3ème festival de la bande dessinée de Lyon – 7 et 8 juin 2008
Les 7 et 8 juin 2008 avait lieu le 3ème Festival de la Bande Dessinée de Lyon. Fort de mon expérience de rédacteur en chef et reporter pour le Tortilla Times, j’écrivais aux organisateurs de cet évènement un mail pour savoir s’il était possible d’avoir une accréditation presse. Trois jours plus tard, je recevais une réponse positive à ladite demande.
Je me rendis le jour J à la Bourse de Lyon, devenue Chambre du Commerce et de l’Industrie. C’est un magnifique bâtiment du 19ème siècle qui mérite le détour à lui seul. Du coup, l’excursion dans ce festival devenait pour le passionné de BD que je suis et l’étudiant en histoire que j’étais (et que je suis encore un peu, si je vous jure madame le professeur) une journée où ma curiosité avait tout pour être satisfaite. J’avais déjà pu entrer dans la bâtisse et apercevoir la fameuse Salle de la Corbeille, mais là, on avait même accès au premier étage et sa salle Tony Garnier, lieu des conférences.
Accompagné par une assistante des plus jolies sortant tout juste de chez le coiffeur, nous entrons timidement dans le lieu du festival.
La Salle de la Corbeille est remplie de monde et quelques dessinateurs sont déjà au travail.
Il est environ 14 heures ce samedi et mon premier réflexe et de voir où se trouvent Boulet et Plessix. J’ai dans mon sac le dernier Donjon, « au cas où l’envie de faire la queue me prendrait » et elle ne m’a pas pris… Boulet est un peu comme sur son blog, roux. Ce qui en soit n’a rien de préjudiciable bien évidemment. Je cherche Plessix, il n’est pas à sa place. Un tirage au sort est organisé. Pas de queue devant son stand donc. Il faudra gagner le tirage au sort pour avoir droit à une dédicace. Si vous n’êtes pas à l’heure tant pis pour vous. On peut comprendre l’intérêt, mais mon assistante et moi sommes un peu déçus quand même. Cela dit, ça évite des attentes de plus de deux heures comme il est arrivé à un de mes camarades qui rêvait d’une dédicace de Rossi. Je le comprends tant ce dessinateur a du talent. Quoiqu’il en soit on continue notre chemin. J’ai envie d’apercevoir Gally que j’ai découvert grâce à son blog, je l’aperçois, elle a du monde à son stand, c’est une bonne chose, on continue. On arrive au fond de la salle, un atelier est organisé pour apprendre à dessiner. Ah ah ! Il ne sait pas sur qui il est tombé le monsieur ! Pourtant, très simplement, il nous expose son cours, et à le regarder, j’ai l’impression que c’est vachement simple ! Alors je sors mon cahier sur lequel j’ai prévu de prendre des notes et j’essaie de faire comme le monsieur. Il dit qu’un cercle se fait en deux coups. Deux demi-cercles donc… J’essaie, mon cercle est raté… Ensuite, il explique qu’il faut couper le cercle verticalement en deux, puis horizontalement, je m’exécute comme vous pouvez le voir… Ensuite, les yeux doivent être au milieu et le nez aussi et la bouche entre le nez et le menton… Pour les oreilles elles partent au niveau des yeux jusqu’au nez. Je rajoute les sourcils pour informer de l’humeur de mon bonhomme, résultat, il a l’air assez heureux, malgré sa laideur. Comme quoi on peut être moche et heureux !
