Meurtres en VHS – Jeff Lieberman
Remote Control. 1988.Origine : États-Unis
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Gérant d’un vidéoclub du quartier San Pedro à Los Angeles, Georgie se frotte les mains. L’obscur film de science-fiction du nom de Remote Control qu’il vient de rentrer dans son stock suscite un tel engouement de la part de la clientèle qu’il envisage d’en commander des copies supplémentaires. Loin de ces basses préoccupations mercantiles, son employé et ami Cosmo craque pour Belinda, une habituée qui ne jure que par le cinéma français et son bellâtre, Victor. Victor que les deux compères retrouvent chez Allegra, une autre de leurs bonnes clientes, alors qu’ils venaient lui apporter la cassette de La Guerre des mondes qu’elle désirait ardemment. Aussi surpris qu’amusés, Cosmo et Georgie quittent les lieux en catimini. Le lendemain, deux agents de police les arrêtent pour les meurtres d’Allegra et de ses parents, la carte de bibliothèque de Georgie ayant été retrouvée sur les lieux du crime. Ne comprenant rien à ce qui leur arrive, Cosmo et Georgie ne vont avoir d’autre choix que de partir en cavale afin de tenter d’y voir plus clair. Tout semblerait découler du contenu des cassettes Remote Control dont la vision génère des pulsions homicides. Loin d’être au bout de leurs surprises, Cosmo, Georgie et désormais Belinda, ralliée à leur cause, vont mettre à jour un véritable complot à la portée inimaginable.
Je vais vous parler d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. Les vidéoclubs en ces temps de fête, exposaient leurs cassettes jusque sous nos fenêtres. Et si l’humble fourbi qui égayait nos vies ne payait pas de mine. C’est là qu’on a tout vu, des séries B pleines d’hémoglobine aux chefs d’œuvre méconnus*. Véritable complément à l’exploitation en salles, les vidéoclubs ont permis de donner une seconde chance à des films mal-aimés ou mal accueillis (The Thing, Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin), de bâtir des carrières (tous ces adeptes du pied haut qui faisaient florès durant les années 80-90 dans le sillage de Jean-Claude Van Damme), de faire tout simplement vivre une industrie parallèle qui trouvait-là un allié de poids dans sa quête de reconnaissance. Ces hauts lieux de brassage social sont devenus des incontournables de la vie culturelle des années 80 et 90, réunissant toutes les strates de la société et toutes les classes d’âge à l’instar des bibliothèques. Suivant ce constat, ce n’était qu’une question de temps avant que des réalisateurs n’investissent ces lieux pour tourner tout ou partie de leurs films, comme les librairies (Un mauvais fils, L’Histoire sans fin) et les magasins de disques (Orange Mécanique, L’Amour en fuite) avant eux. En guise de pionnier, l’obscur Gary P. Cohen réalise au caméscope Vidéo Violence en 1987, un film autour de gérants d’un vidéoclub qui se mettent à réaliser des snuffs movies afin de contenter une clientèle friande de films d’horreur. Il lui donnera une suite dans la foulée, l’année même où Jeff Lieberman renoue avec la réalisation, 7 ans après Survivance, partant lui aussi de gérants d’un vidéoclub. Cependant, il ambitionne moins de jouer la carte de l’horreur craspec que celle d’une science-fiction à la tonalité légère et surannée.
Produit aujourd’hui, un film comme Meurtres en VHS participerait de cette vague nostalgique qui déferle désormais sur nos écrans, petits ou grands, à un rythme métronomique. Or au moment de son tournage à la fin des années 80, il représente plutôt un instantané outrancier de son époque, Los Angeles oblige. Tout semble tellement poussé que le film prend des allures de parodie, ce qu’il n’est pas. Ce culte du corps illustré par les séances d’aérobic auxquelles s’astreignent Belinda et Victor ou par l’encart publicitaire promouvant les fameuses cassettes vidéo de remise en forme de Jane Fonda rend bien compte d’une des préoccupations majeures de ces années 80, le paraître. Cela sous-entend un nombre de codes implicites que les individus acquièrent pour se conformer à des normes sociétales. Cela passe par divers leviers dont la mode en constitue le plus évident. Derrière ce paraître se niche également la notion de travestissement, de dissimulation. Il y a derrière cette quête d’excentricité une volonté de cacher son véritable moi. Ce qui à cheval entre les années 1987 et 1988 se traduit par l’irruption d’extraterrestres prêts à se fondre dans la société américaine dont l’épicentre serait Los Angeles. Celui de Hidden se régale de cette époque chic et toc qui lui permet de mettre le bazar au volant de grosses cylindrées, en écoutant du rock à fond les ballons et sans autre but que s’en payer une bonne tranche. Dans Invasion Los Angeles, le ver est déjà dans le fruit. S’appuyant sur la toute puissance des médias, les extraterrestres endorment les consciences, asseyant leur domination sans avoir recours à l’épreuve de force de grande envergure. Dans un cas comme dans l’autre, il en ressort que ces représentants du troisième type se plaisent sur la planète Terre dont ils apprécient le cadre et le mode de vie. Les motivations sont d’un autre ordre en ce qui concerne ceux de Meurtres en VHS, lesquels demeureront invisibles à l’écran. Ils agissent davantage en tant qu’entité impalpable dont la volonté est accomplie par des sujets entièrement dévoués. Leur but ? Éradiquer l’espèce humaine mais sans trop d’empressement et, surtout, sans