CinémaPolar

Brigade spéciale – Umberto Lenzi

brigadespeciale

Roma a mano armata. 1976.

Origine : Italie
Genre : Polar
Réalisation : Umberto Lenzi
Avec : Maurizio Merli, Tomas Milian, Giampiero Albertini, Arthur Kennedy…

Dans une Rome rongée par la violence, le commissaire Tanzi (Maurizio Merli) ne tient plus en place. Ses hommes, ses supérieurs et même sa copine l’ennuient avec leur respect de la loi. Ils lui font la morale, entravent sa lutte contre le crime et l’empêchent par conséquent de démanteler le gang des marseillais et ses nombreuses ramifications.

Umberto Lenzi n’en était pas à son premier polar quand il réalisa Brigade Spéciale. Il avait même déjà attiré l’attention grâce à son excellente Rançon de la peur, un polar très noir qui marqua sa première rencontre avec l’acteur Tomas Milian. Un duo qui allait perdurer plusieurs années pour laisser une empreinte mémorable dans le polar italien. Cependant en 1975 un autre acteur se fit connaître et apprécier grâce au Roma violenta de Marino Girolami (père d’Enzo Castellari) : Maurizio Merli. Jusqu’ici acteur de seconde zone, principalement aperçu à la télévision, le moustachu reprit à son compte le personnage de l’Inspecteur Harry et s’imposa comme un acteur physique, parfait pour les rôles de flics brutaux pas trop regardants sur les méthodes à employer pour combattre le crime. Son Commissaire Betti, car tel fut le nom de son personnage dans le film de Girolami, allait donner des idées au bon vieux Lenzi, jamais en retard d’une exploitation et guère perturbé par une séquelle tournée immédiatement à la suite de Roma violenta. Plutôt que de confier à sa propre vedette Tomas Milian un rôle similaire à celui de Betti, il allait engager Maurizio Merli lui-même, aidé en cela par son Luciano Martino de producteur. Avec l’apparition de Betti dans Un Flic en jean / Opération Jaguar (à ne pas confondre avec le SOS Jaguar / Opération casseurs de Lenzi-) et avec son rôle de Tanzi dans Brigade spéciale, 1976 allait être l’année du Merli. Le film d’Umberto Lenzi, d’abord pensé pour être un film d’espionnage, devint un polar sécuritaire sous la plume de Dardano Sacchetti, grand scénariste qu’on ne présente plus. Avec Tomas Milian dans la peau d’un bossu criminel cradingue, ouvrier dans un abattoir (c’est dire sa finesse), la confrontation entre les deux personnages ne pouvait aboutir qu’à quelque chose de spectaculaire. Elle dépassa même les limites du cinéma, puisque les deux acteurs se prirent d’inimitié l’un pour l’autre, avec un conflit d’égos et de tempéraments entre nos deux grandes gueules. Certaines rumeurs affirment que les combats opposant Tanzi au bossu n’auraient pas été si fictifs que cela… Mais pouvait-il vraiment en être autrement, avec un réalisateur qui ne se repose jamais et demande à ses acteurs d’être constamment sur la brèche ?

Minime, le scénario de Brigade spéciale se résume en gros au jeu du chat et de la souris. Tanzi cherche à retrouver Farrander, le marseillais, et ne rencontre que ses subalternes, dont le bossu fait parti. Alors forcément, ça l’énerve, Tanzi. Autant que cette putain de loi qui l’empêche de faire son travail. Telle une centrale ukrainienne aux belles heures de la perestroika, Maurizio Merli traverse le film sous pression, et semble toujours sur le point d’exploser. Les torgnoles qu’il assène à ses ennemis ne lui procurent qu’un trop court soulagement, heureusement compensé par les nombreuses occasions qui surgissent sur sa route. Au strict plan de la violence, la première rencontre entre Tanzi et le bossu renvoie l’Inspecteur Harry dans ses foyers : à une interpellation plus que musclée succède un interrogatoire bodybuildé dans lequel le flic entre dans une colère noire dès que l’infirme prononce le mot “avocat”. Cadrant au plus près, la caméra de Lenzi est indéniablement voyeuse, voire crapoteuse. Il en sera de même pendant tout le film avec une régularité de métronome, au gré de l’histoire principale mais aussi des digressions tout aussi violentes : une bande de fils à papa inspirés par Orange mécanique tabassent un prolo et violent sa copine, et Tanzi vient les traquer jusque dans une salle de jeu, où il défonce un flipper avec la tête du meneur. Une jeune femme se fait frapper et voler son argent, et Tanzi qui passe par là coupe la route au voleur avant de lui allonger une série de mandales dont il se souviendra. Une autre est retenue comme esclave droguée par un sadique (joué par Ivan Rassimov), et là c’est carrément jusque sur les toits de la ville que le commissaire va tenter de faire justice. Toutes ces digressions prouvent une chose : Tanzi est le seul espoir des honnêtes citoyens, qui eux aussi pâtissent d’une justice laxiste constituant le terreau d’une criminalité envahissante, qui guette tout un chacun à chaque coin de rue. En ayant recours à ces digressions, qui peuvent survenir n’importe quand, Lenzi dessine une capitale italienne invivable, où n’importe quel badaud est soit une victime en devenir soit un criminel.

