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Une semaine de vacances – Bertrand Tavernier

Une semaine de vacances. 1980.

Origine : France
Genre : Burn-Out
Réalisation : Bertrand Tavernier
Avec : Nathalie Baye, Gérard Lanvin, Flore Fitzgerald, Michel Galabru, Philippe Delaigue, Philippe Noiret, Philippe Léotard.

Professeure dans un Collège d’enseignement secondaire de Lyon, Laurence Cuers (Nathalie Baye) se retrouve confrontée à une grosse fatigue mentale. Un lundi, alors que son compagnon Pierre (Gérard Lanvin) l’emmène sur son lieu de travail, elle lui fait part de son besoin de repos, corroboré par son médecin, le Docteur Sabouret. Commence pour la jeune femme une semaine de vacances propice aux interrogations et à la remise en question. Alors que ses proches l’enjoignent, à l’unisson, à ne pas lâcher son travail, elle essaie d’envisager d’autres voies. Elle passe notamment du temps avec Mr Mancheron (Michel Galabru), restaurateur et père de l’un de ses élèves turbulents, qui lui renvoie une autre image de son rôle de professeure.

Lorsque Bertrand Tavernier revient tourner à Lyon au mois de février 1980, il n’est plus le même cinéaste qu’à l’époque de L’Horloger de Saint Paul. Entretemps, il est devenu un réalisateur reconnu et célébré, notamment à l’occasion des cérémonies des Césars 1976 (César du meilleur réalisateur et du meilleur scénario original ou adaptation partagé avec Jean Aurenche pour Que la fête commence) et 1977 (César du meilleur scénario original ou adaptation, toujours en compagnie de Jean Aurenche, pour Le Juge et l’assassin). En outre, il vit alors une époque bénie lors de laquelle il n’éprouve aucune difficulté à financer ses projets et peut ainsi enchaîner les tournages. Six films en 7 ans dont deux exploités dans la première moitié de l’année 1980. Une semaine de vacances bénéficie d’une période de tournage courte et d’un temps de post-production lui aussi particulièrement rapide puisque tourné au mois de février, le film sort dès le mois de juin suivant. Des délais impensables aujourd’hui. Ce projet part d’une double envie. Suite au tournage en anglais et en Écosse de La Mort en direct, Bertrand Tavernier souhaite revenir à un film “très français” et également renouer avec ses racines lyonnaises, déjà au cœur de son premier film. L’apparition de Michel Descombes au cours d’un dîner organisé par son ami Mancheron assure la filiation entre les deux œuvres. L’irruption de l’horloger au milieu de la crise existentielle que traverse Laurence va au-delà du simple clin d’œil. La période de doute que vit la jeune femme rejoint celle qui a tiraillé Michel quelques années plus tôt. En cinéaste de la mémoire et du souvenir, Bertrand Tavernier ne pouvait pas revenir à Lyon sans donner des nouvelles de ce personnage emblématique de toute sa filmographie.

Le souvenir se trouve au centre du processus de montage d’Une semaine de vacances. Le récit se déroule au présent mais ouvre de nombreuses fenêtres temporelles en prise directe avec les tourments qui obscurcissent l’esprit de Laurence. Des souvenirs qui lui arrivent pêle-mêle, sans chronologie aucune. Pour nous spectateurs, ils nous apparaissent souvent comme faisant partie intégrante de la narration au présent avant que le plan suivant ne nous ramène sur une Laurence songeuse, trahissant alors leur dimension mémorielle. Tout se bouscule dans sa tête. Son travail d’enseignante, mis à mal par une génération d’élèves qu’elle estime dépourvue d’imagination et incapable de se concentrer; sa vie de couple au sein duquel son conjoint se sent de plus en plus mis à l’écart; et son attachement progressif pour Mr Mancheron, le père de l’un de ses élèves turbulents au passé de cancre. Elle se débat avec ses idées noires, se perdant chaque jour dans la contemplation de la vieille dame de l’immeuble d’en face, désespérément seule et invariablement vissée à son fauteuil. Éprouve t-elle de la pitié à son égard ou craint-elle de finir ainsi ? Laurence baigne en pleine contradiction, parlant de chenil pour évoquer le C.E.S où elle enseigne (les lyonnais auront reconnu en réalité le lycée Édouard Herriot dans le 6e arrondissement) mais ne pouvant s’empêcher de traîner dans le quartier durant sa semaine de mise au repos. Elle accueille même avec un plaisir non dissimulé l’une de ses élèves venue chez elle s’enquérir de son état. Comme elle l’avoue volontiers, enseigner n’était pas sa vocation mais elle a fini par aimer son travail au point que celui-ci occupe toutes ses conversations, au grand dam de Pierre, le fiancé paumé auquel Gérard Lanvin apporte sa bouille boudeuse. Le problème de Laurence tient probablement à son investissement sans faille et entier. Elle vit comme un échec le manque d’envie de ses élèves, se l’imputant à elle-même. Ses discussions avec Mr Mancheron, puis plus tard Michel Descombes, l’amèneront à relativiser ce sentiment de culpabilité. Des cancres, il y en a eu et il y en aura toujours, quelque soit le degré d’implication de l’enseignant. Une donnée avec laquelle Laurence va dorénavant devoir composer. Une semaine de vacances se conclut par un sourire retrouvé au contact de ses élèves. Laurence s’illumine à nouveau à leur contact, même si les problèmes – d’ordre structurel et conjoncturel – demeurent. Sa meilleure amie et collègue, Anne, effectue quant à elle le chemin inverse. Sa crise existentielle s’est effectuée à rebours de celle de Laurence et pour un résultat plus tranché. Elle qui enjoignait Laurence à ne pas lâcher l’enseignement finit par le faire elle-même, non sans nourrir un profond sentiment de culpabilité.