risquer l’affrontement direct. Au-delà de l’argument mode, l’utilisation d’une cassette vhs pour parvenir à leurs fins démontre bien l’importance que le magnétoscope à pris au sein de la société. De plus en plus de ménages en possèdent un, accessoire désormais incontournable de cet autre appareil invasif, le poste de télévision. Au grand dam d’Hollywood, le petit écran tend à supplanter le grand par son impact grandissant. Non seulement il touche plus de personnes mais à une fréquence nettement plus élevée, le nombre d’heures passées en moyenne devant la télévision augmentant de manière exponentielle à partir des années 80. Le mal se diffuse donc par les images via une sorte d’hypnose qui transforme les téléspectateurs en meurtriers en puissance. Il ne faut pas voir pour autant dans ce postulat un avertissement contre la dangerosité des images. Le faux film de science-fiction réalisé pour l’occasion, et dont Jeff Lieberman nous repasse inlassablement les mêmes passages, n’a rien de choquant ni de subversif. Jeff Lieberman table sur une imagerie héritée des années 50 pour un contenu qui tient davantage de la sitcom type Mon martien favori, le passage gore excepté. Un passage qui s’en retrouve néanmoins atténué par l’utilisation du noir et blanc et qui vient faire écho aux nombreux films d’horreur s’appuyant sur de tels effets qui ont fleuri tout au long de la décennie 80, même si la censure veillait alors au grain. Par rapport à Survivance, Jeff Lieberman met de l’eau dans son vin. La croisade de Cosmo et ses amis se veut plus grand public, lorgnant par moment du côté de la comédie adolescente dont John Hughes, en qualité de réalisateur et de scénariste, était devenu le fer de lance. Comme pour mieux sceller cette parenté, une affiche de Rose bonbon, scénarisé par Hughes et réalisé par Howard Deutch, apparaît au détour des rayonnages du vidéoclub tenu par Georgie et Cosmo.
Le combat mené par Cosmo, Belinda et Georgie tient de la gageure car le temps leur est compté. La machination extraterrestre se trouve à un stade déjà bien avancé. Elle bénéficie en outre du caractère improbable de sa diffusion qui rend les propos des trois amis à peine croyables. Disons qu’il faut le voir pour le croire or lorsque les gens le voient (l’officier de police, par exemple), il devient difficile de réchapper à l’emprise mentale qui conduit à l’irréparable. L’enchaînement des événements fait qu’il leur est difficile d’envisager prévenir la population. Quoique cette option n’est même pas abordée. Comme conditionnés par la montée de l’individualisme qui caractérise les années 80, Cosmo et consorts agissent en indépendants. Il se dégage de leur croisade un côté héros solitaires qui rappelle les cowboys d’antan sauf que dans le cas présent, la portée de la menace s’étend au niveau national, voire international avec une mondialisation en pleine essor. Et c’est sur ce dernier point que Jeff Lieberman se montre le plus virulent. Car si la menace extraterrestre n’est jamais physiquement matérialisée, il ne se prive pas pour en matérialiser une autre, inattendue dans le contexte du film mais pas dans le contexte économique de l’époque. Incidemment, par petites touches (des cassettes vidéos de marques JVC ou Fuji traînent sur les comptoirs des divers vidéoclubs), Jeff Lieberman identifie la vraie menace, les japonais. Ce sont eux qui dans le film servent de relai aux extraterrestres, trafiquant les bandes-vidéos à leur profit. Ces japonais dont les innovations technologiques, parmi lesquelles on retrouve le magnétoscope, envahissent le monde en général et les États-Unis en particulier, mettant à mal l’emprise économique des américains. Au “péril rouge” d’antan succède le “péril jaune”, lequel allait durablement marquer le cinéma américain dans des genres aussi divers que la comédie (Gung Ho, du saké dans le moteur), le film d’action (Harley Davidson et l’homme aux santiags) ou bien le thriller (Soleil levant). Jeff Lieberman en fait un ennemi sournois, qui avance masqué (le directeur de la compagnie de distribution est un américain, caution rassurante aux yeux des interlocuteurs mais véritable homme de paille) et au pouvoir de nuisance colossal. A tel point qu’en dépit de leurs efforts acharnés, l’issue du combat mené par les héros ne pouvait que s’apparenter à une victoire à la Pyrrhus. Un simple contretemps dans un plan d’ensemble voué à réussir contre vents et marées.
Difficile de déterminer si Jeff Lieberman a poussé très loin le bouchon du mimétisme avec les films de science-fiction dont il s’inspire ou s’il nourrissait une vraie crainte quant à l’essor de l’Empire du Soleil levant. Cela n’en rend Meurtres en VHS que plus symptomatique de ces années 80 qui sous ses airs colorés et enjoués cachaient aussi des problématiques bien moins réjouissantes. Nonobstant ce sous-texte appuyé, le film se suit agréablement. Il s’avère amusant par certaines de ses situations et l’alchimie entre les divers personnages, ce qui suffit à faire oublier un rythme parfois languissant qui joue beaucoup de la répétition des péripéties. Jeff Lieberman ne fera plus beaucoup parler de lui par la suite, travaillant un peu pour la télévision avant de revenir en 2004 avec Au service de satan, un film d’horreur aux confins de la comédie, à moins que ce ne soit l’inverse.
(*) Ces quelques lignes sont librement inspirées des paroles de La Bohème, chanson écrite par Jacques Plante pour Charles Aznavour.