Summer City – Christopher Fraser
Summer City. 1977Origine : Australie
|
Début des années 60, petit week-end de détente sur la côte pour quatre amis dont l’entente part assez vite à vau-l’eau. Grande gueule de la bande, Boo (Steve Bisley) ne demande qu’à faire la fête et à lever de la nénette, tandis que le taciturne Sandy (John Jarratt) va très prochainement se marier et se pose déjà en homme respectable. Entre les deux, Scollop et Robbie (Mel Gibson et Phillip Avalon) cherchent mollement à arrondir les angles quand ils ne chevauchent pas leur planche de surf. Le conflit couve, et la colère noire ressentie par le père d’une jeune fille déflorée par Boo ne va rien arranger.
Qu’aurait été la destinée de Summer City si Mel Gibson n’y avait pas occupé l’un des quatre rôles principaux, d’ailleurs le premier rôle au cinéma de sa carrière ? Cette production australienne totalement indépendante aurait depuis longtemps sombré dans l’oubli. Même pas sûr qu’elle aurait connu les honneurs d’une sortie VHS dans nos contrées françaises sous le titre disgracieux d’American Happy Day dont l’a affublé Colombus, son éditeur notoirement loufoque. Mais puisque Gibson est devenu une star, il aurait été bête de ne pas sauter sur l’occasion et de ne pas profiter de sa trogne vendeuse pour orner des jaquettes. Il est vrai que Colombus ne rechignait pas à vendre un film sur la base d’un acteur qui n’y figurait pas, mais cette fois il y jouait vraiment ! C’est pourquoi le film continua à vivre sa petite vie jusqu’à l’époque du DVD, où il fut récupéré par les opportunistes de chez Prism, tellement ravis d’avoir une telle tête d’affiche qu’ils rendirent au film son vrai titre.
On peut quand même se demander pourquoi aucun éditeur disposant d’un minimum de prestige n’a lui-même daigné prendre en charge un film qui outre Gibson, contient aussi dans ses rangs Steve Bisley (partenaire de Gibson dans Mad Max) et John Jarratt (Wolf Creek, Australia…). Et bien parce qu’à l’instar de Sizzle Beach USA, un film de jeunesse de Kevin Costner lui aussi condamné à des éditeurs sans vergogne -Troma aux Etats-Unis-, il s’agit d’une production vraiment trop éloignée des attentes du grand public. Non seulement le bouche à oreille serait désastreux, mais en plus l’image des stars concernées seraient salement écornées. Costner a d’ailleurs en vain cherché à faire disparaître sa casserole, ce que Gibson ne semble pas avoir essayé. Des considérations à long terme qui n’ont cependant pas effrayé les gens de chez Prism, pour lesquels une histoire quasi inexistante et des effets visuels totalement absents ne pèsent rien face à une jaquette sur laquelle Mel Gibson (dont le rôle de surfeur blondinet est finalement assez secondaire) peut apparaître en grand. Et comme à leur habitude, ils ont aggravé les choses en reprenant tel quel un master de VHS, laissant passer un doublage calamiteux, une qualité d’image exécrable et un son épouvantable, aptes à ruiner toute trace de qualité.
Summer City est d’un vide sidéral. Le conflit entre Boo et Sandy n’est en fait qu’une bouderie, et d’ailleurs les personnages vaquent chacun de leur côté. Encore que Sandy ne doive pas vaquer à grand chose, puisqu’il est rarement à l’écran, tandis que les excentricités de Boo sur lesquelles s’attarde le réalisateur Christopher Fraser le font passer au rang de “héros”. Sur les 1h25 que dure le film, une heure se passe donc ainsi. Réponses insolentes à des commerçants, remarques lubriques sur les filles, grosses voitures, concert de rock’n’roll, plage et surf, quelques conversations relevant de la philosophie de comptoir et, plus souvent, dialogues et vannes d’une platitude écrasante. Également au menu : nombreux stock shots de surfeurs, de couchers de soleil, de vagues qui déferlent, surmontés d’une musique vaguement inquiétante pour peut-être nous annoncer la proximité d’un précipice qui a quand même été annoncé dans l’introduction, lors de laquelle Sandy se remémore ce qui a été visiblement prononcé par des magistrats dans un tribunal. En fait de précipice, nous avons une dernière demi heure en pleine nature où effectivement il se passe quelque chose puisque les deux conflits larvés (entre Boo et Sandy d’une part, entre Boo et le père de la donzelle déflorée de l’autre) éclatent et se fondent l’un dans l’autre. Il est vrai que par comparaison avec ce qui a précédé, nous sommes enfin face à un moment agréable dans lequel se remarque une certaine intensité dramatique jurant avec l’insouciance gênante jusqu’ici affichée par les protagonistes à l’exception du rabat-joie Sandy et de Caroline, la copine d’un soir de Boo qui est venue pleurer auprès de Scollop (lequel lui a alors fait une leçon de morale sur son immaturité). L’introduction, dont on avait fini par penser qu’il s’agissait encore d’une scène injustifiée insérée n’importe comment dans le métrage, aura quand même fini par s’expliquer. Voilà voilà…
Là pourrait se clore cette critique d’un film inepte, extrêmement amateur et qui s’est terminé par un très inattendu sursaut d’inspiration. Mais l’honnêteté pousse à aller au-delà. Et en recherchant un peu dans les trivia de IMDB, on peut trouver l’explication de ce trou noir sur pellicule : Summer City n’a jamais été fini. Porté par l’ancien mannequin Phillip Avalon, qui en plus d’avoir incarné le plus transparent des quatre amis a également fait office de producteur et de scénariste, il devait être à l’origine une sorte d’American Graffiti à la sauce australienne. Si l’on s’en fie à la bribe d’intrigue servie par le réalisateur débutant Christopher Fraser (débauché dans le milieu de la pub), on peut imaginer que le but aurait été de mêler les souvenirs idéalisés de la jeunesse d’Australie au début des années 60 (ce qui explique le rock, les filles, les voitures etc…), la dépiction des mœurs de l’époque (Caroline et son père) et une réflexion autour du thème de la maturité (certains des tout jeunes adultes comme Boo ne parvenant pas à sortir de l’adolescence tandis que d’autres comme Sandy étant déjà tournés vers l’avenir). Une sorte d’introspection sur le passé. Le résultat aurait pu être très positif, mais des conflits pendant le tournage poussèrent les acteurs à claquer la porte prématurément, sans possibilité de reprendre tout à zéro puisque la production était totalement indépendante et donc financièrement très limitée. Ce qui avait été tourné passa malgré tout sur la table de montage, y compris des choses inutiles, et des stock shots furent balancés afin d’arriver à une durée suffisante pour un long-métrage apte à être projeté. Voilà ce qu’est Summer City.