Mais malgré tout c’est hyper intéressant ! Enfants, parents et grands-parents suivent ça avec attention. Le professeur, très dynamique, nous offre une démonstration très ludique, c’est passionnant. Il a pris le parti de nous prouver que c’est facile de dessiner. Ça ne l’est absolument pas. Comme je suis nul pour faire des cercles, je m’essaie au carré…
Il continue, nous explique ce qu’il faut faire pour créer des émotions sur un visage et il en vient à nous demander comment qu’on fait pour dessiner un enfant. Alors y’a un malin qui dit que c’est par rapport à la taille, bé oui, pourquoi je n’y ai pas pensé ! Mais ce n’est pas ça. C’est tout simple, comme je l’ai illustré ci-dessus, le trait horizontal, on le fait un peu plus bas, et pas au milieu ! Et le résultat est frappant ! Enfin, sur l’exemple qu’il donne, pas sur le mien. Du coup, toute sa démonstration tient sur de la géométrie, et ça je saurais faire avec un bon compas, une règle, un rapporteur, moi, fervent admirateur de Thalès et Pythagore. Alors je ressaie et ça ne donne vraiment rien. Avec quelques instruments, je mettrais Picasso dans les cordes, enfin bref…
Il repasse au feutre son travail réalisé au crayon (faut toujours bosser au crayon quand on dessine, mais sûr de moi j’ai fait direct au stylo ouais !) et sort sa gomme pour effacer les traits en trop. Sa gomme est blanche et il nous la présente comme l’élément indispensable à tout bon dessinateur, tous les dessinateurs l’utilisent, même les meilleurs. Il la lève de son bras droit, fièrement, et je ne peux m’empêcher de penser à Larcenet dans Retour à la terre, lorsqu’il refuse de travailler avec une gomme rose parce qu’elle fait des trous dans ses feuilles.
Le professeur en vient à nous parler de dessiner les visages en trois-quarts, mais comme je suis déjà perdu avec le visage de face, on quitte la salle, persuadés qu’on vient d’apprendre une grande leçon qu’on n’aura jamais les moyens de mettre en pratique.
Il va être 15 heures. Mon assistante et moi, main dans la main (oui bon, et alors ?), nous montons les escaliers et entrons dans la Salle Tony Garnier où a lieu une conférence sur le métier de scénariste. Juste avant d’entrer, un atelier peinture sur soie est offert au public, c’est assez impressionnant et comme ça m’impressionne un peu trop je préfère passer mon chemin.
La conférence sur le métier de scénariste est animée par un membre de l’Epicerie Séquentielle. Le scénariste, bien qu’encore novice, nous sert là un discours très intéressant, personnel certes, mais rempli d’une passion non dissimulée.
Jean-Christophe Deveney prend le micro et commence à nous présenter son œuvre, ses projets. Il raconte qu’il scénarise une histoire humoristique de gags réalisés sur une seule page qui se passe dans le Japon médiéval. Il avoue la difficulté de l’exercice, généralement, la plupart des BD humoristiques sont insérées dans un univers connu, donc plutôt contemporain. Il faut que le lecteur sache où il est, que l’univers lui soit familier. (On pense à Boule et Bill, Gaston Lagaffe, Snoopy, Calvin et Hobbes…)
Quoiqu’il en soit, après nous avoir fièrement annoncé qu’il avait signé quatre contrats avec des éditeurs dont un projet d’adaptation de Phèdre (il précise de Racine, j’avais pensé à Platon et ça m’avait laissé perplexe), il en vient enfin à son métier. Même s’il avoue qu’il ne peut pas vivre de cette activité, il n’en reste pas moins que les idées fusent dans sa caboche.
Il commence par nous expliquer son rapport avec le dessinateur. Il explique que son intérêt est de faire de ce dernier un co-auteur à part entière, qu’il cherche à éviter le côté exécutant, qu’il cherche dans son travail un échange avec l’homme de dessin. Il avoue néanmoins que certains dessinateurs désirent seulement le scénario ou le story-board et ne pas s’investir dans la partie écriture.
Ce qu’il aime par dessus tout, c’est écrire les dialogues. Je le comprends. Quel plaisir de créer un caractère juste à travers des causeries ! Il apporte aussi du rythme à son histoire, ce qui est complété bien évidemment par le travail de mise en scène. Scénariste synonyme de metteur en scène ? Deveney cherche donc le travail en équipe, l’échange entre deux artistes. Mais force est de constater que certains dessinateurs s’en déchargent. Du coup, le scénariste se voit contraint de présenter un story-board remplis de « patatoïdes ».