Écrit en étroite collaboration avec son épouse de l’époque Colo Tavernier et sous la supervision de l’enseignante Marie-Françoise Hans, Une semaine de vacances envisage de traiter la figure de l’enseignant de manière moins caricaturale qu’à l’accoutumée. En creux se lit également les difficultés de l’enseignement soumis à des réformes permanentes, à un appauvrissement des moyens et à des classes surchargées. Des problèmes toujours d’actualité aujourd’hui qui confère au film toute sa pertinence même si celui-ci se garde bien d’être un pamphlet. Tout cela demeure de l’ordre de l’évocation, le récit s’attachant avant tout à l’intime. Tout au plus pointe t-il du doigt la prépondérance de la télévision dans la vie des enfants. Une donnée qui peut prêter à sourire dans le cadre de l’époque et ces trois pauvres chaînes mais qui conserve toute sa pertinence à l’heure actuelle avec la profusion des écrans et de chaînes et autres plateformes qui s’offre aux enfants. Laurence prend finalement le parti d’intégrer ce médium à son enseignement dans le but d’encourager la participation de ses élèves au débat. On peut voir dans cette séquence le geste de cinéaste de Bertrand Tavernier, infatigable défricheur et passeur de films qui démontre les vertus pédagogiques que peut acquérir le 7e art. Cependant, Une semaine de vacances ne se limite pas à l’auscultation d’un corps de métier. Il apparaît avant tout comme un beau portrait de femme. Les tourments de Laurence sont aussi d’ordre personnel, inhérent à la pression sociale qui s’exerce sur les femmes. Comme elle le dit elle-même à son entourage, “Vous voulez bien que j’ai des rêves mais pas que je les vive”. Laurence se sent corsetée, pris au piège du désir des autres. Notamment du désir d’enfant. Pierre use du chantage affectif pour parvenir à ses fins. Il remet en doute l’amour qu’elle lui porte (“Quand on aime vraiment, on veut un enfant.”) tout en mettant dans la foulée la paternité au-dessus du tout, presque comme une fin en soi (“Même si tu me quittais, j’aurais l’impression [avec un enfant] d’avoir fait quelque chose de ma vie.”). Au fond, lui aussi se débat avec ses propres démons intérieurs, prisonnier à sa manière des diktats de la société (culte de l’argent, patriarcat, paternité comme gage ultime de réussite), mais se garde bien d’en parler se cachant derrière une victimisation immature. L’injonction de maternité lui vient aussi de sa mère qui estime qu’à près de 30 ans, elle n’a déjà que trop attendu. Son frère, quant à lui, se fiche bien de devenir tonton. Il souhaite simplement voir sa sœur plus souvent. Un souhait non partagé. Laurence aime sa famille – touchantes scènes avec son père même si la encore, elle ne peut s’empêcher de lui parler de ses élèves – mais surtout à distance. Pour se retrouver, elle éprouve le besoin d’être seule ou alors entourée de personnes qu’elle a choisies, son ami Anne et Mr Mancheron. Des personnes auprès desquelles elle peut être elle-même, dire ce qu’elle pense sans craindre de provoquer de scènes. Libérée de cette pression, elle redevient elle-même, dépourvue de ce cynisme et de cette aigreur qui l’accompagnent, gestes de défense agressifs, au profit d’une gentillesse non feinte et de davantage de décontraction.

Dans le cadre austère de la cité des Gaules du début des années 8o et des frimas de l’hiver, Bertrand Tavernier réalise un film chaleureux. De cette chaleur qu’on réfute aux lyonnais, réputés froids et distants alors qu’il s’agit avant tout de pudeur et de discrétion. De cette crise existentielle, et qu’on appelle plus communément aujourd’hui un burn-out, il en fait le terreau de rencontres improbables, de scènes joyeuses et drôles (l’impayable manière qu’à Michel Galabru de réagir au râteau qu’il se prend) ou émotionnellement chargées. Avec toujours la préoccupation de placer l’humain au centre des débats. De tous les plans, Nathalie Baye traverse le film oscillant entre dureté et fragilité, illuminant l’écran de son sourire pour mieux nous serrer le cœur par son vague à l’âme. A tenter de dissimuler son mal-être comme elle tente de masquer sous un tapis la flaque d’eau qui s’amoncelle à ses pieds lors de son rendez-vous chez le médecin un jour de pluie, elle se voile la face. Et si le cheminement demeure long, elle peut se raccrocher à ses paroles de Michel Descombes empreintes de la sagesse d’un homme qui s’est lui aussi longuement questionné : “Il faut éviter de se bloquer, de rester immobile”.

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