Qui veut la peau de Roger Rabbit ? – Robert Zemeckis
Who framed Roger Rabbit ?. 1988Origine : États-Unis
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Hollywood, 1947. Vedette des studios R.K. Maroon, Roger Rabbit n’a plus du tout la tête à son travail, obnubilé qu’il est par son épouse, la plantureuse Jessica. Lassé de cette situation, et bien décidé à lui remettre les idées en place, Mr. Maroon engage le détective privé Eddie Valiant pour lui apporter la preuve des infidélités de la dame. Une poignée de clichés montrant Jessica en posture équivoque en compagnie de Marvin Acmé a tôt fait de mettre Roger Rabbit dans tous ses états, l’amenant à s’enfuir dans la nuit en hurlant son chagrin. Lorsque le lendemain, le corps de Marvin Acmé est retrouvé, gisant sous un coffre-fort, la culpabilité du lapin ne fait aucun doute aux yeux du Juge DeMort, chargé de l’enquête. Activement recherché, Roger se réfugie alors chez Eddie Valiant, lui clamant son innocence et l’exhortant à lui venir en aide. Faisant fi de son aversion pour les toons, le privé accepte de mener l’enquête.
Fort des succès d’A la poursuite du diamant vert et surtout de Retour vers le futur, Robert Zemeckis peut enfin donner libre court à sa soif d’expérimentation. Pour cela, il bénéficie de l’association inédite des studios Disney, via leur filiale Touchstone Pictures, et de Steven Spielberg par l’intermédiaire de son studio Amblin. Autant dire que les petits plats ont été mis dans les grands pour un résultat quasiment inédit à l’écran. Car si mêler acteurs et personnages animés n’est pas neuf, d’Escale à Hollywood (George Sidney, 1945) à L’Apprentie sorcière (Robert Stevenson, 1971) en passant par Mary Poppins (du même Robert Stevenson, 1964), films dans lesquels il n’était pas rare de voir les deux frayer ensemble le temps d’une scène ou deux, Qui veut la peau de Roger Rabbit ? pousse le concept encore plus loin puisque les deux mondes coexistent tout du long. Pour réussir une telle prouesse, Robert Zemeckis ne pouvait s’en sortir seul. Il s’est donc adjoint les services d’un spécialiste de l’animation, Richard Williams, qui a pris en charge toutes les parties animées, ainsi que le design du personnage-titre.
Parce qu’il convient de présenter ce personnage inconnu du public, le film s’ouvre sur un cartoon dont il est le héros. L’un de ces dessins-animés au rythme endiablé où il arrive pis que pendre à notre héros, baby-sitter malgré lui, qui tente par tous les moyens d’empêcher le bébé dont il a la garde de se blesser lors de sa quête du succulent cookie. Ce film dans le film lance l’intrigue sur un rythme dynamique et coloré qui sera le sien dès lors que Roger Rabbit occupe l’écran, par opposition à l’univers tendance film noir du quotidien d’Eddie Valiant. De par son concept, Qui veut la peau de Roger Rabbit ? joue du contraste en permanence, et appose, par l’intermédiaire du lapin en cavale, de petites touches de couleurs à l’environnement sinistre du détective privé. Car au-delà de l’intrigue en forme de whodunit (qui a vraiment tué Marvin Acmé ?), le fond de l’histoire consiste à sortir Eddie Valiant de la morosité dans laquelle l’assassinat de son frère l’a plongé. Au fil du récit, le détective fané et moqué retrouve de sa superbe et un allant qui semblait définitivement envolé, suivant le cheminement cathartique classique. En venant en aide aux toons, il se sauve lui-même d’un trauma aussi handicapant que pesant. Le film use d’un sous-texte volontairement optimiste, prônant la fraternité entre les individus, qui contrebalance avec la noirceur de certains passages, tous dus à la présence du juge DeMort, sorte de gestapiste rescapé qui a troqué la traque des juifs pour celle des toons. Voilà un personnage glaçant dont chaque apparition nous renvoie à nos peurs enfantines. Un être froid et dur dont la véritable identité ne fera qu’accroître le malaise déjà de mise. Le juge DeMort est de ces méchants qui marquent longtemps l’imaginaire et qui à la manière des films Disney, se retrouvent quelque peu adoucis par l’association de sbires bêtes et maladroits.
Qui veut la peau de Roger Rabbit ? demeure avant tout un spectacle familial. Du roman original – le polar Who Censored Roger Rabbit ? de Dick Wolf – seuls quelques personnages ont été conservés. Et si certains éléments ont été repris, la plupart ont été détournés pour permettre la réception d’un plus large public. Néanmoins, et c’est là sa grande qualité, le film n’est jamais infantilisant, n’oubliant pas que le cocon familial ne se limite pas aux seuls enfants, et qu’il convient aussi de séduire les parents. Le film en offre ainsi pour tous les goûts, avec des scènes purement cartoonesques (le duel sans merci entre Donald et Daffy Duck sur la scène d’un music-hall, l’intervention de Benny la voiture qui parle pour une folle poursuite), du sous-texte grivois (Baby Herman et la plantureuse Jessica Rabbit, la femme fatale dans toute sa splendeur), et surtout un duo mal assorti qui fonctionne du tonnerre. Car l’intrigue emprunte également au buddy-movie alors en vogue avec ce détective bougon et plein d’amertume associé au lapin jovial et survolté. A l’indéniable prouesse technique s’ajoute la performance de Bob Hoskins, au jeu particulièrement expressif, qui donne une réalité palpable aux divers toons qu’il vient à croiser, sans jamais céder une once d’humanité.
Robert Zemeckis a remporté son pari haut la main. Qui veut la peau de Roger Rabbit ? est un spectacle époustouflant dont les prouesses techniques n’étouffent jamais le contenu. Au contraire, tout se marie avec une belle fluidité sans jamais tomber dans l’ostentation ou l’effet gratuit. Le film fourmille de tant de détails qu’une seule vision ne suffirait à les dévoiler tous, et qui en disent long sur le degré de méticulosité qui a présidé à l’entreprise. Le défi technique, Robert Zemeckis va désormais en faire son crédo, mais jamais plus il ne retrouvera l’innocence et la fraîcheur de la première fois. A ce jour, il n’a d’ailleurs plus jamais fait mieux que ce film.