Harley Davidson et l’homme aux santiags – Simon Wincer
Harley Davidson and the Marlboro Man. 1991.Origine : États-Unis
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Harley Davidson (Mickey Rourke) et Marlboro Man (Don Johnson) sont deux traîne-savates qui errent sans but précis dans les Etats-Unis de 1996. Ils promènent leur air détaché et blasé de bar en bar, sans autre motivation que trouver un peu d’argent pour continuer à vivoter. Mais lorsqu’ils apprennent que leur bar favori est sur le point de disparaître, c’est une grande partie de leur existence qui menace de s’effondrer. Harley, particulièrement affecté par la nouvelle, propose ses services en mettant sur pied un braquage de fourgon blindé destiné à récolter la somme qui permettrait au propriétaire du bar de récupérer son établissement. Accompagné de Marlboro et de trois autres acolytes, il se lance dans ce coup hasardeux avec l’aisance d’un pachyderme sur une corde à linge. Pour eux, les ennuis ne font que commencer.
Remarqué avec Harlequin (1980), son second film, Simon Wincer démarre une carrière aux États-Unis cinq ans plus tard avec D.A.R.Y.L., un film de science-fiction grand public. Depuis, il poursuit une carrière assez inégale constituée de succès populaires (Sauvez Willy) comme de bides retentissants (le film qui nous occupe présentement). Drôle de film d’ailleurs que ce Harley Davidson and the Marlboro Man dont le re-titrage français résulte de la Loi Evin, votée de fraîche date. Par exemple, on ne saisit pas bien l’intérêt d’avoir déplacé l’action du film en 1996, ce court saut dans le temps n’offrant aucune perspective particulière au niveau du décorum. De même, la société paraît inchangée, les puissants cherchant toujours autant à nuire aux plus faibles. Et, contrairement à ce que pourrait le laisser penser l’accoutrement des deux compères (une tenue de motard pour l’un, celle d’un cow-boy de rodéo pour l’autre), nous ne sommes pas non plus dans un monde post-apocalyptique à la Mad Max 2. Ou à la Jeremiah, pour rendre à César ce qui lui appartiendrait. De toute évidence, il ne s’agit là que d’un gimmick permettant de renforcer le ton décalé d’un film qui, par instant, rappelle ces fleurons du cinéma bis italien des années 80. Néanmoins, et en dépit de la nationalité australienne de son réalisateur, Harley Davidson and the Marlboro Man véhicule toute une imagerie purement américaine.
Affubler les deux personnages principaux de patronymes aussi évocateurs que Harley Davidson et Marlboro Man est loin d’être anodin. Ce sont deux marques mondialement connues et qui demeurent étroitement liées aux États-Unis. Ainsi, les deux amis incarnent une certaine idée de l’Amérique, celle des grands espaces, de la belle mécanique et de la liberté. A eux deux, ils forment l’amalgame parfait entre les fiers cow-boys et les « bikers » d’autrefois, d’indécrottables bouffeurs d’espaces qui sont à la fois chez eux partout et nulle part. C’est des gars à l’ancienne, détenteurs de valeurs aussi désuètes que l’honneur et l’amitié. Le scénario les oppose bien logiquement à leur exact contraire, un entrepreneur sans foi ni loi qui n’hésite pas à expulser de vieux locataires en pratiquant des hausses exponentielles de loyers, dans le but d’ériger des buildings à la place. Un être tellement abject que, parallèlement à ces basses manœuvres immobilières, il inonde les rues d’une nouvelle drogue pour financer ses ambitieux projets. Et si on ajoute à ça le fait qu’il traite avec des japonais, dont la puissance économique commençait à faire de l’ombre à celle des États-Unis, vous comprendrez que cet homme-là n’a décidément rien de respectable. Et le combat de Harley et Marlboro de se teinter alors d’une défense des valeurs ancestrales des États-Unis face à cette nouvelle génération de yuppies prêts à vendre leur mère patrie aux plus offrants. Cela confère au film un léger fumet conservateur qui, heureusement, ne prend pas le pas sur le côté extrêmement décontracté de l’ensemble.
