Total Recall – Paul Verhoeven
Total Recall. 1990Origine : États-Unis
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Le projet d’adaptation de la nouvelle de Philip K Dick We can remember it for you wholesale (Souvenirs à vendre chez nous) avait déjà vu le passage de plusieurs réalisateurs, dont le canadien David Cronenberg, avant que tous ne se désistent. C’est l’arrivée sur le projet de l’acteur Arnold Schwarzenegger qui va finalement débloquer les choses, puisque c’est lui qui demande à ce que le film soit réalisé par Paul Verhoeven.
Les producteurs sont aux anges, certains de posséder là un duo parfait pour transformer la nouvelle de Dick en un blockbuster truffés d’effets spéciaux apte à séduire un large public. En effet Verhoeven s’était déjà fait remarquer aux États-Unis par les important bénéfices (55 millions de dollars en un an rien que sur le marché américain) dégagés par son Robocop, un autre film futuriste aux scènes d’actions mémorables. Mais il serait stupide de réduire Verhoeven au simple statut de yes-man prompt à faire des blockbusters bien lisses et conformes. Au contraire le réalisateur hollandais se démarque des autres par son goût très marqué pour la provocation et la satire. Son Robocop était donc, en plus d’être un film d’action violent au rythme trépidant, une critique très pertinente de l’économie reaganienne et de la politique des grandes entreprises.
Et il entend bien rester dans ce registre avec son Total Recall.
L’histoire du film se situe en 2020, et l’on suit les aventures de Doug Quaid, un ouvrier du bâtiment qui chaque nuit fait un étrange rêve martien. Alors qu’il n’y a jamais mis les pieds, la planète Mars l’obsède. Un jour, contre l’avis de sa femme, il décide de réaliser son rêve et de se rendre sur la planète rouge. Mais le voyage étant trop onéreux pour lui, il se rabat sur les alléchantes propositions offertes par la société Rekall. Cette dernière propose à ses clients de leur implanter artificiellement des souvenirs de vacances parfaites, dont tous les détails sont conformes aux souhaits des clients. Quaid est séduit par leur option “ego-trip” qui lui permet de se souvenir de sa visite de Mars en tant qu’agent secret : un programme qui lui garantit des courses poursuites, des fusillades, la présence d’une jolie fille et enfin de sauver le monde!
Mais alors que les employés de Rekall commencent à lui implanter les souvenirs factices, ils touchent une mémoire résiduelle et s’aperçoivent que les souvenirs de Quaid ont déjà étés effacés. Ils paniquent, ré-effacent la mémoire de Quaid et le mettent dans un taxi. Mais quand Quaid se réveille, il est immédiatement pris en chasse par des tueurs et découvre qu’il est réellement un agent secret…
Le scénario établit par Dan O’Bannon suit bien la trame que Dick développe dans sa nouvelle, avec notamment la présence d’un des thèmes favoris de l’auteur, à savoir le remplacement de la “réalité objective” par une autre réalité, subjective et fantasmée. Cependant la présence de Schwarzenegger dans le rôle du héros entraîne pas mal de modifications : le comptable effacé et timide de la nouvelle devient un ouvrier du bâtiment au physique de culturiste. A partir de là, l’histoire du film s’éloigne sensiblement de l’univers de Dick pour se muer en un véritable film d’action, où le spectaculaire devient le maître mot.
Total Recall est indéniablement un film à grand spectacle. Tout d’abord par la présence très marquée de nombreux éléments technologiques. Le film est truffé de vaisseaux spatiaux, d’armes futuristes et de quantités de gadgets technologiques divers et variés, qui permettent de rendre tangible l’univers de science fiction mais qui sont surtout aptes à plaire au grand public. En outre, la présence de très nombreuses scènes d’actions rend le film très rythmé. Les combats ne sont jamais réalistes et regorgent de ces poncifs hollywoodiens qui plaisent au public tels que les voitures qui explosent ou les personnages qui sautent au travers de vitres pour se relever immédiatement après.
Bref, Total Recall aurait pu être un film d’action très basique et totalement dénué d’intérêt s’il n’avait pas été mis en scène par Paul Verhoeven. En effet le réalisateur semble s’amuser à pervertir de manière très habile tout les mécanismes du blockbuster américain, et ce sur tout les plans!
Le scénario tout d’abord, qui suit en apparence le schéma très classique du héros indestructible qui tue les méchants et sauve le monde, mais qui est en réalité bien plus subtil. Verhoeven a clairement compris que la caractéristique la plus handicapante dans ce type de scénario est qu’il est entièrement prévisible. Tous les spectateurs savent déjà qu’à la fin, un duel homérique opposera le héros au méchant, qu’alors que tout semblait perdu le héros arrive à retourner la situation à son avantage, à sauver le monde et à embrasser sa dulcinée sur fond de tableau idyllique où tout se résoud. Et là où le film est habile c’est qu’il nous énonce directement et très clairement ce schéma typique dès le début! Quand Schwarzenegger va chez Rekall, ce que fait le commercial qui lui vend les différentes offres c’est tout simplement de nous raconter tout le déroulement du film! Le forfait “agent secret” du film se compose exactement de tout ce que contiennent les films d’actions hollywoodiens. Mais dans son film Verhoeven insiste déjà sur le caractère fictionnel de cette histoire, de tout ce que le spectateur va voir, ce qui crée un effet de mise en abyme assez intéressant puisqu’il amène le spectateur à doublement remettre en question ce qu’il voit: il doute continuellement de la réalité de ce que vit le héros, mais aussi de la vraisemblance du blockbuster. Ainsi Verhoeven utilise l’histoire développée par Dick pour remettre en question les mécanismes narratif du blockbuster. Rendant par là même le scénario en apparence classique de son film réellement passionnant, puisqu’il n’essaye pas de rendre spectateur dupe de ce qu’on lui montre. Parallèlement, le spectateur doute donc de la réalité (mais pour le personnage du film cette fois) de ce qu’il voit. On ne sait finalement jamais si on assiste à des événements réellement vécus par Quaid ou à des fantasmes de son esprit en passe d’être lobotomisé (un des risques liés, dans le film, à l’implantation des souvenirs). Au travers de cette double mécanique de la remise en question, le film semble surtout intégrer le principe de la suspension d’incrédulité à son propre scénario (à ce titre la phrase qui clôt le film est très révélatrice!).
