CinémaPéplum

Atlas – Roger Corman

 

Atlas. 1961

Origine : États-Unis
Genre : Péplum
Réalisation : Roger Corman
Avec : Michael Forest, Frank Wolff, Barboura Morris, Walter Maslow…

D’un côté, le tyran Praximedes de Seronikos. De l’autre, le roi Telektos de Thenis. Le premier assiège la cité fortifiée du second. La situation s’est encroûtée et pourrait bien le rester encore un bout de temps… C’est pour cette raison que les deux dirigeants s’accordent pour régler le conflit par un duel d’homme à homme. Non entre eux, mais entre leurs champions respectifs. Thenis a déjà le sien : Indros, le propre fils de Telektos. Quant à Seronikos, Praximedes se laisse un temps de réflexion avant d’opter pour Atlas, fraichement consacré à l’épreuve de lutte des jeux olympiques. Chargée de le recruter, la prêtresse Candia mène à bien sa tâche, mais Atlas étant autant philosophe que lutteur, il devine bien vite que Praximedes n’est pas un homme très recommandable…

De passage en Europe pour préparer une ambitieuse production consacrée à Francis Gary Powers, cet aviateur américain pris en flagrant délit d’espionnage par l’Union Soviétique, Roger Corman attendait. Il attendait que son scénariste Robert Towne (promis à une respectable carrière auprès de Arthur Penn, de Roman Polanski ou de Sydney Pollack) daigne lui faire parvenir le scénario qu’il lui avait commandé. Mais celui-ci n’arrivant pas, Corman trompa le temps à Athènes, où il fit la connaissance d’un producteur local avec lequel il ne tarda pas à mettre sur pied une co-production devant être équitablement financée. Cliché grec oblige, et la mode du moment faisant loi, ils se décidèrent pour un péplum. Comme souvent lorsqu’il s’agissait de faire au plus vite, Corman se tourna vers Charles Griffith, déjà mis bien souvent à contribution au cours des années 50, et lui demanda de venir fissa dans la capitale grecque. Arrivé dès le lendemain, le scénariste s’attela à la tâche pendant la pré-production d’Atlas et au contraire de son camarade Robert Towne, qui ne livrera jamais le scénario sur Powers, il respecta son délai. Sur ce, à une semaine du tournage, l’associé grec fit faux bond ! Voilà la moitié du budget envolée, de même que les avantages présentés par un partenaire local, et Corman se retrouva obligé de faire avec les moyens du bord, en compagnie d’une équipe composée en partie de grecs et en partie de ses propres troupes de fidèles, dont les acteurs principaux Michael Forest, Frank Wolff et Barboura Morris. Il y a un peu de L’Anabase dans la préparation de Atlas… Du coup, le très souple Charles Griffith n’eut d’autre choix que de réviser son scénario, et il endossera en sus les postes d’assistant réalisateur, de directeur de production et pour faire bonne mesure, il revêtira le casque corinthien en tant que figurant. Tout comme Corman le fera lui-même, ainsi que Dick Miller, même si ce sera lors de scènes tournées aux États-Unis. Mais ce n’est pas tout, la poisse continua. Faute de budget, il devint illusoire de construire des décors appropriés. Pas d’autre choix que de se rabattre sur de véritables ruines grecques. Pas les plus prestigieuses, bien entendu, puisque les autorités refusaient qu’elles soient investies par toute une équipe de cinéma. Mais il en trouva (quoique pas forcément antiques). Seulement, la proximité d’autoroutes et autres panoramas urbains vint l’empêcher de cadrer avec l’envergure nécessaire pour de semblables décors. Et la gabegie se poursuivit : se furent d’abord les soldats de l’armée grecque, parachutés figurants, qui se mirent à faire n’importe quoi avec leurs casques en papier mâché (voulant être reconnus par leurs proches), puis les techniciens qui se mirent soudain en grève. Corman finit par leur accorder une augmentation, en signant au passage une convention avec eux qui, selon Corman lui-même, marqua un précédent dans le cinéma grec puisque ce fut la toute première fois qu’un producteur acceptait de négocier avec un syndicat du milieu du cinéma, reconnaissant de fait les droits de celui-ci…

