Super Mario Bros – Annabel Jankel & Rocky Morton
Super Mario Bros. 1993Origine : Etats-Unis / Royaume-Uni
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Si 1969 fut l’année érotique, 1991 (et plus particulièrement ses derniers mois) fut l’année funèbre. Décès de Freddie Mercury, écroulement définitif de l’Union Soviétique et mise en chantier de la première adaptation officielle d’un jeu vidéo au cinéma. Jusqu’ici habitué à être décliné dans l’univers vidéoludique, le septième art se mit pour la première fois au service du dernier né des supports culturels (si si), ouvrant la porte à une avalanche de navets rarement voire jamais entrecoupée par de bons films. Le jeu ayant eu l’insigne honneur de devenir le précurseur de cet échange réciproque ne fut nul autre que Super Mario Bros, tête de proue de la toute-puissante Nintendo depuis ses premières aventures de salon en 1985, sur NES. En 1991, le jeu s’est transformé en franchise lucrative, déclinée dans toutes les consoles Nintendo : deux autres opus sur NES en 1988 et 1990. Une version Game Boy baptisée Super Mario Land en 1989 et enfin Super Mario World, dernier né de la saga, destiné à la Super Nintendo en 1991. N’en déplaise aux amateurs du hérisson technoïde de chez Sega, Mario était bel et bien la star des jeux vidéos, et s’enorgueillissait déjà de plusieurs dessins animés à sa gloire. Logique que le plombier italien et que son frère non moins plombier Luigi pénètrent le marché du cinéma avant n’importe quels autres amas de pixels mouvants. Mais il fallut tout de même deux ans pour que le projet se concrétise sous l’impulsion des réalisateurs Annabel Jankel et Rocky Morton (mari et femme britanniques créateurs de l’animateur virtuel Max Headroom) et surtout du producteur Roland Joffé qui, mécontent du travail de son duo de réalisateur, acheva lui-même l’entreprise en compagnie de Dean Semler. Un mauvais présage pour un film déjà mal parti. Car au début des années 90, les jeux vidéos sont encore loin d’être ce qu’ils sont aujourd’hui. Leurs scénarios se font minimalistes, leurs concepts se veulent simples, sans fioritures graphiquo-tri dimensionnelles et même leur jouabilité se limite à quelques touches et une croix directionnelle (le tout pour un plaisir de jeu duquel je suis volontiers nostalgique, mais là n’est pas la question). En clair, les jeux Super Mario ne proposaient qu’un objectif : délivrer la Princesse des griffes du méchant en traversant des mondes peuplés de vilaines créatures et en s’aidant d’artifices invraisemblables. Tout restait donc à faire pour les réalisateurs et les scénaristes, qui devaient créer tout en reprenant le plus possible d’éléments présents dans les jeux vidéos.
Ils choisirent donc de lier directement Mario (Bob Hoskins) et Luigi (John Leguizamo) à notre monde, et de les faire habiter New York. Les deux frangins, plombiers de leur état, croisent la route de Daisy (Samantha Mathis), jeune archéologue travaillant au dépoussiérage d’ossements de dinosaures découverts sous le fleuve. Luigi s’enamourache de la jeune femme et s’en va lui conter fleurette de nuit, sur le chantier archéologique. A la suite d’un sabotage plombier, Mario sera appelé sur les lieux. La fuite sera plus ou moins réparée, mais Daisy sera enlevée par deux étranges bonshommes, qui lui feront traverser une porte dimensionnelle ! De l’autre côté de cette porte se trouve le monde des dinosaures ! Loin de les avoir exterminés, la comète d’il y a 65 millions d’années a en réalité provoqué l’ouverture de deux dimensions : celle dans laquelle les mamifères ont évolué pour devenir les hommes, et celle dans laquelle les dinosaures ont survécu, évoluant eux-aussi pour devenir des reptiles à l’apparence humaine. Dans ce monde parrallèle, l’ignoble Koopa (Dennis Hopper) a pris le pouvoir, et se voyant déjà maître des mondes, il souhaite ardemment fusionner les deux dimensions. Pour cela, il a besoin de Daisy, qui est en réalité la Princesse du Roi déchu, abandonnée dans notre monde à sa naissance par sa défunte mère, qui en seul souvenir lui a laissé un morceau de comète. C’est précisément de ce bout de comète qu’a besoin Koopa pour activer le processus de fusion dimensionnelle. Mais Mario et Luigi ne l’entendent pas de cette oreille, et avec l’aide bienveillante d’une mycose royale (le Roi lui-même transformé en morve géante…) ils tenteront de s’opposer aux plans de Koopa tout en libérant la Princesse, le Roi, et le Monde (parrallèle).
