Tommy – Ken Russell
Tommy. 1975Origine : Royaume-Uni
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Tommy Walker (Roger Daltrey) est devenu un légume suite à un trauma enfantin : il est devenu comme sourd, muet et aveugle, et il ne répond plus à son evironnement extérieur. C’est qu’il a vu sa mère (Ann-Margret) et son beau-père (Oliver Reed) assassiner son vrai père, alors que celui-ci était officiellement un disparu de guerre… Le film raconte les efforts de la mère et du beau-père pour soigner Tommy… Le tout intégralement en musique.
Ce qui peut en gêner plus d’un. Car, contrairement à un film comme le Rocky Horror Picture Show, le film de Ken Russell est intégralement en chansons. Des chansons extraites pour la plupart de l’album Tommy, des Who, paru en 1969. Un album conceptuel, un chef d’oeuvre. Mais les amateurs de l’album pourront être décontenancés par le fait que les chansons sont ici interprétées non pas par les Who, mais par les acteurs qui intérprétent les différents rôles de l’opéra rock. Logique, mais force est d’admettre que malgré tout le respect que l’on peut avoir pour des acteurs comme Oliver Reed ou Jack Nicholson, présents au générique, on y perd quand même au change. Même lorsque des musiciens confirmés s’y essaient, cela n’égale jamais la version studio des Who. Ces artistes de passage se nomment Elton John (pour “Pinball Wizard”), Tina Turner (“Acid Queen”) et surtout Eric Clapton. Un Clapton d’ailleurs hallucinant en prêtre rock, qui fait ses sermons sous forme de blues et dont l’objet du culte n’est pas Jésus mais Marilyn Monroe. Reste que sa propre version de la chanson qu’il interprète (“Eyesight to the blind”) n’est malheureusement pas incontournable, même si elle a le mérite de comporter un son blues typiquement claptonien. Cela dit, musicalement, si c’est une petite déception, ce n’est pas une catastrophe, loin de là. Le revisionnage aidant, on finit par s’habituer à ces interprétations libres. Il aurait été facile, surtout de la part de musiciens aussi créatifs que les Who et d’un réalisateur aussi inventif que Ken Russell, de reprendre les chansons studios. Ce n’est donc pas le cas, et le travail de recherche et d’originalité est appréciable : les membres des Who eux-mêmes livrent des versions sensiblement différentes de celles qu’ils avaient employées dans leur double album. On retiendra surtout le “Fiddle About”, du totalement allumé Keith Moon (par ailleurs un des plus grand batteur de tous les temps), et puis bien sur la superbe “See Me, Feel Me”, par Roger Daltrey, cette fois-ci identique à la version studio. John Entwistle et Pete Townshend, les deux derniers membres du groupe, sont en revanche un peu en retrait par rapport à leurs collègues et n’occupent pas de place très importante dans le film (ils jouent d’ailleurs leur propre rôle, contrairement à Daltrey et Moon, respectivement dans le rôle-titre et dans la peau de l’Oncle Ernie).
Mais pour en revenir au film, car c’est quand même un film, et bien disons que le tout est plutôt psychédélique. Extrêmement étrange (un film où tous les dialogues sont chantés ne peut que l’être, surtout avec Ken Russell à la barre), avec des mises en situations particulières à chaque chanson. De ce fait, le spectateur peut avoir l’impression d’assister à un long clip de deux heures. Mais pourtant, il y a bel et bien une vraie histoire qui nous est racontée. Tommy représente un être totalement détaché de la société. Il va être livré au sein de celle-ci et de ses excès : les excès d’intolérance, puisque Tommy sera maltraité du fait de son handicap par son cousin Kevin et par son oncle Ernie (il est vrai que le personnage était fait pour Keith Moon)… Et les excès lorsque Tommy sera catapulté comme star lorsque le monde se rendra compte qu’il est un champion de flipper, avec par exemple la groupie de Tommy, hystérique jusqu’à se mettre personnellement en danger. Prophétique et dénonciateur de la connerie “geek” poussée à l’extrême. Mais Tommy est aussi une source d’espoir, pas forcément dans le bon sens : lui, le “freak” comme l’appelle son cousin, devient quelque chose au sein de cette société. Ses parents, qui pourtant l’aiment, vont d’ailleurs en profiter pour leur propre confort personnel. Une bassesse qui s’applique à tous les personnages du film. Tommy lui-même, une fois guéri, se comportera comme les autres se sont comportés avec lui. Devenu quasi-messie, il regardera les autres de haut, sans volonté de leur nuire, pourtant. Mais le succès a corrompu son esprit, lui a fait abandonner l’humilité qui était la sienne lorsqu’il n’était que le gamin solitaire, et il se sent investi d’une mission divine. Et le peuple, en quête de héros, va le suivre… Ce peuple est quelque part sourd, muet et aveugle, à l’instar de Tommy au début du film. Il est la proie vulnérable des éléments extérieurs (la messe dirigée par Eric Clapton, en est une belle illustration), de cette fièvre de la mode… Jusqu’à ce qu’il se rende compte que toute cette idolatrie est vaine. La réaction populaire entrainera également Tommy dans une introspection nécessaire, sous la forme d’un retour en arrière dans sa vie, jusqu’au lieu où ses parents (sa mère et son vrai père) se sont rencontrés. Un lieu en pleine nature, loin de la société et de ses corruptions, mais aussi loin de son isolement initial, qui n’était guère plus appréciable.
Bref, le film, qui ne le cachons pas mise avant tout sur ses chansons, propose un vrai discours, une réflexion sur le vedettariat et sur le conditionnement de la soumission mentale et physique des fans vis-à-vis de leur idôle (l’inverse, le rapport de l’artiste au public, sera illustré quelques années plus tard par Pink Floyd, dans leur album The Wall, aussi bien que dans le film qui en fut adapté). Certes, Ken Russell en est le réalisateur, et son style se fait sentir, mais n’oublions pas qu’à la base ce sont les Who qui ont composé toute l’intrigue, tout l’opéra-rock. Ce qui prouve deux choses : déjà leur grand talent et ensuite leur refus de n’être que des rock stars pour ado. Leur album, et donc le film, remet même en cause la vénération que certains leur porte. Mais ceux-là ne sont après tout que des victimes de leur propre manque de repères. Ils suivent aveuglément leur modèle, sans réfléchir aux conséquences de leur idolatrie, et surtout sans se forger leur propre personnalité.
Un film bizarre, complexe. Une vision inhabituelle de la société inhabituelle, vue sous l’angle de sa superficialité.