Il estime qu’il lui faut deux à trois mois pour écrire un album.
Pour lui, la création, c’est lâcher prise, aller dans l’inconscient de l’écriture, dans l’imaginaire total. Il faut laisser tout sortir, ne pas s’imposer de contraintes. Ça, c’est au départ. Ensuite, il va falloir structurer, enlever des choses, des pistes. Des pertes ? Non, ce qu’il enlève, il le réutilise ailleurs.
On passe un long moment sur la BD dite de gag. Il explique donc la nécessité de poser l’action dans la contemporanéité, il faut aussi aller directement à l’action, pas le temps de développer la psychologie des personnages, ensuite, faut enchaîner les péripéties pour arriver au climax (l’apogée de l’action nous explique-t-il, jargon de scénariste), puis la chute.
C’est intéressant cette explication de la structure d’un gag. Je me demande néanmoins si cela s’applique à tous les types de BD humoristiques. Le principe narratif qu’il nous expose est assez simple et pourrait s’appliquer à de nombreuses BD, même non humoristiques. Cependant je pense au strip, Calvin et Hobbes. Y’a t-il une structure ? Schulz avec ses Peanuts, s’imposait-il une structure narrative sur ses trois cases ?
Je repense à la contemporanéité nécessaire semble-t-il dans les gags en une page. Deveney a créé une BD qui se passe au Japon. Gnomes de Troy a un style fantastico-médiéval. Est-ce vraiment une obligation pour être drôle ? J’en viens au fait que le plus important reste un univers familier. Un univers qu’on reconnaît rapidement. Pour avoir un petit peu feuilleté les pages de la BD de Deveney (Pitchusan), l’univers qu’il nous présente ne nous est pas difficile d’accès. Il reprend des thèmes occidentaux et joue sur les clichés. Du coup, ça fonctionne aisément.
Cependant, je lui pose la question : comment être original aujourd’hui dans le gag ? Une fois qu’on a vu Gaston tomber dans les escaliers, c’est pas en faisant tomber un samouraï qu’on va se poiler, lui dis-je.
Il me répond qu’on ne peut pas être original, donc faut en rajouter. Avec son humour bien à lui dont il nous gratifie depuis le début de la conférence (j’avoue avoir bien ri, personnage très drôle qui donne envie de lire ses BD), il répond ironiquement qu’il faut faire tomber le personnage sur une tronçonneuse, ce genre de choses, qu’il faut en rajouter. Je réplique : c’est donc de la surenchère. Oui, répond-il. Je tique.
Je n’aime pas le principe de la surenchère, tout ce que le beau Hollywood nous pond depuis quelques années. Plus de violence, plus de sexe, plus de sang, comme si un bon film s’appréciait en ces termes. J’avais alors le sentiment que la BD avait réussi à éviter de tomber dans ce piège ou n’y était pas encore tombée. Mais cet aveu m’indigne. On ne peut donc plus être original ? Le fait d’avoir voulu créer une BD humoristique dans le Japon médiéval est déjà en soi une originalité, et surtout un risque. J’avoue que personnellement, et ce n’est que mon avis, la surenchère m’ennuie profondément. Il n’y a pas d’intérêt à refaire la même chose avec plus de violence ou de sexe… Ou alors faut m’expliquer.