Dans un tel contexte, Atlas était fort mal engagé. Comme l’a été Naked Paradise avant lui, et comme le sera L’Halluciné après, il s’agit tout bonnement d’une improvisation. Mais cette improvisation-là est d’une autre nature : quoique peut-être trop hâtivement mis en route, le film aurait eu les moyens de déboucher sur quelque chose si le partenaire grec n’avait pas fait faux bond, entraînant à sa suite une foule de problèmes insolubles qui contraignirent Corman à improviser. Ce n’est pas un film monté de bric et de broc dès le départ, c’est un film qui a dû contourner les obstacles bien malgré lui. Ou plus souvent encore, se les prendre en pleine poire sans vraiment réussir à les contourner. Lorsqu’il réalisait un film de monstre ultra-fauché, type It Conquered the World, Corman s’en tirait à bon compte en assumant pleinement un second degré bon enfant… Il ne peut guère faire de même ici, n’ayant rien de spectaculaire à proposer. Pas même son acteur principal : à la différence des Steve Reeves ou autres Reg Park qui officiaient dans les péplums à gros bras en Italie, Michael Forest n’est pas un monsieur muscles. Même si le nom “Atlas” évoque le plus costaud des mythes grecs, le personnage ne revêt jamais l’aura légendaire d’un demi dieu. Il se bat bien au corps à corps et se révèlera en outre un honorable stratège militaire, mais notre homme est surtout un philosophe avant tout désireux de se frotter à une expérience pratique… Corman tombe à plusieurs reprises dans le cliché de l’antique sagesse grecque, orchestrant des scènes de dialogues sur le sens de la vie qui ne volent pourtant pas bien haut. La philosophie d’Atlas, partagée par ses alliés (dont la prêtresse Candia, quelque peu amourachée), opposée à celle du tyran Praximedes, n’équivaut en fait qu’à l’opposition classique entre le gentil et le méchant. Le premier est généreux, pacifiste, honnête, tandis que le second est manipulateur, tricheur et cynique (au sens contemporain du terme, s’entend : ce n’est certainement pas un disciple de Diogène !). Notons d’ailleurs la présence aux côtés du tyran d’un “philosophe d’Etat”, grand et servile pourvoyeur de platitudes. Bref, un héros et un antagoniste américains classiques… Ce n’est donc pas sur cela que le film emportera l’adhésion : tout son scénario consiste en manœuvres plus ou moins secrètes de la part de Praximedes pour parvenir à ses fins, sous les regards vigilants d’Atlas, désespérés de Telektos et mélancoliques de Candia (et de tous les très convenus seconds couteaux). Il y a de fortes chances pour que Corman n’ait jamais voulu trop mettre en avant ces intrigues de palais, escomptant probablement les utiliser comme de simples justifications pour mettre en scène de magnifiques décors et d’épiques batailles. Sauf que voilà, le budget s’étant fait la malle, il ne peut pas répondre à ces attentes, loin de là… Et pourtant il essaie, mais chaque essai constitue une nouvelle balle que le réalisateur se tire dans le pied. D’une manière encore plus criante que ses films de monstres des années 50, Atlas transpire sa nature de production ultra-fauchée ! L’absence de plans larges est criante, empêchant de donner à cette cité de Thenis toute la majesté d’un décor antique. Le cadre de l’action, déjà restreint, se révèle exigu (ce que la déplorable copie qui a servi pour la rédaction de ce texte n’a fait qu’aggraver) voire tourne à l’auto-mutilation lorsqu’il s’agit de dissimuler qu’en lieu et place d’armées opposées il n’y a qu’une poignée de figurants s’agitant aveuglément dans tous les sens, d’où ressortent quelques figures marquantes qui en sont réduites à de minimalistes corps à corps que même Dick Miller, fugitivement entr’aperçu, n’arrive pas à épicer. Et lorsque la caméra prend enfin du champ, la nature bricolée du tournage apparaît dans toute sa crudité : les plans sont vides… A l’instar du conflit entre Seronikos et Thenis, les problèmes rencontrés par Corman étaient insolubles, et le réalisateur de faire ce qu’il pouvait dans cette voie de garage… C’est à dire pas grand chose.

Atlas est un ratage à peu près sur tous les points… Mais le pire n’est même pas ses qualités cinématographiques fortement contestables. Le pire est que Corman s’est enterré dans un projet sur lequel il a perdu prise, sans jamais réussir à reprendre la main. Ce qui débouche sur un film qui ne fait même pas preuve de l’humour sous-jacent présent dans ses productions fauchées habituelles. A vrai dire, si ce n’était pour la présence de quelques acteurs familiers de son œuvre, on ne dirait même pas un film de Roger Corman. Ni dans l’inventivité -ou l’audace-, puisque Atlas est extrêmement plat narrativement aussi bien que techniquement, ni dans sa tonalité, ni même dans le corpus que constitue sa vaste carrière. Voilà un navet parfaitement quelconque, et qui malheureusement peinera à attirer la moindre sympathie même chez les plus extrêmes adeptes du grand Roger.

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