CinémaScience-Fiction

Mondwest – Michael Crichton

mondwest

Westworld. 1973

Origine : Etats-Unis
Genre : Science-fiction
Réalisation : Michael Crichton
Avec : Yul Brynner, Richard Benjamin, James Brolin, Michael T. Mikler…

Diplômé d’un doctorat en médecine à Harvard, chercheur en biologie, Michael Crichton est bien placé pour parler de la science et de toutes ses perspectives. Avant même qu’il ait terminé ses études, il écrivait déjà des romans de science-fiction, la plupart sous le pseudonyme de John Lange afin d’éviter le courroux de ses collègues et professeurs, qui auraient peut-être trouvé à redire à ses théories (avec la célébrité, Crichton ne se gênera plus pour polémiquer). Très peu de temps après la fin de son cursus scolaire, le cinéma lui fit du gringue, en commençant par Robert Wise qui en 1971 porta à l’écran la toute première adaptation d’une œuvre signée Crichton, Le Mystère Andromède. S’ensuivirent dans la foulée quelques autres adaptations, puis Crichton entra lui-même dans le milieu du cinéma, d’abord en rédigeant le scénario d’un épisode de la série de science-fiction catholique Insight, puis en écrivant et en réalisant Pursuit, un téléfilm conçu avec le même pseudonyme de John Lange. En 1973 (les choses allaient très vite à cette époque-là), Mondwest fut donc officiellement le premier film de cinéma de Michael Crichton.

Dans un avenir très proche, le centre de loisirs Delos fait sensation avec un concept novateur : il est composé de trois mondes (l’antiquité, le moyen-âge et le far west) recréés à l’identique et peuplés de robots sur lesquels les touristes peuvent se défouler après avoir choisi l’une des trois destinations proposées. Ces machines à l’apparence humaine et à la technologie très avancée sont programmées pour satisfaire les clients, et en coulisses les techniciens de Delos s’activent pour que tout se passe au mieux, pour contrôler et réparer les robots endommagés. En principe, rien ne peut leur échapper. Et pourtant l’impensable arrive.

Ancêtre thématique d’un Jurassic Park adapté de Crichton, Mondwest est plus qu’une jolie alternative pour ceux qui reprochent à Steven Spielberg d’avoir cédé aux tentations envahissantes du grand spectacle en réduisant son discours alarmiste à une simple excuse pour mettre en branle l’inévitable machine hollywoodienne. Dans Mondwest, tout est subordonné à la vision d’un réalisateur scientifique mettant en garde ses semblables contre l’utilisation mercantile de progrès scientifiques trop tôt considérés comme maîtrisés. A l’instar de Mary Shelley et de son mythe de Frankenstein, Crichton imagine une humanité capable de créer de toutes pièces de nouveaux êtres vivants censés rester sous la domination de leurs géniteurs humains. Lucide vis-à-vis d’un milieu qu’il connaît bien, celui de la science, l’auteur / réalisateur souligne la prétention de ces savants se croyant égaux à Dieu, ou selon les croyances, au-dessus de la nature. Mais à la différence de Mary Shelley, son thème n’a rien de romantique et ne développe que peu de tragédie. Bien fades sont les inventeurs de Mondwest : ce sont des scientifiques en blouse blanche presqu’anodins, des figures dépassionnées enterrées dans des bunkers devant des moniteurs de contrôles, des consoles de gestion ou des circuits électriques à réparer. Leur fierté scientifique d’être à la tête d’une telle entreprise n’existe pas ou se retrouve exploitée à des fins mercantiles destinées à convaincre les touristes potentiels de venir à Delos, haut-lieu de la magie technologique. Une magie totalement factice, représentée à l’écran par le contraste qui oppose d’une part les trois mondes hauts en couleurs vendus aux touristes à grands renforts de sensationnalisme promotionnel et d’autre part l’environnement froid et même éthéré qui caractérise l’environnement de ces scientifiques ayant vendu leur technologie de pointe aux hommes d’affaires propriétaires de Delos (qui se gardent bien de savoir ce qui s’y passe). Bref cette conception de la science est gonflée d’orgueil, l’homme se prend à manipuler machinalement des créations encore peu maîtrisées (les techniciens de Delos avouent eux-mêmes employer des éléments dont ils ne savent rien) dans un but financier, oubliant un peu vite que la technologie de pointe n’est pas quelque chose de futile. Dans leur orgueil, ils manquent de remarquer qu’ils ont eux-même conçu ce qui leur sera fatal. Convaincus de leur capacité à tout contrôler, ils ont conçu tout le parc avec des systèmes électroniques ou technologiques. Ils se sont eux-mêmes fourrés dans un piège qui ne pouvait que leur exploser à la gueule. Le thème de cette technologie prenant le pas sur ses initiateurs n’est pas nouveau. Un film comme Le Cerveau d’acier de Joseph Sargent en faisait déjà usage peu de temps auparavant dans le contexte de la défense nucléaire “automatisée”. Mais Mondwest possède quelque chose de particulier, un certain minimalisme et une certaine froideur qui en font un film à part, également fort différent de ce que sera Jurassic Park (qui ne fera finalement que substituer la génétique à la robotique, signe de son époque).

