Appel d’urgence – Steve De Jarnatt
Miracle Mile. 1988.Origine : États-Unis
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De passage à Los Angeles, Harry passe le temps en arpentant les diverses salles du musée d’histoire naturelle. Entre deux reproductions d’espèces disparues, il tombe en pâmoison devant Julie, d’une espèce encore bien vivante, elle. Il en est convaincu, il s’agit de la femme de sa vie. Au moment de leur troisième rendez-vous, un court-circuit dans l’hôtel où il loge l’empêche de se lever à l’heure prévue et le met affreusement en retard. Il se rend en catastrophe au restaurant où Julie travaille mais elle ne l’a évidemment pas attendu aussi longtemps. Dépité, un peu hagard, il répond à un appel téléphonique passé sur la cabine du coin de la rue. Au bout du fil, une voix affolée qui, pensant avoir son père au téléphone, annonce qu'”ils” l’ont lancée. Des missiles nucléaires s’apprêtent à frapper Los Angeles. Dans un peu plus d’1 heure, la ville sera dévastée. Le cœur en friche, Harry n’a plus qu’une obsession : retrouver Julie et tenter de s’enfuir avec elle à bord d’un hélicoptère.
L’Histoire connaît parfois des soubresauts tellement soudain qu’il n devient difficile de tout anticiper, notamment dans le milieu du cinéma où il peut se passer des mois voire quelques années entre le début d’un tournage et la sortie effective du film. Soumis aux caprices du temps, un sujet parfaitement d’actualité peu devenir anachronique en l’espace de quelques mois. Sylvester Stallone en a fait l’amère expérience avec Rambo III. Steve De Jarnatt également dont Appel d’urgence s’articule autour de la peur d’un conflit nucléaire. A sa décharge, son scénario date du tout début des années 80. Il l’a rédigé dans le cadre du département développement de la Warner Bros. Le studio se montre plutôt intéressé par le produit fini moyennant quelques ajustements dont cette fin, jugée trop déprimante. Il a même été question que ce scénario serve de trame à La Quatrième dimension – le film avant que l’idée d’une compilation de sketchs n’emporte l’adhésion. Très attaché à son script, Steve De Jarnatt se félicite de l’aubaine et finit par en racheter les droits afin de pouvoir le mettre en scène comme bon lui semble. Reste à trouver le financement, ce qui n’est pas une mince affaire. En attendant, il se fait la main en réalisant Cherry 2000, romance post-apocalyptique ratée en dépit de quelques bonnes idées éparses. Grâce à la société Hemdale, productrice entre autres de Terminator, Salvador, Platoon ou encore Embrasse-moi vampire, il peut enfin s’atteler à Appel d’urgence pour une première présentation au festival de Montréal en septembre 1988. En France, le film ne sort qu’au mois de février 1990 dans la foulée de sa sélection au festival d’Avoriaz à cause d’un imbroglio juridique avec le premier distributeur. En dépit d’un accueil critique favorable, le film connaît un flop et retourne dans l’anonymat jusqu’à ce que que, chez nous, le film soit édité en blu-ray et dvd dans la collection blaq market au mois de novembre 2017.
Loin de chercher à tourner autour du pot, Steve De Jarnatt place d’emblée son récit sous le poids de l’extinction. Tout en lorgnant Julie du coin de l’œil, Harry assiste en accéléré à l’histoire de l’évolution de la vie, d’organismes unicellulaires jusqu’à l’homme, sans se douter que celle-ci pourrait bien connaître une fin brutale dans quelques jours. La romance entre Harry et Julie fait alors figure de dernier îlot de bonheur dans un monde en sursis. Un instant récréatif qui dans l’esprit du couple ressemble à un idéal, à leur unique raison de vivre. Le récit d’Appel d’urgence se déploie en une boucle, prenant fin là où tout a commencé. Harry et Julie sont prisonniers d’une forme de fatalité qui prend corps au travers des gestes les plus anodins. Harry jette sa clope à peine entamée. Un corbeau la récupère et s’en sert pour renforcer son nid, construit sur des fils électriques. Le nid prend feu, provoquant le court-circuit qui empêche Harry de se réveiller à l’heure prévue. De même, une erreur de chiffre au moment de composer un numéro de téléphone conduit un fils apeuré à révéler le drame à venir à un simple quidam. Lequel, Harry, trouve à une heure avancée de la nuit dans un modeste restaurant de quartier une femme travaillant pour la sécurité de l’État. De grosses coïncidences qui auraient pu servir le propos de l’homme providentiel jetant toutes ses forces dans la bataille pour tenter de sauver l’humanité. Or de cela, il n’en est nullement question. Harry n’a rien d’un héros au sens noble du terme. Lorsqu’il avertit les autres noctambules qui peuplent le restaurant de ce qu’il vient d’apprendre, il le fait davantage pour verbaliser sa sidération que pour lancer une opération de sauvetage. Sa seule pensée va vers Julie, cette femme dont la rencontre a donné in fine un sens à sa vie et qu’il veut retrouver à tout prix. C’est cet amour naissant, ressenti comme une évidence, qui guide les pas de Harry, qui nourrit sa quête. A sa suite, Appel d’urgence joue la carte du romanesque mais un romanesque désespéré, sans issue. L’amour qui le lie à Julie est constamment empêché, ramené à ses balbutiements. Parce que le temps presse, Harry et Julie se font de grandes déclarations, s’imaginent en couple mythique, en derniers représentants d’une espèce vouée à la disparition, en symbole de l’amour avec un grand a. Or ils ne sont que des âmes perdues se rattachant désespérément l’un à l’autre pour se donner l’illusion que leur existence a un sens.