Le public en désire davantage ? Je reste dans ma référence cinématographique : prenons le genre horreur. Allez visiter les forums de cinéma gore, les fans de la belle époque sont plutôt assez sceptiques quant à ce nouveau gore qui envahit les écrans aujourd’hui. Un nouveau genre qui répond surtout aux logiques des grands studios et qui se construisent en appliquant un principe très simple : il faut en donner plus au public. Du coup les films répondent à une demande de violence qui n’a pas lieu d’être dans une logique cinématographique. Prenez un film comme Saw. Les suites ne sont qu’un ramassis d’accumulation de violence, il faut en rajouter pour satisfaire un quelconque appétit. Le public est ravi ? Mais l’intérêt artistique ? Zombie de Romero avait au moins l’intelligence d’être un film politique critiquant fermement la société de consommation. Mais passons. Si la BD répond à l’attente du public (elle le fait déjà cela dit), mais surtout si un auteur avoue que sa solution c’est la surenchère, alors me voilà bien avancé. Ce n’est pas la réponse à l’art et je suis persuadé qu’il est possible de renouveler. La nouvelle vague BD, dans les années 90, portée par Trondheim, Sfar ou Larcenet (et d’autres encore) ont réussi à éviter le piège de la surenchère. N’est-il donc pas possible de faire autrement ? Je pense que si.
Je suis donc gêné par sa réponse, ce terme de surenchère. Si c’est surenchérir pour offrir plus, je ne suis pas vraiment pour (mais ça peut être bien fait cela dit), mais si c’est surenchérir dans une logique scénaristique, oui pourquoi pas, faut voir.
Les gens dans le public posent des questions, c’est plutôt vivant et JCD s’avère plutôt à l’aise et très drôle. Il ne peut pas vivre de ses écrits et bosse ainsi pour l’école des Arts appliqués de Bellecour à Lyon ainsi que dans le jeu vidéo.
Je lui demande ses références : Van Hamme (Thorgal), Morvan (Sillage), Goscinny (Astérix). Je suis étonné d’entendre Van Hamme. Pour beaucoup, il est devenu un gros mot tellement il est tombé dans la médiocrité ces dernières années avec certaines BD (fin de XIII en particulier). Je repense alors à ce bouquin paru chez Niffle sur Van Hamme (un entretien avec Frédéric Niffle) où il explique son travail. Je me souviens plus particulièrement d’un passage où il développe le problème de la page blanche. Il dit qu’il se force malgré tout à rester à son bureau, à travailler et qu’à un moment ça finit par venir. Il ne faut pas attendre l’inspiration, faut aller la chercher.
Avant que la conférence ne commence, JCD lâche qu’il a signé chez Soleil et que ces derniers lui imposent un cahier des charges. Je reviens donc là-dessus, c’est quoi cette histoire de cahier des charges ?
Il me dit que c’était pour rire et que je n’ai toujours pas compris son humour. Je réponds que de la part de Soleil, ça ne m’aurait pas étonné. Je me surprends à dire ça à voix haute. Mais pourquoi tant de haine ? Est-ce ma déception de la part de cet éditeur qui était parti sur de bonnes bases (Lanfeust de Troy), non pas installé à Paris mais à Toulon (qui avait donc fait le choix de rester éloigné de la capitale dans un pays où tout est centralisé, même la culture) et qui a envahi les rayons BD d’immondices sans noms ? J’exagère. Mais force est de constater que Soleil est très vite tombé dans la BD grand public en oubliant la fantaisie de ses débuts avec des œuvres plus riches et moins faites à la va-vite. Tant pis. C’est l’impression que j’en ai. Bref, peu importe.
La conférence s’achève, on a passé un bon moment. Mon assistante, novice dans la BD, est ravie. Pour ma part, je ne suis pas mécontent, voilà là une superbe initiative que cette conférence. Je crains que sans ce genre d’animation, le festival aurait été un bête salon de dédicaces sans grand intérêt.