Bien plus que de broder autour des jeux, Super Mario Bros le film réinvente carrément leur univers. Logique, puisque la description qui en est faite dans les jeux se montrait pour le moins sommaire. En l’absence de précisions psychologiques et mythologiques de la part des concepteurs de Mario et Luigi, les réalisateurs avaient le champ libre pour inventer quelque chose d’original. Mais le syndrome Hollywood a frappé, et le film cherche ostensiblement à plaire au plus grand nombre d’enfants (et de parents), d’où la volonté de ne pas sortir des sentiers battus. Le traitement des personnages est douteux : le duo de héros se fait stéréotypé, avec Mario le grand frère protecteur et Luigi le jeune impulsif romantique. Des caractérisations simplistes pour un film recherchant avant tout à donner des repères aisément identifiables à son public de préférence infantile. Dans le même ordre d’idée, la Princesse est une jeune femme en détresse infoutue de se débrouiller seule et Koopa est l’habituel gros vilain un peu sot à la tête d’une armée d’imbéciles. Le manichéisme balisé hérité des contes et légendes est plus que jamais de mise, réduisant tout l’intérêt du film à ses créations visuelles et à sa dose d’action. De ce fait, les références faites à l’univers de Mario passent au second plan, et, foncièrement, si le film n’avait pas fait référence aux produits de Nintendo, rien n’eut été modifié. Les références aux jeux sont pourtant nombreuses (tous les jeux estampillés “Mario” s’y retrouvent), mais elles n’apparaissent que comme des points de détails, parfois réduites à l’état d’accessoires, parfois utilisées gratuitement au détour d’une scène, parfois évoquées uniquement à titre nominatif. Les spectateurs ne connaissant pas les jeux vidéos ne les saisiront pas, et ils se demanderont donc logiquement pourquoi l’intérêt est soudain porté sur tel ou tel personnage ou sur tel ou tel détail visuel dont l’utilité est toute relative. Quand aux spectateurs connaissant le jeux, ils ne pourront que déplorer de voir la gratuité avec laquelle les références sont enquillées, parfois complétement à côté de la plaque (le gros poisson rouge Big Bertha, de Super Mario Bros 3, devient ainsi une grosse mama habillée d’une robe rouge…). Des choix contestables qui poussent le vice jusqu’à affecter les personnages principaux. Mario et Luigi ne revêtent leur combinaison (rouge pour Mario, verte pour Luigi) que dans la dernière demie-heure), Koopa (nom préféré à Bower) n’est plus un dinosaure fictif mais un reptile d’apparence humaine descendant d’un T-Rex, la Princesse n’est pas Peach mais l’obscure Daisy (utilisée dans Super Mario Land), le dinosaure Yoshi est réduit au rang de “mascotte royale” totalement inutile et le gentil champignon Toad devient un goomba punk, les goombas eux-mêmes cessant d’être de méchants champignons pour devenir des opposants transformés en armoire à glace à tête réduite (symbole de leur manque d’intelligence). Mais la modification la plus notable est une invention pure et simple : l’univers de Koopa devient une citée futuriste à la Blade Runner, noire, sale et claustrophobique. Tout l’exact opposé du monde des jeux vidéos de Nintendo, qui au contraire se distingue par leur clarté et par le sentiment de liberté donnée au joueur (la capacité de se mouvoir selon sa volonté est une constante dans les jeux mettant en scène Mario et son frère). Ce non-respect des jeux achève de prouver que les réalisateurs ne se sont aucunement souciés des amateurs de Mario. Cela aurait pu passer, si le film avait été bon. Ce qui n’est pas le cas, puisqu’entre les envahissantes références gratuites et les stéréotypes plombants nous trouvons un humour au ras des pâquerettes. L’accent est mis, entre autres choses, sur l’imbécilité des hommes de Koopa, sur la mycose géante rongeant la ville (symbole de mauvais goût des champignons, forts différents de ceux du jeu) et sur la maladresse de Luigi, peu au fait des techniques de drague. Des gags primaires dominant largement tout le film et venant prendre le pas sur les scènes d’action, conçues elles aussi dans un esprit bon enfant.
Résultat des courses : un film bordélique, un défilé d’images assez laides, de références pêle-mêle et de clichés simplificateurs qui ne sauraient satisfaire personne, connaisseurs de Mario ou non. Le ton est donné pour tout un tas d’adaptations de jeux vidéos à l’écran qui seront autant de nouveaux ratés. En cela, le film de Annabel Jankel et Rocky Morton est également un précurseur.