Harley Davidson and the Marlboro Man n’est pas un film qui se prend au sérieux, et c’est bien là sa principale qualité. Sur un rythme nonchalant (généralement problématique pour un film d’action), Simon Wincer s’appuie totalement sur l’alchimie parfaite de son improbable duo de vedettes. Alors tout juste sorti des tenues pastel de Sonny Crockett (la série Miami Vice) et du polar de Dennis Hopper Hot Spot, Don Johnson incarne avec beaucoup d’application ce cow-boy d’opérette qu’est Marlboro Man. Des deux hommes, il est le plus réfléchi et le plus habile arme en main. Il a conscience du danger et sait pertinemment que le plan de son ami fleure bon l’échec. Mais par amitié, il suit Harley jusqu’au bout et, à la fin, c’est même lui qui fait preuve de davantage d’obstination pour saluer comme il se doit la mémoire de leurs compagnons morts au combat. Et si, des deux personnages, Marlboro est celui qui semble avoir l’ascendant sur l’autre, ne serait-ce que par les nombreuses vannes qu’il lui lance, des deux comédiens, prime en revient au plus aguerri (cinématographiquement parlant s’entend). En ce début des années 90, Mickey Rourke n’a plus, aux yeux de Hollywood, l’aura qu’il possédait au cours des années 80. Sa carrière est en perte de vitesse et lui-même souhaite délaisser ce monde d’apparat pour se lancer pleinement dans le milieu de la boxe amateur. Toutefois, et même lorsqu’il le fait seulement pour l’argent comme ici, Mickey Rourke demeure un sacré acteur. D’un calme olympien, Harley Davidson avance quoiqu’il arrive, comme hermétique à tout ce qui l’entoure. Qu’il doive se battre contre un colosse, et accessoirement ami, il relève le défi avec courage mais sans animosité, terminant le combat dans les bras de son adversaire. C’est un homme dénué de rancœur et qui ne cherche pas la bagarre, même s’il y excelle. Mickey Rourke interprète son personnage avec un mélange de nonchalance et de tristesse qui lui sied bien, Harley étant surtout un mec un peu paumé, vivant avec le douloureux souvenir de sa femme qui l’a quitté. A la dextérité de Marlboro Man, il oppose une maladresse touchante et très amusante. Il faut le voir l’arme en main, celle-ci paraissant trop lourde pour lui, et manquant de lui échapper à chaque fois qu’il cherche à s’en servir. Il est l’atout non négligeable d’un film objectivement médiocre, que sa complicité avec Don Johnson rend néanmoins sympathique.
Film de mecs par excellence (les personnages féminins passent tout le film à attendre que leurs hommes daignent se montrer), Harley Davidson and the Marlboro Man se double d’un joli nanar, ces films qu’on sait ratés mais qu’on ne peut s’empêcher d’apprécier. Sorte de western moderne pensé comme un gros film d’action, ce film ressemble davantage à l’enterrement rigolard de la carrière de deux belles gueules du cinéma américain. De toute manière, avec un titre pareil, ce film ne pouvait être autre chose qu’une pochade et là-dessus, il n’y a pas tromperie sur la marchandise.
J’ai pas trop compris le fait que ce soit un nanar. C’est comme vous dites, le film ne se prend pas au sérieux et a le mérite de dérouler une histoire qui cherche pas à être sérieuse. La force du film, c’est la complicité entre les deux acteurs et pour le coup c’est un véritable plaisir. Que ce soit Don Johnson ou Mickey Rourke, ils dégagent un tel capital de sympathie, que l’on peut pardonner les faiblesses scénaristiques du film. Et puis quand on a comme méchant un Tom Sizemore qui s’en donne à cœur joie, on va pas bouder notre plaisir.