On reste au premier étage, mon assistante a soif, il y a un bar plus loin, mais on préfère boire notre eau et ne pas envoyer de notes de frais au journal. On se rend dans la salle réservée aux fanzines et je reste accroché à Mikromix. Je feuillette, ça me plait. Je demande à en acheter un (1 euro). L’homme derrière son bureau me demande si j’ai le temps pour qu’il m’en fasse une devant moi ou une déjà faite. J’aimerais le voir travailler et le voilà commençant à me faire une petite aquarelle des plus jolies. L’homme s’appelle Dufournet et est dessinateur amateur. Son travail est vraiment très bon, je n’ose pas lui demander s’il aimerait faire de la BD pro, il a un métier, la barbe et les cheveux grisonnants, et sa fille, jeune adolescente, dessine à côté de lui. Elle a déjà le coup de crayon, et ça m’énerve qu’une gamine sache dessiner et pas moi… Dufournet est très sympa et paraît réservé. Je lui demande comment il imprime son fanzine car notre association souhaite créer un fanzine littéraire. Il m’explique et semble curieux et intéressé. Il me donne quelques conseils avec cela. Merci. Une fois sa dédicace terminée, il me souhaite bon courage pour la suite et me demande de le tenir informé de l’évolution de notre projet. Je n’y manquerai pas. De plus, il me laisse l’adresse de son blog.
Des amis nous rejoignent mais ne restent pas longtemps, peut-être déçus, il est vrai qu’il faut venir avant tout pour les dédicaces, cela s’adresse à un public bien précis. On redescend et on retrouve un ami qui attend toujours pour Rossi. Cela fait deux heures. Il aimerait aller voir Boulet et hésite à revenir le lendemain.
Après une conversation sur l’œuvre de Rossi et Le Tendre, notre camarade nous parle de son mémoire. Il traite en effet du magazine Pilote et d’un autre dont j’ai perdu le nom à l’heure où j’écris ces lignes. Il essaie d’en tirer des leçons politiques, mais peine à mettre le tout en valeur. Quoiqu’il en soit, ses lumières sur l’univers de la BD nous éclaire sur pas mal de sujets. On en apprend pas mal sur Rossi, que je n’ai jamais lu, et j’ai bien envie de me précipiter dehors, sur la petite place devant l’entrée du festival où des bouquinistes vendent des BD à des prix pas très attractifs, mais tant pis. J’ai envie de me jeter sur La Gloire d’Hera (dont le scénariste est Le Tendre) ou encore W.E.ST (avec au scénario Dorison Xavier et Nury Fabien). Je ne le fais pas, ma bibliothèque manque de place. Et puis l’éducation nationale paye mal. (Si si !) On laisse notre compagnon à Rossi et nous remontons dans la Salle Tony Garnier pour assister et pourquoi pas participer aux enchères organisées par l’Épicerie séquentielle à leur profit. Il est 17 heures, et Jean-Christophe Deveney (qui avait donc au préalable animé la conférence sur le scénario) nous invite à acheter des objets inutiles pour que l’Épicerie séquentielle puisse s’acheter de l’alcool et se payer des restos.
Tous les objets sont annoncés à 10 centimes. Il y a des cartes postales Lincoln, Indian Tonic (tome 2 de Lincoln) en version néerlandaise (à savoir qu’à Lyon, dans l’univers de la BD, Lincoln est LA référence ultime, perso je suis fan), des jeux vidéos ayant appartenus à la famille Jouvray (auteurs de Lincoln), des BD, des mangas en japonais, des bêtises, etc… Les hostilités commencent, la salle est électrique, bien remplie, mon assistante et moi sommes au premier rang, prêts à acheter les pires bêtises pour offrir la possibilité aux auteurs de l’Épicerie séquentielle d’acheter de l’alcool. Merci qui ? Jean-Christophe Deveney réalise là un véritable one-man show. Il est capable de nous faire acheter les pires objets, certes à un prix dérisoire, mais nous les faire acheter quand même. Dans un esprit très festif, les enchères montent rapidement. 10 centimes, 20 centimes, 30 centimes… ça dépasse vite les centaines…. de centimes, l’exercice est rigolo, tout le monde y va de ses centimes.