Steve De Jarnatt semble vouloir répondre à ce besoin de manière métaphorique. Il confère un aspect biblique à leur romance, les présentant comme de possibles nouveaux Adam et Eve que de futures générations, ou la nouvelle espèce dominante, observeraient comme le vestige d’un monde ancien. La course contre la montre des noctambules du restaurant convaincus de l’imminence de la catastrophe prend quant à elle des allures d’arche de Noé sous l’impulsion de Landa, l’employée à la sécurité de l’État, qui établit une liste des gens à sauver parmi les plus compétents dans chaque domaine dans le but avoué de recréer grâce à eux la société de l’après. Il n’y a pourtant rien de divin dans ce souffle dévastateur qui s’apprête à tout emporter sur son passage. L’apocalypse nucléaire en approche résulte de la folie ordinaire des hommes, de leur propension à détruire tout ce qui les entoure, convaincus de leur toute puissance et bouffis de leur importance. En cela, Appel d’urgence trouve un écho avec nos préoccupations actuelles, la peur du nucléaire cédant la place au réchauffement climatique et aux bouleversements qu’il induit. Steve De Jarnatt dresse le constat pessimiste, mais lucide, du manque de noblesse chez l’homme. Dans le chaos ambiant, les plus bas instincts de l’être humain s’exacerbent. A l’heure du jugement dernier, les gens pillent, tuent, s’invectivent, protègent leurs biens matériels comme si c’était ce qu’il y avait de plus important au monde, ou copulent avec animalité à même le macadam au milieu de la foule déchaînée. Harry n’est pas en reste, faisant preuve d’individualisme au moment de rejoindre par tous les moyens l’être aimé. Comme galvanisé par l’arme à feu qu’il a récupérée, il se fraie un chemin à grand renfort de menaces, se souciant bien peu des gens qu’il croise. Il ne retrouve un semblant de douceur qu’en présence de Julie dont l’empathie non feinte finit par déteindre sur lui. Plus en retrait, elle n’en demeure pas moins la caution lumineuse du récit, une incarnation de la bonté désintéressée. Dans ce monde en déliquescence, les gestes de fraternité se font rares et tiennent pour la plupart à la recherche d’un être aimé (une sœur, un compagnon). Le plus inattendu d’entre tous vient d’un adepte du sport en salle, pilote d’hélicoptère providentiel qui tient la promesse faite à un inconnu au mépris de sa propre vie. Un geste rendu d’autant plus beau par son inutilité. Ici, point de salut possible et si le film se clôt sur une étreinte, il s’agit d’une étreinte chargée de détresse face à l’inéluctable.
Appel d’urgence prend longtemps la forme d’un cauchemar au sens littéral du terme. Un ressort dramatique souvent déceptif qui était au cœur de ce que la Warner envisageait pour sa version de La Quatrième dimension. Un procédé que Steve De Jarnatt n’affectionne guère mais qu’il s’ingénie néanmoins à suggérer. Après tout, l’intrigue ne démarre réellement qu’au moment du réveil de Harry et la suite des événements prend par instant des atours fantasmagoriques. Cela tient essentiellement aux rues curieusement désertes de Los Angeles, comme déjà vidées de ses habitants. Ou à cette salle de sport déjà ouverte à 5 heures du matin où se pressent des fondus d’aérobic. D’autres détails renforcent cette impression à l’image de ces deux bourgeoises qui se radinent à l’héliport armées chacune d’un pistolet mitrailleur, ou le fait que quoi que tente Harry, il se retrouve toujours ramené à son point de départ, le restaurant où travaille Julie. Steve De Jarnatt place également son récit sous l’égide de la rumeur et des dégâts que celle-ci peut provoquer lorsqu’elle vient à prendre de l’ampleur. Pendant une bonne partie du film, Harry agit en agent infectieux, inoculant la panique partout où il passe (les deux agents de police qui s’immolent accidentellement par le feu) sous prétexte d’annoncer l’imminence de l’apocalypse nucléaire. Par moment, le film se trouve à la croisée des chemins, donnant l’impression de pouvoir partir dans de nombreuses directions, certaines s’avérant plus intéressantes que d’autres. Seulement Steve De Jarnatt a une vision très claire de ce qu’il souhaite raconter, trop peut-être. Cela nous vaut des dialogues très écrits et signifiants qui enlèvent un peu de naturel à cette errance nocturne sur fond d’apocalypse. Le projet d’une vie dont l’aboutissement a jusqu’à aujourd’hui éloigné Steve De Jarratt des plateaux de cinéma. C’est d’autant plus dommage qu’il faisait ici montre d’une sensibilité singulière et d’une approche originale qui ne demandaient qu’à être peaufinées.