Les Vampires du Dr. Dracula – Enrique López Eguiluz
La Marca del Hombre Lobo. 1968Origine : Espagne
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Ce n’est pas sans avoir dû batailler ferme que l’acteur Jacinto Molina parvint à concrétiser son projet de film d’horreur espagnol. Malgré le précédent Jess Franco -qui désormais voguait d’un pays européen à l’autre pour trouver du financement-, l’Espagne encore franquiste faisait alors bien pâle figure dans le genre comparée au Royaume-Uni ou à l’Italie, épicentres de l’épouvante gothique voire de l’épouvante tout court sur le vieux continent. La prépondérance de la morale catholique alliée aux ciseaux castrateurs de la dictature ne laissait que peu de marge au cinéma ibérique pour suivre la trace des Terence Fisher, Mario Bava et consorts. N’empêche que l’abnégation de Molina parvint miraculeusement à porter ses fruits en dépit du scepticisme des réalisateurs contactés et moyennant l’obligation, nationalisme oblige, de situer son intrigue hors d’Espagne et de donner le mauvais rôle à des personnages étrangers. D’où les noms à consonnances germaniques ou hongroises, ce qui il faut bien le dire ne se révèle guère dommageable puisque l’Europe centrale et orientale est de toute façon le lieu privilégié de l’épouvante gothique. De l’implication d’un distributeur allemand vint également l’adoption par Molina du pseudonyme Paul Naschy (Paul pour le pape du moment, Naschy pour ressembler au patronyme hongrois Nagy) amené à perdurer en même temps que le personnage de Waldemar Daninsky qu’il campe ici pour la première de ses douze apparitions. C’est que Les Vampires du Dr. Dracula connut son petit succès, qui entraîna des séquelles à foison et entraîna dans son sillage une (relative) embellie de l’horreur à l’espagnole, avec par exemple la tétralogie des Templiers zombies de Amando de Ossorio, lequel avait pourtant fait partie du nombre des réalisateurs réticents à suivre Naschy. Et ce dernier, scénariste et acteur (bien qu’il aurait contacté Lon Chaney Jr. pour incarner Daninsky), de devenir une icône locale. Ses films allaient également s’exporter en misant notamment sur un double montage : des versions “corsées” pour l’étranger et des versions “light” pour l’Espagne tant que celle-ci resterait sous la coupe de Franco.
Il s’en est toujours passé de belles dans ce coin perdu de l’Espagne où se dressent des ruines de sinistre réputation. Pas plus tard qu’il y a quelques décennies, lmre Wolfstein, l’un des nobliau du coin, écumait encore les environs sous la forme d’un loup-garou. Fort heureusement, on lui a depuis figé un crucifix en argent dans le cœur et il est désormais confiné dans le cercueil de la crypte familiale. Hélas, par une nuit de tempête, un couple de gitans réfugié au manoir Wolfstein ne trouve rien de mieux à faire que de retirer le crucifix, provoquant ainsi le retour du loup garou et de ses méfaits. Alors que les villageois pensent avoir affaire à une simple meute de loups, une battue est organisée. Waldemar Daninksy, le ténébreux polonais du coin bien au fait de la légende, en fait partie. S’il parvient bien à renvoyer Wolfstein dans sa tombe, il ne peut hélas éviter de se faire mordre et de contracter lui aussi un cas sévère de lycanthropie. De son propre chef, il demande à sa copine Janice et à son pote Rudolph de l’enfermer dans un vieux monastère abandonné, le temps de trouver une solution. Janice et Rudolph semblent tenir une piste en la personne du Dr. Janos Mikhelov, dont le père s’occupa naguère de Imre Wolfstein. Mais la poisse s’incruste : Mikhelov et son épouse sont en réalité des vampires bien mal intentionnés.
Lorsque toute une saga existe mais qu’il se révèle difficile de visionner ses opus dans l’ordre chronologique, le risque est élevé de ne pas bien saisir l’évolution du personnage central ainsi que la modification du style employé pour illustrer ses aventures. Cela ne porterait pas vraiment à conséquence ici, puisque la saga Waldemar Daninsky est une suite de films non reliés narrativement les uns aux autres. N’empêche qu’à la vision de cette naissance, on se dit que malgré tout de l’eau a coulé sous les ponts, et ceci en peu de temps : un film comme L’Empreinte de Dracula, le cinquième volet sorti seulement deux ans après le premier, s’avère bien plus osé dans tous les sens du terme. Naschy semble moins naviguer dans l’inconnu et n’hésite plus à verser dans l’exploitation, là où Les Vampires du Dr. Dracula se montre encore hésitant. On sent bien que Naschy avait envie de se lancer dans le sanglant et l’érotisme mais qu’il s’est volontairement fixé une ligne jaune. Certaines scènes ont d’ailleurs bel et bien été expurgées, mais puisqu’elles sont désormais réintégrées au montage nous pouvons désormais constater que même là, le film paraît assez prude par rapport à ce que la saga fera peu après. Quelques furtives giclées de sang et les inévitables nuisettes à contre-jour sont tout ce que se permet l’acteur / scénariste. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir truffé son casting de sculpturales actrices et d’avoir eu des idées particulièrement croquignolesques (tel ce pauvre bougre brûlé vif alors qu’il saigne déjà de partout), mais la finition de tout cela fait que nous ne sommes ni dans l’évocation subtile des premières productions gothiques (Le Cauchemar de Dracula ou Le Masque du démon pour ne citer que les plus connues) ni dans la décomplexion morale qui commençait déjà à se faire sentir et après laquelle Naschy languissait déjà. La timidité se ressent ici assez nettement, donnant une impression d’inabouti pouvant également passer pour une façon de tester les limites de la censure.