Un homme d’un certain âge (un vieux, disons le clairement) à ma gauche, lui par contre, ne joue pas vraiment… le jeu. Il essaie de récupérer à tout prix (c’est le mot) tous les objets qui se rapportent à Lincoln. Il surenchérit même sur un petit bonhomme de 10 ans qui aimerait bien avoir des cartes postales mais sa bourse est limitée. Le vieil homme gagne, mais sympathiquement, offre une carte au petit garçon (le lot en comprenait cinq). Pour ma part, j’arrive à gagner un lot de trois mangas (d’une qualité artistique déplorable, si bien que j’en ai oublié le nom !) dédicacés cependant par des auteurs de L’Épicerie séquentielle, je m’en sors pour 3 euros. Le vieil homme à ma gauche regarde mes lots et me demande qui les a dédicacés… Je lui réponds et il me dit que non et se mouche le nez. Quel homme étrange… Ma voisine de droite et charmante assistante se prête au jeu. Elle n’ose pas trop, elle ne veut pas trop dépenser, je tiens la bourse. Elle se lance alors sur un ex-libris (une belle image cartonnée en format A4) qui monte bien trop haut pour que je puisse suivre. Elle regrette de ne pas être avec un milliardaire… Je lui dis pourtant, grand seigneur que je suis, de ne pas hésiter, mais elle hésite (ouf !). Un autre ex-libris est présenté, un de Dufaux, et comme elle adore parce qu’elle a tous les Murena chez elle, la seule série avec le Retour à la terre qu’elle possède en entier et bien à elle, elle le veut à tout prix ! Fière de sa collection, et de partager avec son petit ami sa passion de la BD (certes avec toute la retenue qu’une petite amie se doit d’avoir), elle se jette à corps perdu sur l’enchère, m’arrachant le porte monnaie des mains, comptant toutes les pièces et surenchérissant à chaque fois. Elle gagne l’enchère, et me voilà sur la paille, deux euros l’ex-libris, le soir même on mangera des nouilles chinoises à 40 centimes le sachet… La fin approche. Le spécial anniversaire des 50 ans de Gaston part à 6,50 euros, mais c’est une plaque en fer du Troisième Testament qui remporte la plus haute enchère à 7,50 euros. Fin. On rentre chez nous.
Le lendemain, je me retrouve tout seul à errer dans les allées du festival. Mon assistante m’a abandonné et me voilà libre à draguer les jeunes demoiselles circulant dans le festival.
La première chose que je fais, c’est de remonter à la salle Tony Garnier voir ce qu’il s’y passe. Une conférence sur l’histoire de la BD franco-belge est prévue, mais en attendant, des courts métrages animés de l’école Émile Cohl sont projetés. Je suis très étonné par la qualité des films réalisés par cette école. Voici donc le lien pour les visionner en toute simplicité : http://www.cohl.fr/videos/ , c’est vraiment excellent ! Romuald Boissard, trésorier de l’Épicerie Séquentielle se propose de nous raconter pendant environ 45 minutes l’histoire de la BD franco-belge. Il se défend très vite de ne pas être historien de la BD mais l’étudiant en histoire que je suis trouve qu’il se débrouille plutôt pas mal. Certes, il n’a pas le temps de développer et n’a pas vraiment de problématique. Une présentation chronologique de l’évolution de la BD nous est alors présentée. Ça commence sur des images de hiéroglyphes puis des images du Moyen Age pour enfin arriver à de la vraie BD avec Töpffer, considéré comme le père de la BD. Les textes sont en-dessous des images, la bulle n’a pas encore été inventée. On est en 1927 quand Töpffer réalise ces histoires sans phylactères (histoire de Mr Jabot parue en 1833 en 52 pages). Je ne ferai pas ici l’exposé de la conférence bien évidemment, mais à noter des dates importantes néanmoins : 10 janvier 1929 : Tintin au pays des Soviets. 1938, Rob Vel crée Spirou. En 46 paraît en Belgique le Journal de Tintin (en 48 en France) puis Pilote en 59 avec à sa tête Goscinny. Avec Pilote, on met en avant le nom des auteurs, ce qui n’était pas le cas jusqu’alors. Les auteurs sont enfin reconnus. A écouter Romuald Boissard, on a le sentiment que l’histoire de la BD, c’est le mythe d’Œdipe, il faut tuer le père pour grandir. En effet, chaque nouvelle génération rompt avec la précédente pour créer quelque chose de nouveau. On passe de Tintin et Spirou à Pilote. De Pilote, on passe à L’Echo des Savannes dans les années 80, ainsi qu’à Fluide Glacial, c’est plus violent et le sexe fait son apparition de façon grand public.