Ensuite, à l’instar de Robocop, Total Recall se veut critique envers le monde des grandes entreprises, en décrivant le méchant du film, Cohaagen (joué par l’acteur Ronny Cox qui tenait déjà un rôle similaire dans Robocop) comme un entrepreneur sans scrupules. C’est lui qui a le monopole du commerce de l’air sur Mars et il n’hésite pas à profiter de cet avantage en le vendant à un prix excessivement cher. C’est lui aussi qui a construit les dômes destinés à contenir l’air et à protéger les habitants du rayonnement solaire, mais ceux-ci ne respectent pas les normes en vigueur et de nombreux habitants à l’apparence de hideux mutants ont développés d’étranges cancers de la peau suite au rayonnement néfaste. Toutefois, si les sinistres actions de Cohaagen rappellent celles de véritables entreprises, notamment dans les pays sous développés, la critique établie par Verhoeven est assez frontale et manque de subtilité. Elle a quand même le mérite d’exister, à une époque où les films d’actions se résumaient au héros américain qui tue les terroristes moustachus et basanés.
Sur ce dernier point encore, Total Recall se distingue de la masse. En effet les gentils du film, ce sont les mutants, repoussant physiquement et dignes de figurer au cotés des aliens les plus inquiétants offerts par le cinéma (les maquillages très réussis sont de Rob Bottin, célèbre notamment pour avoir réalisé les effets spéciaux de The Thing de Carpenter.) tandis que les méchants ont un physique normal, voire sexy pour la femme de Quaid. De même on constate que tout le film baigne dans un environnement assez sale et poussiéreux, ce qui tranche beaucoup avec l’image classique de la science fiction au cinéma et de ses décors lisses et aseptisés. Dans Total Recall les murs sont d’un gris sale, les sols sont poussiéreux, et le héros se bat dans des couloirs de métros, des grottes et des bordels pleins de putes mutantes. Le héros est aussi particulier. Soucieux de faire planer le doute sur son identité, le scénariste reste ambigu sur sa nature réelle et joue avec le souvenirs de son personnage comme avec l’image qu’il donne de lui aux spectateurs. Ainsi on le voit basculer dans le camps des méchants à un moment du film, et même s’il finit par redevenir gentil, le doute subsiste tant qu’on ne saura pas si toute cette aventure est réelle ou fantasmée pour lui. Par ailleurs il est amusant de signaler que Total Recall est le film où Schwarzenegger a eu le plus de dialogues jusqu’ici ! L’acteur autrichien en était d’ailleurs très content et garde de bons souvenirs de son travail avec Verhoeven, connu pour être très ouvert et attentif à ses acteurs.
Enfin, il y a la violence. Verhoeven, surnommé “le hollandais violent” par la presse spécialisée s’est en effet toujours caractérisé par le recours à une violence très graphique et réaliste qui vaut à ses films d’êtres la cible des comités de censures et des associations puritaines, surtout aux États-Unis. Total Recall, avec ses 74 morts (soit un personnage tué toute les minutes et demie) n’y échappe pas et se voit attribué un classement X pour “violence excessive”, avant de finalement écoper d’un R (interdit aux enfants de moins de 17 ans non accompagnés d’un adulte) après que quelques coupes aient été effectuées pour diminuer la longueur des scènes les plus violentes. S’il n’est pas véritablement “gore” le film flirte souvent avec une ultra violence marquée, qui jure souvent avec les punchlines comiques qui ponctuent le film. Ainsi on peut assister à quantité de corps criblés de balles, un homme qui a les bras arrachés, un autre au ventre traversé par une perceuse, etc. Et le héros comme les méchants font preuve de la même violence. Même si le personnage de Richter, magistralement interprété par Michael Ironside, qui jouait déjà les psychopathes dans Terreur à l’hôpital central et Scanners, se démarque clairement des autres par son coté sadique (c’est lui qui ordonne aux gardes de “tirer dans la tas”, qui abat les gentils par derrière et qui rêve de tuer Quaid!).
De par sa structure, ses effets spéciaux et son humour, Total Recall est clairement un blockbuster, qui fonctionne sur le spectaculaire et le rythme effréné de ses scènes d’actions. Il bénéficie à se titre de personnages assez typés, mais bien interprétés par de bons acteurs, et d’un excellent score signé Jerry Goldsmith. En ce sens le film constitue un divertissement d’excellente facture.
Mais c’est aussi plus que ça, Total Recall détourne les codes du blockbuster pour se transformer en un film d’action violent et assez jubilatoire, tout en se permettant de critiquer assez ouvertement l’attitude des grands patrons. Mais cette critique reste assez basique et n’a finalement pas la même force que les autres films de Verhoeven, comme Robocop ou Starship Troopers pour ne citer que de ses films américains. Total Recall est donc sans doute l’un de ses films les moins intéressants de son auteur, il n’en demeure pas moins un divertissement intelligent qui n’ennuie jamais.