Vigilante – William Lustig
Vigilante. 1983Origine : États-Unis
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New York est pourrie. La violence y a triomphé du droit et il ne se passe pas une journée sans crime. Pour y remédier, certains ouvriers comme Nick (Fred Williamson) se sont réunis pour redresser les torts à leur façon. Collègue et ami de Nick, Eddie Marino (Robert Forster) n’aime pas cette façon de faire. Il croit en la justice traditionnelle, et même lorsque sa femme est battue et son fils assassiné par un gang avec lequel elle s’était opposée plus tôt dans la journée, il s’en remet encore à un juge. Il va vite déchanter : non seulement le chef du gang -seul inculpé- prend du sursis, mais en plus c’est Eddie lui-même qui va aller en prison pour s’être rebiffé à l’annonce du jugement. Une fois sorti de ce séjour à l’ombre, Eddie rejoint donc Nick pour se faire vengeance.
Éternelle interrogation face à un film d’auto-justice : Sécuritaire ? Fasciste ? Raisonnable (si si, ça existe, et le plus brillant exemple en est Mad Max) ? Il faut dire que ces films reposent sur un sujet brûlant depuis de nombreuses décennies, celui de la réaction à avoir face à la violence dans des pays dits démocratiques. D’un autre côté, bon nombre d’entre eux ont été générés dans l’unique but de surfer sur les modes cinématographiques du moment. Il ne fait alors pas de doute que les années 70 avec leur radicalisation sous l’impulsion de cinéastes comme William Friedkin sont propices aux films “vigilantes”. Simple question pécuniaire. Mais il n’y a pas forcément de volonté de susciter la polémique, même si un petit scandale est toujours le bienvenu dans le petit monde du marketing. Vigilante appartient à cette catégorie de films ne cherchant pas à mettre le débat sur le tapis. Du reste, il fut produit après l’âge d’or des polars musclés et son réalisateur William Lustig (neveu du boxeur Jake LaMotta) se montre avant tout attiré par le côté purement cinématographique des films d’auto-justice. Avec Maniac, il avait déjà brillamment prouvé ses bonnes dispositions pour un cinéma très violent mais aussi très cru et très malsain. Cinéaste attaché à New York au même titre mais à un niveau différent qu’un Woody Allen ou un Martin Scorsese, Lustig aimait exploiter le cadre offert par cette grosse pomme qui dans les années 70 et 80 était dans un très sale état, notamment en raison de la forte délinquance. Reposant sur des histoires forcément malsaines, les films de vigilante étaient donc forcément très attractifs pour un tel réalisateur, qui en outre n’a jamais caché son goût prononcé pour les polars italiens des années de plomb, desquels Vigilante cherche à se rapprocher, bien plus que de la saga d’Un justicier dans la ville. Et pour se faire, Lustig n’hésite pas à passer par le principal ressort des polars sécuritaires, à savoir montrer des exactions particulièrement crapuleuses restant impunies.
Mais son film lui-même ne saurait vraiment être un étendard du polar sécuritaire, tant Lustig évite d’aborder le sujet policier. Un peu comme un western, finalement : ce genre est rempli d’histoires de vengeance, et ce n’est pas pour autant qu’elles sont taxées de sécuritaires. Bien sûr, le fait que les westerns aient lieu dans un tout autre contexte y fait beaucoup, mais encore plus certainement les réalisateurs cherchent avant tout à initier une histoire apte à contenir des scènes d’action marquantes. C’est aussi le cas ici, où même la scène du simulacre de procès est caractérisée par l’exagération des injustices. Cinq minutes montre en main, aucun témoin, aucune plaidoirie, le jugement découle d’une conversation privée entre l’avocat de la défense (joué par le très louche Joe Spinell), de l’accusation, et le juge. S’ajoute à cela la prison pour la rébellion de Eddie face au jugement, et tout cela n’est alors plus trop crédible. Pire encore, les psychologies des personnages ne sont nullement développées. Eddie est un citoyen modèle qui finit par se rallier aux ambitions de Nick le plus naturellement du monde, peut-être lors de son séjour en prison où il aura bien vu que si il ne s’aide pas lui-même il ne pourra s’en tirer à bon compte et les salauds triompheront. Il lui faut un défenseur incarné par Woody Strode pour s’en rendre compte, et il n’y a pratiquement aucun dialogue explicatif entre les deux personnages. Cette partie de transition lors de laquelle Eddie devient vigilante est fort peu explicative, et permet à Lustig d’incorporer quelques clichés issus des films de prison (l’intimidation à la cantine, le gardien pourri, la scène des douches).
