CinémaPolar

Parole de flic – José Pinheiro

Parole de flic. 1985

Origine : France
Genre : Delonite aiguë
Réalisation : José Pinheiro
Avec : Alain Delon, Jacques Perrin, Fiona Gélin, Eva Darlan, Vincent Lindon, Jean-François Stévenin, Stéphane Ferrara.

Ancien flic à Lyon et rangé des voiture depuis maintenant 10 ans suite au meurtre de sa femme, Daniel Pratt gère une petite structure de pêche dans un village côtier africain. La mort de sa fille, tuée par une bande de vigilantes, le pousse à revenir en métropole. Devant l’incapacité de la police à obtenir ne serait-ce qu’un embryon de piste, et en dépit des promesses de son vieil ami le commissaire Reiner, Pratt décide de se débrouiller par lui-même, quitte à mettre la ville à feu et à sang pour parvenir à ses fins.

Depuis la deuxième moitié des années 70, les deux stars françaises Jean-Paul Belmondo et Alain Delon multiplient les véhicules à leur gloire dans un duel acharné à grands coups de polars sévèrement burnés qui voit le premier largement l’emporter à l’applaudimètre. Cependant, Alain Delon ne désarme pas. A l’occasion de ses 50 ans, il est bien décidé à prouver à la face du monde que physiquement, lui aussi peut assurer. Pour cela, il produit et coécrit Parole de flic (il pousse le vice jusqu’à interpréter en duo avec Phyllis Nelson – et en anglais ! – la chanson du générique de fin), l’un de ses énièmes polars qui vire au seul en scène à forte coloration américaine. Avec néanmoins un attrait pour le lyonnais que je suis, le choix de la cité des gones comme cadre de l’action au détriment de la capitale.