Mais y’a-t-il réellement une rupture entre les générations ? Ou est-ce simplement une évolution ? Le camarade qui a fini par avoir sa dédicace de Rossi, me dit via Internet qu’il n’est pas d’accord avec l’idée de rupture, que c’est une évolution, comme on a pu le voir dans le cinéma. Pourtant, je me pose la question, certaines auteurs ont rompu avec le style Astérix ou Tintin pour créer complètement autre chose. Mais effectivement, parallèlement à cela, les vieux styles n’ont pas disparu. Peut-être qu’il faudrait dire que de nouvelles écoles se sont créées sans pour autant tuer les pères. Quoiqu’il en soit, les années 80 vont voir le début du boom de la bande-dessinée, devenant ainsi un média vendeur. Aujourd’hui, l’édition se porte très bien dans la BD. Certains titres sont vendus à des centaines de milliers d’exemplaires et des livres comme Astérix se vendent à plusieurs millions d’exemplaires. Il ne faut néanmoins pas oublier que dans les années 90, un mouvement nouveau est apparu avec L’Association. Des auteurs comme Trondheim, Sfar et d’autres, tels que Marjane Satrapi (qui à elle seule fait vivre L’Association grâce à Persepolis), ont apporté un nouveau souffle à la BD franco-belge en ne respectant plus les codes de la BD. Ainsi, Trondheim sort Lapinot et les Carottes de Patagonie, une œuvre de 500 pages. Le ton est donné.
Une nouvelle enchère est organisée après cela. Je décide de rentrer mais fais un petit tour avant. Je regarde sur les stands, les prix des auteurs ont été affichés. Pénélope Bagieu, jeune dessinatrice dont le blog fourmille d’un humour très sympathique remporte avec sa BD Ma vie est tout à fait fascinante le Prix Humour et le Prix de la BD indépendante. Très jolie, elle illumine le stand du Progrès (où le prix de la BD indépendante lui est remis) de son sourire gêné.
Voici donc les différents prix :
Prix du meilleur album
Michel Plessix pour “Etranges étrangers – Le vent dans les sables” (Delcourt)
Grand Prix de la Ville de Lyon
Christian Rossi pour “Le 46e Etat – West” (Dargaud)
Prix spécial du jury
Philippe Pellet et Christophe Arleston pour “Onze racines – Les forêts d’Opale”
(Soleil)
Prix coloriste
Pop pour “Changement de lune – Alta Donna” (Dargaud)
Prix Humour
Pénélope Bagieu pour “Ma vie est tout à fait fascinante” (JC Gawsewitch)
Prix coup de cœur
Boulet “Tempus fugit – Raghnarok” (Glénat)
Prix du premier album
Dominique Roques et Alexis Dormal pour “La vie et moi – Pico Bogue” (Dargaud)
Prix “jeunesse” Le Progrès
Ben Lebegue pour “Le grand gentil loup” (Atelier du Poisson soluble)
On remarque que les « gros » invités ont tous eu un prix. Sont pas venus pour rien… Hasard ou coïncidence ? En même temps, si ça leur donne envie de revenir, qu’ils reviennent !
Merci donc au Festival et à tous ses animateurs qui ont réalisé là une très belle fête. Vivement l’année prochaine !