Bref, si on ne saurait tout à fait dédouaner Vigilante d’un penchant sécuritaire de toute façon enraciné dans la simple présence de l’injustice commise contre un brave homme, son propos n’est pas là. Par son refus de polémiquer et par la simplicité des personnages, Lustig nous laisse même un peu sur notre faim… Les véritables films sécuritaires (Un justicier dans la ville premier du nom) procèdent en demandant au spectateur de s’identifier avec les malheurs de son justicier pour justifier sa croisade vengeresse. Ce que ne recherche pas Vigilante. D’ailleurs, difficile de dire si c’est par son jeu limité ou pour répondre à la demande de son réalisateur, mais Robert Forster ne donne pas l’impression d’être un homme brisé par ce qui est arrivé à sa famille. Il en ressort un certain désintérêt pour le scénario, qui vient aussi du fait que le réalisateur n’a pas non plus recherché le sensationnalisme.
William Lustig dit clairement s’être plutôt inspiré des polars italiens plutôt que des américains. Cela se remarque par le traitement de la violence : lorsque le gamin des Marino est assassiné, son meurtrier ne fait pas semblant. Un coup de fusil, et sa mère voit la fenêtre exploser dans un mélange de verre et de sang. On trouve aussi quelques rudes bagarres, des matraquages à coup de battes de baseball, des fusillades, des courses-poursuites et même un handicapé envoyé à terre par simple plaisir. Tout l’attirail des films d’Umberto Lenzi. Et comme pour eux, Vigilante possède une certaine tendance à la dispersion. La vengeance d’Eddie n’est pas linéaire. Le groupe mené par Fred Williamson est en très large partie autonome, Eddie et Nick n’ayant en fin de compte qu’un seul fait d’arme en commun, celui par lequel Eddie rentre officiellement dans le monde de l’auto-justice. Pour le reste, la bande de vigilantes traque ses propres ennemis, remontant une (bien mince) filière allant du petit dealer au politique corrompu, qui n’a rien à voir avec les déboires de la famille Marino. Les scènes de Williamson sont même supérieures à celle de Forster : plus agitées, globalement plus violentes, et certainement plus gratuites (leur présence même est gratuite, puisque ça n’apporte strictement rien au sujet principal !). Et pourtant, même si il est construit de façon identique à ses homologues italiens, le film de Lustig affiche nettement moins de panache. La faute au style propre à Lustig, qui comme on l’a vu l’oriente plus vers le malsain que vers la facétie. Là où un réalisateur comme Lenzi avait recours à une forte théâtralité dans des scènes de violence bêtes et méchantes jusqu’au risible, Lustig reste globalement sobre pour mieux s’inscrire dans la décrépitude de son cadre new-yorkais. Forster est toujours stoïque, on ne peut plus éloigné d’un Maurizio Merli, tandis que ses ennemis sont bien loin du bossu anarcho-rigolard incarné par Tomas Milian dans Brigade spéciale par exemple. Semblable à eux dans leur veine d’exploitation et dans leur scénario, Vigilante finit donc par se démarquer des polars italiens pour se rapprocher un peu de Maniac, le côté choquant en moins. Ce n’est pas un vaste éventail d’ultra-violence perpétré par des personnages hauts en couleurs… C’est plutôt une plongée dans un milieu complètement vicié dans lequel des histoires telles que celle d’Eddie et de Nick deviennent on ne peut plus naturelles. On ne ressort pas enjoué d’un tel film, mais plutôt déprimé. Lustig a tout simplement retranscrit le climat d’une ville où la violence multilatérale s’est banalisée. Vigilante est une œuvre conçue pour être plombante, qui ne se veut ni belle, ni romanesque, ni polémique. Un polar lourd dans le bon sens du terme.