Sa froideur, Crichton la place également hors des coulisses de Delos, qui ne nous sont montrées que furtivement. Elles envahissent les trois mondes, à commencer par celui du far west, principal théâtre de l’action concentrée autour de deux amis, John Blane (James Brolin) et Peter Martin (Richard Benjamin), sur lesquels le réalisateur ne donne pas de détails superflus. Ils sont vus comme des touristes standards, venus pour prendre du bon temps susceptible de leur faire oublier leurs problèmes domestiques. En ne les voyant pas autrement que comme les gogos de base (sans trop en rajouter non plus pour ne pas verser dans la comédie), Crichton lève l’idée que non seulement les scientifiques ont fortement tendance à pervertir leurs découvertes, mais en plus le grand public lui aussi se repose abusivement sur cette technologie qu’on lui dit maîtrisée. Toujours prompt à verser dans les excès quand on le lui permet, le touriste n’hésite pas à faire l’amour aux robots-prostituées, à se battre et à tuer ses ennemis mécaniques programmés pour mourir (les armes du far west, équipées d’un détecteur thermique, ne tirent pas sur ce qui dégage de la chaleur -comme le corps humain-… en revanche on ne nous dit pas comment les médiévistes parviennent à se reconnaître entre humains pour éviter de s’embrocher à l’épée). En décrivant tous ces visiteurs appelés à se libérer de leurs inhibitions sous couvert de divertissement, et ce avec la caution scientifique, Crichton ne manque pas d’égratigner la masse aisée, forte de ses vaniteuses assurances, débarquant dans un environnement qui lui est étranger. Quelque part, les visiteurs de Delos incarnent la suffisance des touristes occidentaux partis se dorer la pilule dans des pays exotiques. Ils ont beau être ridicules (ces hommes sans charisme et obèses, qui s’improvisent shérifs ou seigneurs médiévaux), ils sont riches avant tout, et puisque “le client est roi” ils s’attendent à être à l’abri de toute gêne. Nonobstant le total manque d’émotion des robots de Delos, la revanche prise par les machines a quelque chose de naturel, voire paradoxalement d’humain. Les touristes, les scientifiques et les patrons de Delos se voient punis de leur désinvolture, et ce d’une superbe manière posant les prémisses du Terminator de James Cameron. Bien qu’elle concerne tous les robots (serpents mécaniques inclus) et tout le système électrique du parc, cette revanche se trouve représentée sous le format anamorphosé de Crichton par la présence d’un pistolero mécanique incarné par Yul Brynner (et calqué sur le personnage que l’acteur interprétait dans Les 7 Mercenaires). Déjà plusieurs fois envoyé au tapis par le tandem John Blane / Peter Martin, le “gunslinger” revient une ultime fois, profitant de la confiance de ses antagonistes pour leur imposer violemment la surprise de la défaillance du parc. Une longue course poursuite à travers les quatre mondes (les trois ouverts aux touristes, plus celui des techniciens) s’engage, pendant laquelle le robot inscrira son nom au panthéon des grands “méchants” du cinéma américain. Ses yeux sont désormais d’une étrange couleur argentée, le regard de Yul Brynner est inexpressif, ses mouvements sont mécaniques, le “gunslinger”, quoique lent, est inarrêtable, son champ de vision informatisé (première utilisation du numérique en 2D au cinéma) trahit son manque d’empathie et la menace qu’il représente est décuplée par la très inquiétante musique de Fred Karlin. Autant que l’ancêtre du Terminator, il incarne le pistolero ultime, voire même anticipe la figure type des machines à tuer du style Michael Myers ou Jason Voorhees. Pour l’un de ses tous derniers rôles, Yul Brynner fait très fort. Le voir débarquer silencieusement tout au fond d’un couloir sombre et bétonné (dans les coulisses du parc) n’est pas seulement inquiétant : c’est aussi le symbole d’un monde déshumanisé créé par des humains sûrs d’eux-mêmes mais piégés par des robots que l’on a mis en position de force. On retrouve l’idée de la responsabilité des créateurs pour toute forme de vie créée, qui ne demande qu’à s’affranchir (là encore, le sujet sera le point de départ de Jurassic Park à travers le personnage de Ian Malcolm).

Modèle de science-fiction intelligente plaçant l’homme face à ses propres contradictions (chose radicalement différente de la science-fiction “extra-terrestre” et ses menaces venues de l’espace -d’ailleurs les trois mondes très cinématographiques de Delos n’étaient a priori guère compatibles avec la science-fiction-), Mondwest est non seulement un excellent film, mais aussi un film prophétique annonçant le futur dépassement de l’homme par ses propres créations, un peu dans la mouvance d’écrivains de science-fiction tels Asimov ou K. Dick. Trente-cinq ans plus tard, maintenant que plus grand monde ne peut survivre sans son téléphone portable, il serait légitime de commencer à s’interroger sur le degré de contrôle qu’exerce l’électronique sur l’homme. Aidée par son utilisation commerciale, la technologie s’est déjà rendue vitale dans l’organisation sociale du monde, et de plus en plus, des loisirs. Elle s’est repandue partout, mais pour autant, les études se montrent encore incertaines concernant la sécurité d’utilisation de certains éléments…

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