Tom Horn – William Ward
Tom Horn. 1980Origine : Etats-Unis
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Mal aimé, incompris, sous-estimé, voire méprisé, ce Tom Horn sorti aux débuts des années 80 dans les salles françaises n’a pas eu bonne presse en son temps. J’en avais pourtant un bon souvenir et à le revoir, c’est un beau film qu’on se devrait pourtant de réhabiliter.
L’histoire et le(s) point(s) de vue qui y sont développés méritent qu’on s’y attarde.
Tom Horn est donc un personnage qui a bel et bien existé et qui reste symbolique d’une transition de siècle difficile, chaotique, où les institutions judiciaires ont commencé à se multiplier au sein de petit village jusque lors désorganisé. A sa manière il symboliserait presque tout un pan du cinéma de Sam Peckinpah dans son incapacité à se reconnaître puis se fondre dans le nouveau monde alors en construction. Ayant passé sa vie à travailler sur les voies de chemins de fer, à galoper à travers les montagne comme conducteur de « voitures à chevaux », avant de devenir agent Pinkerton puis éclaireur lors des guerres indiennes et de contribuer à la capture du renommé Geronimo, pour enfin y gagner une réputation malgré lui.
En cela, Tom Horn est un personnage singulier avec un destin hors du commun. Celui-ci ayant passé sa vie au sein des grands espaces, c’est tout juste s’il a conscience du monde en pleine mutation qui l’entoure et c’est sur les bases de « l’ancien monde» qu’il établit, sa vie, ses règles, ses propres lois. C’est du reste toujours sur ces bases là qu’il a été embauché, parfois donc afin de rendre service à la nation.
Le voici de passage au sein d’une petite bourgade du Wyoming où règne en maître le vol de bétail. A noter que ces pillages sont sournoisement légalisés par le shérif de la ville et ses adjoints, et ce dans un soucis de prospection et bénéfices personnels. A partir de là, seule une organisation privée (toute aussi illégale donc, mais plus juste puisqu’elle protège ses biens) peut tenter de se regrouper afin de mettre fin à ces agissements. Malheureusement Tom Horn passera par là et ce sera son plus gros tort. Très vite il se voit embauché secrètement par ladite organisation afin d’éradiquer les vols de bétails. On loue donc ses services contre des repas, et finalement Horn ne fait que continuer à faire ce que toute sa vie durant il a fait… traquer.
Mais Tom Horn pour se faire devra tuer, et peut-être même qu’il débordera parfois, notamment lorsque l’on tuera son cheval. Un cheval a plus de valeur pour cet homme là, qui connaît la fidélité de l’animal, comme il n’est pas sans ignorer les bassesses dont peut faire preuve l’être humain. Las, vient le jour où les intérêts politiciens prenant le dessus, et la justice d’État vient à négocier avec l’organisation, qui une fois les vols stoppés par celui qu’ils ont embauché, et n’ayant plus besoin de lui, en arrive à le brader. Il va bien falloir s’en séparer, maintenant qu’il a accompli les basses besognes. D’ailleurs Tom Horn aurait pu s’en apercevoir avant s’il était d’avantage au fait du monde civilisé, puisque la première rencontre avec la secrète association se fera autour d’une table emplie de homards, bestiole que ce dernier n’a jamais vu et qui nous vaut cette réplique plein d’humour « Je n’ai jamais vu d’insectes aussi gros ». On comprends dès lors que c’est pour une bourgeoisie en devenir que Horn offrira ses services.
Coïncidence désolante, au moment où l’on cherche à s’en séparer, un meurtre horrible est commis sur un gamin de 14 ans. De là, on trouvera, du côté de l’État comme de l’organisation, le meilleur moyen de se débarrasser de ce type tant utile auparavant que devenu gênant alors.
En plus d’avoir été bradé en douce, on lui collera le meurtre sur le dos. Tom Horn, non coupable ne cherchera pas à fuir. Il ignore tout de la justice, de plus c’est un candide qui croit en sa bonne foi, et comme on l’a toujours embauché pour tuer, reste quelque peu dépassé par ces accusations. Il est rôdé, il en a vu d’autres, et certainement quelques massacres de camps indiens emplis d’enfants, donc il ne comprends pas et de ce fait ne cherchera jamais à se disculper. Étant innocent, il n’en voit tout simplement pas la raison.
