The Amusement Park – George A. Romero
The Amusement Park. 1973.Origine : États-Unis
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Dans le domaine musical, l’exploitation de morceaux inédits d’artistes renommés relèvent du lieu commun. Ils font en général le bonheur des ayant-droits et des fans, respectivement toujours avides d’exploiter et de découvrir les “pépites” cachées d’un artiste apprécié. Dans le domaine cinématographique, la chose se révèle beaucoup plus rare. Il est alors davantage question de projets inachevés (L’Enfer de Henri-Georges Clouzot) ou restés lettre morte dont certaines arlésiennes demeurent fameuses (Napoléon sous la houlette de Stanley Kubrick, le Megalopolis de Francis Ford Coppola, Leningrad de Sergio Leone). Et puis parfois, sans crier gare, des films disparus refont surface grâce à l’abnégation – et à un soupçon de chance – de gens passionnés. C’est ainsi que Réveil dans la terreur de Ted Kotcheff, film que l’on croyait perdu, a pu être réexploité en salles après une projection à Cannes en 2009 dans la catégorie Cannes Classics. Un petit miracle dû à la détermination sans faille d’Anthony Buckley, monteur du film, qui a consacré 10 ans de sa vie à la recherche du négatif original et qui a fini par le retrouver au fond d’un conteneur portant la mention “à détruire” dans un studio de Pittsburgh. C’est dans cette même ville de l’État de Pennsylvanie, et ses environs, que George A. Romero a tourné la majorité de ses films et où s’est produit un autre – petit – miracle. Un an après sa mort, Suzanne Desrocher-Romero, veuve et directrice de la fondation qui porte le nom du cinéaste, a retrouvé dans les archives la copie d’un film totalement inconnu au bataillon, même des spécialistes, The Amusement Park. Un moyen-métrage dont le récit se déroule dans le parc d’attractions West View, aujourd’hui fermé, et qui a vocation à traiter de la place des personnages âgées dans la société américaine.
Un homme âgé parcourt les artères vides d’un parc d’attractions. Il s’adresse directement à nous, nous expliquant à quel point il est difficile d’être une personne âgée dans la société actuelle. A ce titre, il nous enjoint à davantage de considérations, arguant fort justement que nous sommes tous amenés à vieillir. S’ensuit une expérience dans ce même parc d’attractions par une journée de forte affluence. Cobaye d’un jour, l’homme en question affronte l’animosité des gens qui l’entourent jusqu’à l’humiliation.
Durant les années 70, George Romero se trouve dans une situation étrange. Film choc pour toute une génération, La Nuit des morts-vivants a contribué à le faire connaître mais pas à l’enrichir pour de sombres affaires de droits. Ses films suivants – There’s Always Vanilla et Season of the Witch -, outre ne pas lui rapporter grand chose, brouillent les cartes en s’éloignant résolument du cinéma horrifique pour une approche plus volontiers dramatique des sujets sociaux qui l’importent. La trésorerie en berne, le réalisateur accepte volontiers des commandes en marge de sa carrière pour pallier à des fins de mois difficiles. The Amusement Park compte parmi celles-ci. A cette époque, il n’était pas rare que des organisations religieuses fassent appel à des réalisateurs chevronnés, quelque soit leur genre de prédilection, pour alerter sur des problèmes de société. L’initiative de The Amusement Park revient à la communauté religieuse luthérienne de Pittsburgh, laquelle désire rendre compte de la maltraitance dont les personnes âgées sont victimes aux États-Unis. Qui dit œuvre de commande, dit cahier des charges à respecter. Et les luthériens tiennent absolument à ce que le film se termine par un message religieux positif. Un vœu pieux car George Romero reste un réalisateur indocile qui trouve dans ce projet des résonances avec ses préoccupations habituelles au point de le pervertir.
