Après 14 années passées à l’aide judiciaire, il se décide à suivre les recommandations de sa fiancée en intégrant la compagnie d’assurances de “beau-papa” dans le quartier d’affaires de Wall Street. Un changement radical qu’il semble accueillir de bonne grâce, miné par toutes ses années à frayer avec la lie de la société sans espoir de réellement pouvoir influer sur le cours des événements. Il se trouve à la croisée des chemins, d’un côté attiré par les attraits d’une vie confortable de yuppie et de l’autre tiraillé par sa conscience relative à ses idéaux de jeunesse. Ce tiraillement est aussi celui du film qui orchestre un pas de deux entre le cinéma contestataire américain des années 60-70 et le cinéma friqué et tape-à-l’oeil des années 80 sans jamais choisir sa voie autre que celle de l’hybridation. James Glickenhaus ne se veut pas donneur de leçons et épouse la trajectoire de son personnage principal dans toutes ses contradictions et ses doutes. Roland n’a rien d’un saint. Sa dimension chevaleresque s’acquiert à l’ombre d’une incertitude. Jusqu’à quel point son entêtement à défendre le dealer Michael Jones contre vents et marées relève de sa haine de l’injustice ? Comme encouragé par un destin facétieux qui place face à lui Susan Cantrell – son grand amour passé – dans le box de l’accusation, il semble agir par bravade. L’énergie qu’il déploie pour assurer la défense de son client prend des allures de parade amoureuse. Plus il tape fort et juste, plus il rappelle à Susan quel extraordinaire homme il est et combien elle a eu tort de le laisser tomber. Cette dernière a beau jeu de lui reprocher son attrait soudain pour l’argent et le reniement de son moi profond. Du haut de la vaste terrasse de son non moins grand appartement avec une vue imprenable sur Central Park, elle s’est en quelque sorte repliée dans une tour d’ivoire. Roland représente alors à ses yeux le meilleur moyen de se reconnecter aux réalités du monde.

Pour construire son histoire, James Glickenhaus est parti d’un fait divers autour duquel il a brodé pour aboutir à ce polar pétaradant et nerveux. La mise en lumière de la corruption policière n’est pas neuve. Un cinéaste comme Sidney Lumet a déjà brillamment traité le sujet avec notamment Serpico et Le Prince de New York. Pas fou, James Glickenhaus ne cherche pas à oeuvrer dans le film dossier. L’entame de Blue-jean Cop entre néanmoins en résonnance avec l’actualité dans la manière dont les flics traitent Michael Jones. Ils témoignent plus d’égards envers le corps sans vie de Patrick O’Leary, un blanc, qu’envers Michael que la blessure par balle n’émeut guère au point qu’ils le menottent sans ménagement. Un noir ne peut que représenter un danger. Et le seul qui montre sa réprobation quant à cette attitude partage la même couleur de peau que le prévenu. Le film ne traite pas pour autant de ce racisme ordinaire. C’est un élément parmi d’autres au sein d’un récit qui met surtout en exergue la solidarité des policiers véreux, désireux de conserver la mainmise sur leur petit trafic au prix de nombreuses compromissions. A ce petit jeu, Rydel, au mulet très daté, ne s’impose aucune limite. Tuer, ou faire tuer, un confrère et un avocat ne le dérange pas le moins du monde. A sa suite, Blue-jean Cop perd en subtilité ce qu’il gagne en explosivité. Au bout d’une demi heure, le récit opère un virage à 180° et oublie toute retenue au profit d’une action décomplexée. Disposant de davantage de moyens qu’à l’accoutumée, James Glickenhaus s’en donne à coeur joie. Les courses-poursuites s’enchaînent, et les clichés aussi. Ainsi, les véhicules explosent dès qu’on leur tire dessus. Il s’offre également l’ouverture du parc d’attractions de Coney Island rien que pour tourner une scène de poursuite à pied qui se termine à bord du Grand 8. Cela pourrait devenir grotesque – Léon, l’homme de main de Nicky Carr qui sort un uzi de son pardessus relié à une sorte de bras mécanique – c’est juste irrésistible. Il se dégage de toute cette débauche de moyens une énergie formidable qui jamais ne noie les personnages. Tout héros qu’il soit, Roland Dalton se mue plus souvent qu’à son tour en personnage en détresse qu’il convient de venir sauver. Il conserve de bout en bout cette humanité qui manque souvent aux héros du film d’action. Richie Marks ne doit qu’à l’interprétation de Sam Elliott de ne pas sombrer dans ce travers à l’aune d’un climax trop tiré par les cheveux. Et dieu sait qu’il les porte longs.

A l’aune de la carrière de James Glickenhaus, Blue-jean Cop s’avère une excellente surprise. Il trouve le bon dosage entre scènes d’action et scènes intimistes, tenant toujours en haleine le spectateur. La séquence de l’intimidation de Roland par des policiers en uniforme toutes matraques dehors compte parmi les plus réussies. James Glickenhaus réalise un film d’action plus malin qu’il n’y paraît, souvent surprenant, porté par un duo d’acteurs excellents. Une petite préférence pour Peter Weller, immédiatement sympathique dans la peau de cet homme en plein questionnement existentiel. Difficile de ne pas s’attacher à ce fan inconditionnel de Jimi Hendrix dont la singularitté s’exprime à travers le choix plus que douteux de ses cravates.

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