Ricco – Tulio Demicheli
Ricco. 1973Origine : Espagne / Italie
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Après deux ans de prison, Ricco (Christopher Mitchum) rentre chez lui pour retrouver sa sœur au lit et sa mère en fauteuil roulant. La vie de famille a bien changé depuis que le père, parrain de la mafia, s’est fait assassiner par un rival qui a pris sa place à la tête de l’organisation. Pour couronner le tout, Rosa (Malisa Longo), la petite amie de Ricco, est désormais la compagne du nouveau boss, Don Vito (Arthur Kennedy). Poussé par sa mère rancunière, Ricco part faire sa vendetta, aidé par Scilla (Barbara Bouchet) nièce d’un ami de la famille.
Il y a des fois où l’on se dit que même le polar le plus bête et le plus méchant d’Umberto Lenzi est capable de passer pour une œuvre savamment construite. C’est le cas lorsque l’on refuse de le regarder avec la distance qui s’impose et que l’on en déduit de dangereux penchants sécuritaires, mais c’est aussi le cas lorsque l’on est confronté à ce Ricco signé du vétéran argentin Tulio Demicheli, qui après avoir travaillé à domicile, puis au Mexique, a fini par atterrir en Espagne, alors en plein rapprochement cinématographique avec cette tête de gondole du cinéma de genre qu’était l’Italie. En réussissant à se prendre les pieds dans le tapis d’un scénario pourtant ultra linéaire, et en mettant en avant un personnage pour le moins chiche en dynamisme, Demicheli et ses scénaristes parviennent à foirer le plus facile. Bravo ! Et le pire, c’est que ça ne gâche même pas le plaisir. Prenons par exemple le cas Christopher Mitchum, fils de Robert… Son criant manque de talent symbolisé par des expressions figées ou au contraires grimaçantes, la rigidité de sa carcasse longiligne -flagrante dans des combats au corps à corps où ses assaillants mettent plus d’enthousiasme à tomber que lui à frapper-, et quitte à taper bas, sa coupe de blondinet post-Beatles qui lui donne plus l’air d’un jeune centriste que d’un fils de parrain, tout cela devrait être un obstacle de poids dans la route du succès. Il n’en est rien, car Ricco ne marche pas vraiment sur le créneau de l’acteur locomotive qui dégage la route à la force du poignet ou de la mitraille, comme le font les polars italiens disposant de têtes d’affiches consistantes (Milian, Merli, Adorf…). Il marche par à coups, par des successions de scènes peu consistantes sur le fond et en réalité peu utiles. Imaginons que les fameuses digressions que l’on trouve à la pelle dans les films de Lenzi (par exemple la prise à partie d’un quelconque malfrat venu se perdre sur la route d’un Merli) soient mises bout à bout, et nous avons le scénario de Ricco. Incapable d’aller de A à B, ou en tout cas ne souhaitant pas le faire pour ne pas torcher son film en 20 minutes (on sait qui à fait le coup, on sait où il habite, et on rentrez chez lui comme dans un moulin), le réalisateur invente des subterfuges. Par exemple, envoyer Ricco demander l’aide d’un lieutenant de Don Vito -joué par Eduardo Fajardo- qui va l’entraîner dans une magouille à base de diamants qui n’a vraiment rien à faire là. Cela colle finalement assez bien à l’improbabilité de ce héros qui n’en est pas vraiment un, et qui du reste ne se lance dans sa vendetta que pour faire plaisir à sa mère. Bien qu’il cherche parfois à jouer les bravaches en distribuant ici où là quelques torgnoles, Ricco est avant tout un suiveur qui ne serait strictement rien s’il n’avait pas quelques compagnons à ses côtés. Ce sont eux qui font dévier le scénario vers des choses futiles, qui affadissent Ricco (lequel est en plus un crétin fini : arrivé à la fin du film, il se pose encore la question de savoir qui a assassiné son père) et qui tout compte fait rendent le film agréable.
Ainsi, le véritable héros de Ricco est une héroïne, et c’est Barbara Bouchet. Lorsque Demichieli fait mine de la transformer en amoureuse transie de Ricco, jalouse de voir ce dernier renouer avec la toujours légèrement vêtue Rosa, cela ne lui va pas et elle se met à jouer aussi mal que Mitchum. En revanche, lorsqu’elle use de son caractère pétillant et malicieux (une vraie Tomas Milian au féminin… dommage d’ailleurs qu’on ne les ait pas plus vu ensemble, ceux là), il en va tout autrement. Arnaqueuse dans la rue abusant de son décolleté plongeant, cherchant noise au Ricco quand celui-ci lui refuse le droit de participer à une vengeance qu’elle estime être également sienne, désobéissant à ses consignes, ce qui lui permet de sauver (deux fois) la vie du blond mollasson, elle permet d’apporter cette touche humoristique et irrévérencieuse sans laquelle ce style de polar ne serait rien. En outre, Demicheli lui réserve l’un des deux morceaux de bravoure dominant le film. Comment tendre un guet-apens aux hommes de Don Vito ? Plutôt que de laisser Ricco s’embourber une fois de plus, Scilla surgit du brouillard pour nous livrer un strip-tease torride qui laisse les deux proies comme deux ronds de flancs et, pour une raison différente (encore que : Barbara Bouchet est un spectacle en soi) le spectateur coi. Le cadre tout en fumigène ne colle absolument pas, le procédé est putassier au possible, et le tout suivi par un brusque retour à la normale de laquelle nous étions sortis sans préambule… Voilà une fort jolie touche surréaliste et humoristique qui laissera au moins une image du film dans les souvenirs. Mais plus certainement, il y aura au moins un deuxième souvenir, tout aussi impromptu et tout aussi drôle : un pauvre bougre que l’on castre, à qui l’on fait ingérer son membre, et que l’on balance sans coup férir dans un bain d’acide (ce qui explique le visuel très ciblé “gore” de certaines affiches du film). Alors certes, Don Vito menaçait bien de transformer ses victimes en savon, puisqu’il dirige une entreprise de savons, mais rien ne laissait présager que nous assisterions vraiment à ça ! Tout comme le strip-tease, il s’agit d’une scène d’exploitation percutante par son excès et par son décalage.
S’il y a d’autres moments de la sorte, aucun n’atteint le même poids incongru que ces deux là. Cependant, il y en a beaucoup. Largement assez pour apprécier la vision d’un tel film. Saluons entre autres ce barman bigleux qui s’en prend plein la tronche, cette incroyable infiltration dans la maison du don en y livrant une caisse de Coca, ou encore l’impossible frangine de Ricco qui passe son temps à copuler. Finalement, l’incohérence du scénario permet à Demicheli de faire n’importe quoi, et à ce petit jeu il ne s’en sort pas mal du tout. Ricco est un film à la méchanceté guillerette, sans toutefois pousser le vice jusqu’à nous faire des gags poussifs. On ne regrettera qu’une chose : qu’il n’y ait pas eu plus de liant entre chaque vignette d’exploitation pour que l’ensemble puisse profiter de davantage de limpidité. Ce qui aurait pu être fait par exemple en intensifiant les sarcasmes sur ce héros nullissime (mais j’ai comme l’impression que Demicheli n’a pas fait exprès de le rendre si mauvais).