Pendant ce temps les intérêts nationaux vont rejoindre les intérêts locaux, et ce pour quoi Tom Horn payera au final, c’est le besoin de sentence. En effet, la justice étant en train de s’organiser, le meilleur moyen d’en propager les limites reste l’application d’une sentence relayée par les journalistes, afin de mieux la faire connaître. De même que le procès où l’avocat de l’accusation se doit de condamner à mort l’homme à tout faire, afin de se faire réélire comme sénateur en montrant l’efficacité de l’exécutif. Dès lors Horn n’aura plus sa chance, et même en méconnaissance de ces procédés et sans pouvoir y mettre les mots, il sentira suffisamment par intuition qu’il est l’instrument d’un procès de mascarade aux enjeux qui le dépassent, et de ce fait, il se défendra encore moins.
C’est une belle histoire que celle-ci en même temps qu’un sacré beau film. Si le metteur en scène reste peu connu, il semble qu’on doive une grande partie du film à Steve McQueen lui-même qui se serait investit à fond dans le projet. En passant, en même temps que de raconter la fin d’un Ouest dit « sauvage », on pourra y voir la fin d’une légende, puisqu’on sent l’acteur malade, et lors de la scène d’évasion et la course poursuite qui la suit, McQueen donne tout ce qu’il a. Ça crève l’écran, c’est assez douloureux et beau en même temps.
Mais les plus grandes qualités du film sont ailleurs. Déjà dans tout le contenu historique et sociopolitique, la dissection de notion de justice, évoqués ci-dessus, mais également dans sa mise en scène, il est étonnant de le revoir aujourd’hui tant les espaces y sont remarquablement employés. De par son sujet et son traitement, on pense très souvent au superbe Impitoyable de Clint Eastwood. D’une ballade, on passe aux conflits, puis à une fin inéluctable, avec deux notions du monde qui ne se comprendront jamais. On y retrouve ce même amour des grands espaces, la même description d’intérêts en transition qui font de certains bandits d’autrefois les garants de la justice d’aujourd’hui, faussant ainsi la donne et la légitimité de cette justice, en même temps qu’excluant d’office ceux qui ne s’y retrouveront pas de suite, où ceux comme Tom Horn qui ne parviennent pas à s’y adapter.
L’alternance des plans larges, où les espaces symbolisent la liberté et l’équilibre de notre héros, et des plans rapprochés mettant en scènes les tractations sournoises des fanges de la populace font de ce spectacle une œuvre intelligente. Cette mise en scène, sans insister outre mesures, et versant dans un naturalisme pur le plus souvent, est très belle. Tout comme celle de Eastwood, elle se fait classique pour mieux faire ressortir l’histoire et son contenu, tout en fondant les personnages principaux dans leur milieu naturel. Tom Horn est un personnage sauvage, et c’est dans ces étendues qu’il s’épanouit, ailleurs il se meure. On retrouvait déjà ce parti pris dans le splendide Shane, l’homme des vallées perdues, mais rares dans l’histoire du cinéma et de ce genre en particulier sont les films qui laissent autant de place et à l’être humain, et aux étendues qui le caractérisent.
Que dire d’autre hormis le fait qu’on pourrait spéculer longtemps sur tous les sens à donner à la justice dans Tom Horn, ce qui le rapproche dans un même temps d’autres œuvres intéressantes comme le très ambigu L’Homme de la loi de Michael Winner (qu’on pourrait presque prendre comme le pendant réflexif de gauche de son Justicier dans la ville, et en cela brouille les cartes sur le propos global du réalisateur, mais c’est une autre histoire…), mais aussi L’Homme aux colts d’or de Edward Dmitick, ou pour en finir et en revenir à Eastwood, L’Homme des hautes plaines ou bien Pale Rider. Il est également très étonnant de constater que les pages noires de la naissance des États-Unis sont systématiquement vilipendées, on aura également une pensée pour Les Portes du paradis de Cimino dans lequel on retrouve les mêmes méthodes contradictoires et expéditives au sein des éleveurs…