D’une grande rectitude morale, José Pinheiro ne cherche pas à mentir sur la marchandise. Il lui suffit de quelques plans savamment composés autour de son acteur vedette pour que toute la dimension narcissique de l’entreprise nous explose à la figure. Cigare aux lèvres, la chemise entrouverte sur un poitrail suintant de sueur et le regard dur quoique laissant poindre une fugace lueur d’amusement, Daniel Pratt/Alain Delon nous apparaît dans toute sa tranquille virilité. Entre deux sorties de pêche au large, il trompe l’ennui autour d’une partie de poker face à une montagne de muscles qui n’apprécie que modérément que son adversaire se paie sa fiole. Mauvais perdant, il défie immédiatement Pratt en un combat à mains nues histoire de laver son honneur bafoué. D’emblée, ce préambule nous entraîne dans un autre monde. D’un strict point de vue géographique tout d’abord, ces scènes ayant été tournées en République Populaire du Congo, mais également d’un point de vue scénaristique puisque ce qui s’y déroule n’aura strictement aucune incidence sur la suite du récit. Clairement, Alain Delon en profite pour se faire mousser à peu de frais. Cette bagarre de chiffonniers lui offre ainsi l’occasion de tomber la chemise dévoilant un corps parfaitement affûté du haut de ses 50 printemps. Et pour les sceptiques qui en viendraient toujours à douter de son excellente forme physique, une longue séquence d’entraînement dans une salle de sports lyonnaise vise à mettre les points sur les « i ». Oui, Alain Delon pète la forme et il n’a en outre rien perdu de son capital séduction. Dans sa retraite africaine, les enfants l’idolâtrent et les femmes se disputent ses faveurs. Et une fois de retour à Lyon, les premiers mots prononcés par la jeune inspectrice seront « Il est beau, ce mec ! », telle une midinette qui aurait fait ses classes en s’abreuvant des exploits de cet ancien super-flic. Un personnage fonction qui répond à la marotte d’Alain Delon de toujours s’acoquiner dans ses polars sur-mesure à une comédienne en devenir (Ornella Muti dans Mort d’un pourri, Dalila Di Lazzarro dans Trois hommes à abattre, Anne Parillaud dans Pour la peau d’un flic et Le Battant) à l’exception de Catherine Deneuve dans Le Choc, au titre évoquant la quelconque une d’un magazine de célébrités pour saluer l’association des deux vedettes les plus glamours du cinéma français. Néanmoins, sous ses airs de dur à cuire se cache au fond un vrai sentimental guère enclin à séduire sans lendemain. Après un temps de défiance, il s’amourache finalement de la petite Sabine Clément après qu’elle se soit offerte à lui. Il en découle une relation étrange puisque en un sens, elle peut à la fois remplacer dans le cœur meurtri de l’ex flic rangé des voitures sa femme et sa fille. La fin cultive d’ailleurs cette ambiguïté lorsque de retour en Afrique, Pratt apprend à nager à Sabine comme il a pu le faire par le passé avec son enfant.
A tout bien considérer, l’ex flic Daniel Pratt se définit avant tout par son statut de père. C’est en sa qualité de paternel que Pratt entreprend sa mission punitive. A l’époque de la mort de sa femme, il avait refusé de faire des vagues pour le bien de sa fille et l’avait emmenée avec lui dans sa retraite africaine pour la préserver. Sauf que tous ses efforts n’ont rien pu faire face à l’envie de Mylène de retourner vivre en métropole une fois adulte. Comme ils n’ont pas pu la préserver de certaines mauvaises fréquentations. Cependant, il n’est pas revenu pour questionner ses choix de vie mais bel et bien pour donner libre cours à son courroux. Hanté par le souvenir de sa fille – un montage alterné entre son père et elle au début du film laisse à penser qu’ils entretiennent un lien quasi télépathique – Pratt n’a désormais plus de scrupules pour faire des vagues au cours de son enquête parallèle. La brutalité de son assassinat, littéralement exécutée par une bande d’encagoulés à la gâchette facile, conditionne la violence de sa réponse. Toutefois, le film se garde bien d’en faire un fou homicide. Tout au plus témoigne t-il d’une étrange propension à se montrer brusque envers les enfants, du pauvre gamin subitement éjecté dans les flots au moment de lire le télégramme lui annonçant la mort de sa fille aux jeunes spectateurs traumatisés du cirque où, grimé en clown, il leur demande s’ils sont des menteurs. Ses principes de flic toujours chevillés au corps, il garde le gros de sa colère pour les seuls coupables. Il se garde bien de tirer dans le tas même si jouer avec une grenade dans un lieu public s’avère un peu limite mais comme le résultat brille par son extrême efficacité, il ne lui sera rien reproché. De son côté, le scénario s’efforce de rendre sa mission de salubrité publique en surchargeant la barque de ces « miliciens », lesquels sont dépeints comme des lâches fascisants. Arpentant le quartier des Magrettes, comprendre les Minguettes mais sans doute fallait-il éviter de mettre le feu au poudre, ils exécutent du menu fretin sans aucun discernement (ils massacrent les revendeurs de drogues comme leur clientèle) quand ils ne se font pas les représentants d’une morale nauséabonde (le massacre des homosexuels et celui des immigrés). Des actes inqualifiables en totale contradiction avec la croisade justicière voulue par leur commanditaire de l’ombre sans que cela ne le perturbe outre-mesure. Il y a là comme un souci de cohérence qui ne gêne nullement José Pinheiro qui se contente de faire ce qu’on lui demande, à savoir servir la soupe à son producteur et acteur vedette. A tel point qu’il ne soit pas rare qu’il apparaisse seul à l’écran comme si toute la ville de Lyon s’était arrêtée de vivre pour l’admirer.

De confection classique, Parole de flic se révèle un objet étrange, une sorte d’hybridation entre la série des Un justicier dans la ville et Magnum Force, le tout accommodé à la sauce franchouillarde. Et puis il y a surtout Alain Delon. Capable de faire trembler l’adversité d’un seul regard, d’échapper à une quarantaine de flics à la force de son culot, il pète soudainement un câble au moment de la conclusion où il s’octroie un long moment dans la défroque d’un clown. Jamais sa volonté de marcher sur les plates-bandes de Jean-Paul Belmondo – passé spécialiste en matière de déguisements – n’avait été aussi limpide. Mais il le fait à sa manière, nimbé d’une certaine gravité, ce qui ne le met pas à l’abri du ridicule. Histoire de donner du grain à moudre à cette gentille rivalité, la même année, Jean-Paul Belmondo se baladait lui aussi en clown dans le Hold-up d’Alexandre Arcady. Et c’est Alain Delon qui est sorti vainqueur de ce duel clownesque… d’une courte tête.

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