Et justement, parce que les idées sont déjà là, il n’est pas difficile de voir que le style de Naschy est déjà en place. Voilà un zig qui, s’il hésite encore à céder à ses envies, a d’ores et déjà une idée bien claire de ce qu’il veut faire. C’est que le bonhomme semble être un aficionado de l’horreur gothique et qu’il n’a d’autre ambition que de s’en emparer pour y ajouter sa propre patte. Les Vampires du Dr. Dracula semble même témoigner plus que tout autre film de la saga de cet état de fait, puisqu’il peut apparaître comme un véritable déversoir des penchants “gothisants” de son auteur. Eléments moralement sensibles exceptés, il balance sur une heure et demi tous les atours de ce style de cinéma, s’y enfonçant sciemment pour au final réussir à se forger son style propre qui sera celui des grandes heures de la saga Daninsky. Un style qui à force d’outrance cède parfois à l’amateurisme (montage hasardeux, faux raccords, jeu d’acteur…) en plus de rendre peu crédible l’entièreté de l’histoire qu’il raconte, déjà truffée de facilités. Mais peu importe finalement, puisque cette branche du fantastique qu’est le cinéma gothique en appelle aussi à l’inclinaison pour des atmosphères, pour du fantastique “folklorique” et pour une narration au premier degré. Soit autant de qualités dont sait faire preuve Naschy. Celui-ci ne lésine pas sur le côté “contes et légendes” de son intrigue, puisqu’en plus de faire naître la malédiction frappant son personnage (elle-même basée sur une malédiction antérieure, celle des Wolfstein), il s’en va en plus y greffer une histoire de vampires tout en sortant ici ou là d’autres considérations annexes (le culte sataniste des moines dont ils occupent le monastère à l’abandon). Et pour parachever le tout, il rajoute à tout cela les considérations sentimentales du romantisme noir, avec son Waldemar Daninsky désormais maudit, devant abandonner l’amour et la vie, mais prêt à se sacrifier pour aider (contre les vampires) ou au moins pour ne pas nuire. Bien sûr tout cela ne va guère chercher loin, mais Naschy sait se montrer extrêmement enthousiaste et ne simule pas une seconde le réel plaisir qu’il a de se lancer dans le cinéma gothique, ses codes et ses racines littéraires (ou du moins l’image qu’il s’en fait).
Si les films de la saga Daninsky n’ont jamais rivalisé avec ceux des concurrents britanniques ou italiens, bien plus “artistiques”, il est difficile de ne pas leur reconnaître cette touche de naïveté qui perdurera encore lorsque le cinéma gothique lui-même s’enfoncera dans la routine. Une caractéristique qui prend la forme d’un certaine outrance confinant à la maladresse, comme si Naschy se laissait emporter par son excès d’enthousiasme. Plus qu’à tout autre moment, c’est lorsqu’il revêt la pelure du loup-garou qu’il cède le plus à ce qui peut aussi bien être une qualité qu’un défaut, s’adonnant alors sans retenue à moult gesticulations, sautillements et grognements, un peu à la manière d’un personnage de cartoon. En complément, il aime également surcharger le look gothique en composant ses décors avec ce qui peut paraître comme un véritable bric-à-brac d’objets anciens, si possible rattachés à l’imagerie gothique. Si certains films de Mario Bava peuvent éventuellement être taxés de baroques, alors Naschy verse lui dans le rococo. Il se rattache en tous cas bien plus à la tradition italienne qu’à la plus austère Hammer ou aux expérimentations du cycle Poe de Roger Corman. L’onirisme en moins, mais l’abnégation en plus. Et la mise en scène est à l’avenant : jamais avare d’effets, même ratés (ce qui arrive finalement assez peu souvent : saugrenus oui, ratés non), elle surligne à grand coup de musique et d’éclairages vifs les moments marquants, qui compte tenu du scénario à tiroir sont fort nombreux.
Avec le premier film de sa saga, Paul Naschy donne le ton et ne s’en éloignera plus guère. Loin de ne donner que dans le clin d’œil, comme c’est devenu la mode au XXIe siècle, il cherche à innover en donnant un regard personnel sur un style qu’il apprécie. Le résultat est loin d’être un chef d’œuvre, mais il séduit bel et bien : généreux, dense et même risqué, à sa manière. Ceci couronné par cette fameuse maladresse très premier degré qui le rend attachant, un peu à la manière de certains films de monstres à petit budget des années 50. Un style il est vrai suranné que l’on imagine bien dans les cinémas de quartiers d’antan et son public averti de la nature très “bisseuse” de ce qu’il vient voir.