Ce qui commence donc comme une banale expérience dont les tenants et les aboutissants nous sont doctement exposés en préambule se transforme subitement en un cauchemar sans fin. Le vieil homme que nous suivons se retrouve dans une pièce d’un blanc aussi immaculé que le costume qu’il arbore. Sur place se trouve un autre homme, au costume identique mais crasseux et abîmé. Il a l’air hagard, paraît extrêmement épuisé et porte les stigmates de blessures sur le visage. Et fait étrange, il ressemble comme deux gouttes d’eau à notre présentateur/expérimentateur. Ce dernier ne perçoit pas leur gémellité et s’aventure au-delà de la porte en dépit de ses avertissements. Derrière celle-ci, il découvre plein d’entrain la ferveur qui anime les travées d’un parc d’attractions. Fugace instantané de normalité au sein d’un maelström de bizarreries duquel se détache néanmoins une constante : les personnes âgées n’ont pas leur place ici. Tout concourt à les mettre à l’écart, à commencer par ce Grand Huit pour lequel ils doivent justifier d’un palpitant en bon état de fonctionnement. Ils sont tour à tour moqués, fuis comme la peste et déconsidérés. Pire, ils sont relégués au rang de monstruosités, exhibés tels des monstres de foire dans un cirque des horreurs. Notre homme en costume blanc vit donc un calvaire. Il assiste impuissant à sa mise au ban progressive mais inéluctable. Seule petite éclaircie, une fillette qui le regarde comme un être humain et qui témoigne à son endroit de quelques attentions avant que sa mère ne s’en rende compte et, effrayée autant qu’en colère, la soustrait au regard du vieil homme. Une rencontre au préalable avec une autre gamine avec laquelle il sympathisait lui vaudra d’être traité de satyre par une assistance aveuglée par la bêtise et la haine. George Romero ne ménage ni son personnage ni les spectateurs, lesquels se retrouvent plongés dans un univers a priori familier mais constamment phagocyté par des détails incongrus comme ce patrouilleur de police qui dresse un constat à un couple de personnes âgés après qu’il ait eu un accrochage à bord d’une auto-tamponneuse. Les intentions du réalisateur sont limpides. Il se sert du parc et de ses diverses attractions comme d’une allégorie de la société. Une société carnassière qui broie et exploite les individus tant qu’ils sont productifs avant de les abandonner à leur triste sort. George Romero dresse un constat sans appel, qui ne s’étend pas aux seules personnes âgées. Au détour d’une scène, il illustre également les inégalités criantes qui subsistent entre les individus avec ces mendiants affamés qui dévorent des yeux le repas pantagruélique et raffiné de ce bourgeois solitaire qui suffirait à les nourrir tous. Pour ne pas se couper l’appétit, celui-ci détourne les yeux de ce spectacle et avec le concours de restaurateurs complices, se referme un peu plus sur lui-même en déplaçant sa chaise de telle manière qu’ils deviennent invisibles à son regard. Le vieil homme au costume blanc, voisin de tablée, fera preuve de davantage de commisération, n’hésitant pas à partager sa modeste collation avec eux. Entre damnés de la terre, on sait s’entraider.
Face à cette cinglante parabole politique qui leur a totalement échappés, les luthériens sont outrés. Le résultat, qu’ils jugent dangereux, ne correspond pas du tout à ce qu’ils envisageaient. Ils se gardent donc bien de le diffuser et c’est ainsi que The Amusement Park a été extrait du regard du public. De nouveau visible dans une copie restaurée – les droits ont été achetés par les éditions Potemkine et le film diffusé dans le cadre du 12e festival Lumière en octobre dernier – The Amusement Park montre un George Romero égal à lui-même, frondeur et révolté. En dépit d’un budget famélique et d’un temps de tournage très court, il s’essaie à quelques expérimentations, notamment sonores, afin d’amplifier l’aspect cauchemardesque de son récit, lequel n’interdit pas quelques touches d’humour éparses. Une curiosité qui devrait connaître une sortie en salles élargie dans le courant de l’année 2021 (si les salles de cinéma ne doivent pas encore rester portes closes, croisons les doigts), suivi d’une exploitation en vidéo.
Merci pour cette découverte. Je n’étais pas au courant que ce film existait, cela fera plaisir aux fans de Romero.