CinémaComédiePolar

La Grande cuisine – Ted Kotcheff

Who Is Killing the Great Chefs of Europe ?. 1978.

Origine : Allemagne, France, Angleterre, Italie
Genre : Assaisonné
Réalisation : Ted Kotcheff
Avec : George Segal, Jacqueline Bisset, Robert Morley, Jean-Pierre Cassel, Jean Rochefort, Madge Ryan, Philippe Noiret.

Maximilian Vandevere, l’influent éditeur du magazine culinaire Gourmet, fait la pluie et le beau temps dans le milieu de la gastronomie. Lorsque son magazine publie le menu idéal, les Chefs retenus – au nombre de quatre – boivent du petit lait tandis que les autres font grise mine. Parmi les quatre heureux élus, deux d’entre eux, le Chef suisse Louis Kohner et la Cheffe pâtissière Natasha O’Brien, ont l’insigne honneur de se charger du banquet servi à la Reine Elizabeth II dans les ors du palais de Buckingham. Le repas est un succès. Pour fêter ça, Natasha et Louis passent la nuit ensemble. Au matin, en lieu et place du petit-déjeuner auquel elle s’attendait, Natasha retrouve son amant cuit à point dans le four. Lorsqu’un deuxième grand Chef est retrouvé mort, noyé dans l’aquarium de son restaurant à Venise, les supputations vont bon train. Natasha finit par trouver le mobile qui relie les deux Chefs, tous deux figurent au menu idéal du magazine Gourmet. Suivant ce principe, les probables prochaines victimes ne font plus aucun doute. Et parmi elles, Natasha O’Brien tient lieu de dessert pour sa bombe Richelieu. Son ex mari Robert Ross va dès lors faire tout son possible pour déjouer les plans du mystérieux assassin.

Rambo. Tout le monde connaît ce film, au moins de nom. Et pour beaucoup, ce titre reste indissociable de l’acteur qui l’incarne, Sylvester Stallone, au détriment de l’homme derrière la caméra, le réalisateur globe-trotteur Ted Kotcheff. Ce film a longtemps été l’arbre qui cache la forêt d’une carrière riche et variée et qui depuis l’a propulsé au poste d’heureux producteur de la série New York, unité spéciale. Redécouvert en 2015 grâce à la restauration salutaire de Réveil dans la terreur, sélectionné à Cannes en 1971, Ted Kotcheff prouve à tout le monde quel grand réalisateur il peut être. Récompensé de l’Ours d’or de Berlin en 1974 pour L’Apprentissage de Duddy Kravitz, il obtient ensuite un franc succès avec Touche pas à mon gazon. Derrière ce titre à connotation grivoise se cache une comédie romantique et policière qui réunit George Segal et Jane Fonda. A l’aune de cette réussite, le producteur William Aldrich s’empresse de lui offrir sur un plateau le projet d’adaptation du roman éponyme de Nan et Ivan Lyons qui joue des mêmes ressorts. Issu d’une famille qui a travaillé dans la restauration, Ted Kotcheff accepte, trop heureux de pouvoir se plonger dans ce milieu qui lui est cher. Il ne le fait néanmoins pas sans garantie, obtenant le concours de Peter Stone, à qui l’on doit notamment le scénario de Charade, et dont il apprécie l’écriture incisive et la science du dialogue qui fait mouche. Ted Kotcheff vénère à ce point le film de Stanley Donen qu’il s’attache également les services de son compositeur, Henry Mancini, dont les compositions accompagnent quelques-unes des comédies les plus fameuses du cinéma. Voilà des ingrédients savamment sélectionnés pour un film qui ne prétend pas être autre chose qu’une petite douceur légère et aérienne.