La colère perpétuelle de Tanzi repose sur une véritable humanité, celle de la compassion. C’est pourquoi il ne devient courtois et bien-intentionné qu’avec les victimes, n’oubliant jamais d’appeler les secours. Ses collègues et supérieurs n’osent l’encourager par peur d’avoir eux aussi à faire face à la loi, mais en privé ils ne cachent pas leur approbation, l’un d’entre eux (joué par Giampiero Albertini) finissant même par essayer timidement de marcher sur ses pas. Tanzi incarne tout ce qu’ils n’osent pas être, et c’est probablement ce manque de couilles qui dérange le brutal commissaire. A vrai dire seule une personne n’est pas d’accord avec Tanzi : sa petite amie sociologue, qui croit dur comme fer en sa capacité à faire revenir des délinquants sur le droit chemin. Elle ne croit pas en la destinée, pour elle tout est question de contexte social. Ses “âneries sociologiques” comme les appelle Tanzi ne tiendront pas bien longtemps devant les faits : deux jeunes voleurs à la tire qu’elle a remis en liberté trouveront la mort dans un accident consécutif à un larcin. Ce qui fait dire à Tanzi que la prison leur aurait évité ce destin. Ébranlée, la jeune femme posera les armes lorsqu’elle sera elle-même prise à partie par les membres du gang des marseillais. Elle quittera alors la ville, laissant un peu plus de champ libre à son homme, qui n’avait pas manqué de la prévenir. Bien entendu, le propos sécuritaire de Brigade spéciale est indéniable. Lenzi cherche à prouver que la situation de Rome en ces années de plomb est devenue critique, et que le stade des analyses est désormais dépassé. Du reste Lenzi ne désigne aucune classe sociale comme étant plus innocente qu’une autre : les bourgeois aussi bien que les prolétaires peuvent intégrer le milieu du crime, et il serait futile de chercher à faire la distinction. Le bossu dit lui-même que le prolétaire qu’il est ne rechigne pas à travailler pour des bourgeois, du moment qu’il obtient le pourcentage qu’il souhaite. En cela aussi, il est sans foi ni loi. Tomas Milian est prodigieux en Quasimodo narquois, pleurnichard quand ça l’arrange (le fameux interrogatoire) et ultra-violent à d’autres moments. Ses yeux rouges et son visage marqué laissent à penser qu’il a encore dû utiliser la même préparation que pour La Rançon de la peur… c’est à dire l’usage d’alcool et de stupéfiants.

Évidement, Brigade spéciale fut taxé de fasciste par la presse italienne. Encore une bien grande accusation, révélatrice de la position inconfortable des idéologues de gauche sur un sujet tel que la criminalité. Comme pour L’Inspecteur Harry, s’il est évident que le film penche vers la branche répressive, avec des arguments un peu trop cinématographiques pour être honnêtes (vu la situation, il est difficile de ne pas encourager Tanzi) et s’il leur ajoute même un relent misogyne (soit les femmes disent des conneries soient elles sont maltraitées, mais en tout cas elles ont toujours besoin d’un mâle comme Tanzi), on peut cela dit facilement réfuter cette accusation en remettant les choses à leur place, c’est à dire en rappelant une nouvelle fois que le fascisme est tout un système politique populiste qui ne se limite pas aux brutalités policières. De plus, à force de se montrer aussi violent, Lenzi finit par frayer avec l’humour, jouant beaucoup avec la personnalité brute de Tanzi et se plaisant à le soumettre à tout un tas de circonstances qui n’ont qu’une finalité : l’énerver davantage. Le caractère provocant du bossu fait figure de précurseur au fameux trublion Monnezza (joué également par Milian) qui sera plus tard à l’affiche du Clan des pourris. La mutation de Tanzi au service des licences commerciales, boulot de gratte-papier par excellence, est également une marque de dérision ne pouvant aboutir qu’à la fureur du commissaire, qui demandait à corps et à cris la création d’une brigade spéciale. La couarde passivité de l’administration est en fait en complet décalage avec Tanzi, et les hommes comme le bossu en profitent pour se payer sa tête. En quelque sorte, l’humour de Brigade spéciale est un dérivé du picaresque Don Quichotte, sauf que la folie du preux chevalier est remplacée par celle de l’administration, qui s’évertue à rendre stériles les enquêtes du commissaire Tanzi. Et puis la méchanceté du film est à ce point complaisante (le bossu qui détourne une ambulance sans se soucier du malade en phase terminale) qu’il est difficile d’en vouloir à Lenzi et à son spectacle total qu’on ne peut qu’apprécier…

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