Le cinéma s’est souvent aventuré dans les cuisines, notamment lors de la mémorable bataille de tartes à la crème qui clôt l’escale en Carpanie, une principauté fictive des Balkans, lors de La Grance course autour du monde de Blake Edwards. La dispute entre les chefs Louis Kohner et Auguste Granvilliers dans les cuisines du restaurant du premier s’en fait le lointain écho, même si Ted Kotcheff craignait que cette scène ne paraisse trop exagérée. Il s’en dégage à la fois un côté transgressif (on ne joue pas avec la nourriture) et puéril qui tend à désacraliser l’image de ces Grands Chefs, garants des traditions culinaires et de l’image de marque d’un pays. Avec cette scène, Ted Kotcheff s’inscrit dans la tradition d’un cinéma comique – et franchouillard – qui de La Cuisine au beurre de Gilles Grangier à L’Aile ou la cuisse de Claude Zidi en passant par Le Grand restaurant de Jacques Besnard ont ravi un large public en lui stimulant les zygomatiques tout en le faisant saliver. De l’humour, La Grande cuisine en regorge, à force de personnages truculents et hauts en couleurs jusqu’au moindre second rôle (l’inspecteur Ravello, à Venise) et au-dessus desquels trône en majesté l’impayable Robert Morley. Nous sommes face à un film d’esthète ou le moindre élément converge vers le raffinement le plus total. Non content de maîtriser son sujet – toute sa famille travaillait dans la restauration – Ted Kotcheff veut également conférer un certain standing à son film, eu égard à son propos et aux lieux fréquentés. A sa suite, nous fréquentons les meilleures tables (La Tour d’argent, Le Pré Catelan et Chez Maxim’s à Paris, The White Elephant et Le Café Royal à Londres) et apprécions les meilleurs mets (seulement avec les yeux). Lui-même a dû payer de sa personne lors de la pré-production en dînant dans les meilleurs restaurants d’Europe, dont l’Auberge du pont de Collonges de Paul Bocuse. Grand nom de la gastronomie s’il en est, le chef lyonnais a largement contribué au film par ses conseils et sa faconde, étant notamment à l’origine de ce meilleur menu du monde dont se gargarise Maximilian Vandevere. Mais l’apport le plus notable vient de Peter Stone. Il apporte beaucoup de vitalité aux dialogues et instaure une mécanique comique irrésistible. A l’instar de certains films de Blake Edwards (encore lui !), le comique de situation agit par contamination. Il suffit que les esprits s’échauffent entre les deux anciens époux Natasha et Robby alors qu’ils dansent pour que leurs récriminations fassent effet boule de neige auprès des autres convives, dont l’exquise soirée se transforme soudain en disputes conjugales. A la suite de Natasha et Robby, La Grande cuisine retrouve l’allant de ces pétillantes comédies romantiques de l’âge d’or du cinéma américain tout en les remettant au goût du jour. Natasha est maîtresse de sa vie. Elle fait ce que bon lui semble quand bon lui semble. Elle a tiré un trait sur son histoire avec Robby, contre lequel elle éprouve encore du ressentiment suite à son adultère avec la secrétaire. De son côté, Robby joue les indifférents mais il ne rate jamais une occasion de se rapprocher de son ex, allant jusqu’à la “kidnapper” afin de lui proposer une affaire soi-disant juteuse. Dans l’univers clinquant et feutré des palaces et hauts lieux de la gastronomie que Natasha fréquente, il fait office de chien dans un jeu de quilles. Il arrive avec ses gros sabots de yankee, moins sensible à la grande cuisine qu’à la perspective de gagner beaucoup d’argent avec sa nouvelle idée : une chaîne de restaurants consacrée à l’omelette qu’il destine au marché européen. Il souhaite profiter de son entregent afin de s’attacher les services d’un chef qui a pignon sur rue. Particulièrement obstiné, il s’incruste. Ne lâche plus Natasha d’une semelle, d’abord à des fins purement mercantiles puis pour des raisons plus vertueuses lorsqu’il comprend qu’elle court un grave danger.

Car le film ne se veut pas qu’une comédie romantique. La Grande cuisine est aussi, et avant tout, un film policier. Un whodunit dont le suspense importerait moins que la mise en scène des meurtres, qui restent de l’ordre de l’évocation à l’écran mais toujours sous un angle au ludisme macabre. L’enquête souffre néanmoins d’une certaine nonchalance qui nous donne un temps d’avance sur les personnages. A ce titre, les coupables potentiels nous sont jetés en pâture sans trop de subtilité, en tête desquels on trouve Robby et le chef français Auguste Grandvilliers. Tous deux auraient la jalousie pour mobile. Le premier car son ex femme s’était offerte du bon temps en compagnie de Louis Kohner et s’apprêtait à faire de même avec Fausto Zoppi, et le second car il estime être le grand oublié du meilleur menu du monde. Des fausses pistes qui sont plus (Auguste Grandvilliers) ou moins exploitées (Robby) par un Ted Kotcheff goguenard qui, s’il modifie l’identité du tueur par rapport au roman, ne peut empêcher ce sentiment de supercherie. La nature des meurtres et leur exécution apparaissent en total décalage avec leur auteur qui même mû par de preux sentiments ne saurait s’en acquitter avec une telle réussite. Disons que cela conforte le film dans sa logique purement récréative. Si la nourriture tue ou amène à tuer, elle le fait ici avec style et raffinement. Nous sommes loin de l’ambiance mortifère et décadente de La Grande bouffe, par exemple. Ici, nous sommes plutôt du côté des bons vivants, avec certes un côté élitiste puisque les menus présentés ne sont pas accessibles à toutes les bourses mais parfaitement assumé. Ted Kotcheff ne se prive pas pour brocarder la vanité de ce milieu, entre ces chefs qui se disputent le statut de meilleur cuisinier ou ce critique culinaire qui a su ériger sa gourmandise en parangon du bon goût. Son film prend malicieusement le contrepied du mouvement culinaire né en 1973. Cette Nouvelle Cuisine qui cherchait alors à revenir aux saveurs originelles du produit, ainsi qu’à plus de simplicité et de diététique. A l’inverse, les plats présentés ici sont pantagruéliques et tape-à-l’oeil. En un mot, cinématographique.

La Grande cuisine est un film qui s’apprécie avec gourmandise. S’il peut paraître parfois un peu bourratif, il reste toujours savoureux. Ted Kotcheff veut amuser et s’amuser. Et il le fait avec un indéniable savoir-faire. Il nous embarque sans mal dans cette histoire rocambolesque et dépaysante dans le sillage de son couple conflictuel mais finalement toujours amoureux. Un film plus que jamais d’actualité à l’heure où les émissions culinaires se déclinent à toutes les sauces et dans tous les formats entre sophistication, accessibilité et concurrentialité.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.