Merci la vie – Bertrand Blier
Merci la vie. 1991.Origine : France
|
Camille (Charlotte Gainsbourg), jeune adulte en quête de la réussite au bac, tombe au hasard de ses déambulations sur Joëlle (Anouk Grinberg), une jeune femme paumée qui vient de se faire violemment plaquer par son mec. Toutes deux se lient d’amitié et partent sur les routes, sous la forme de pérégrinations qui défient la logique et les lois du temps.
Bertrand Blier est un cinéaste à part dans le paysage cinématographique français, alliant un goût immodéré pour les bons mots et les acteurs qui les prononcent, dans la droite lignée d’un Michel Audiard, à des ambitions quelque peu provocatrices et libertaires. Depuis Les Valseuses, réel point de départ de sa carrière où son style s’affirme clairement, il s’attache souvent à des marginaux qui jettent un regard cynique et désabusé sur le monde qui les entoure. Des Valseuses, Bertrand Blier reprend l’idée de duo, à la différence que cette fois-ci, il le féminise. Jusqu’à présent, ses personnages féminins se débattaient généralement dans un ménage à trois, ballottées entre les deux principales figures masculines. Un schéma qui lui valut une belle réputation de misogyne.
Dans Merci la vie, Camille et Joëlle prennent l’histoire à bras le corps et la façonnent selon leurs envies. Joëlle, l’aînée, a du vécu. Elle est marquée par la vie du fait de son inextinguible soif d’amour. Impatiente, et ne pouvant vivre sans les hommes, elle multiplie les conquêtes à la recherche de l’homme idéal. Camille n’en est pas encore là. Elle est vierge. Dans un premier temps, Joëlle la prend sous son aile et lui fait découvrir l’amour dans les bras de François, un peintre en bâtiment qu’elles avaient choisi de tourmenter. Jusqu’à cette double étreinte dans l’habitacle d’une voiture léchée par les vagues, Merci la vie renvoie encore aux Valseuses, bien que Bertrand Blier prenne déjà ses distances avec une narration linéaire. Le film s’ouvre sur une image aux teintes sépias, puis alterne constamment entre la couleur et le noir et blanc, souvent dans la même scène, sans aucune logique apparente. Joëlle et Camille changent de vêtement au détour d’un plan, et elles semblent parfois s’adresser directement à nous. Bertrand Blier poursuit un mouvement initié avec Buffet froid, puis peaufiné dans Notre histoire et son film précédent, Trop belle pour toi. Il tente de s’affranchir de plus en plus de la narration classique pour tendre à une succession de scénettes débarrassées des carcans de la banalité. Bertrand Blier devient en quelque sorte un cinéaste de l’absurde, un absurde qu’il porte ici à son paroxysme, entremêlant les époques et les genres. Une fois qu’elle a perdu sa virginité, comme libérée d’un lourd poids qui l’immobilisait, Camille remonte à la source de ses origines pour comprendre son existence faite de solitude. Toujours accompagnée de Joëlle, elle fait la connaissance de ses parents, jeunes, durant l’occupation allemande. Elle assiste à sa pénible conception et se prend d’affection pour son père, totalement brimé par sa femme, et pour lequel elle souhaite une vie meilleure. Bertrand Blier multiplie alors les sauts dans le temps, substituant à l’occasion le père jeune (interprété par Michel Blanc), au père vieux (interprété par Jean Carmet) dans le cadre d’une même scène. Quant à Camille et Joëlle, elles deviennent à la fois témoins et actrices d’une période qu’elles n’ont pas connue.
Il est toutefois difficile de saisir la pertinence de tels choix. Pourquoi plonger Camille dans l’univers de la France occupée, alors même que ses parents ne l’ont pas vécue de cette manière ? C’est comme si, en la confrontant aux pires atrocités de cette époque (tortures, déportations), il cherchait à donner chair au titre de son film. En quelque sorte, Camille peut remercier la vie de ne pas avoir vécu ces horreurs, tout comme elle peut lui être reconnaissante de l’avoir épargnée du Sida, ce fléau du 20é siècle, au contraire de Joëlle. Joëlle qui adore le sexe, véritable chantre de l’amour libre et décomplexé si cher aux années 60 et 70, mais qui provoque des blennorragies à tous ses partenaires. Finie l’insouciance des Valseuses, désormais, l’acte sexuel s’accompagne de quelques menues contraintes promptes à décourager les plus acharnés. Et Bertrand Blier de tenter un hardi rapprochement entre les déportés et les malades du sida, tous se dirigeant vers une mort certaine.
Avec Merci la vie, nous sommes loin du style brut de ses débuts. Bertrand Blier a pris de la bouteille et il s’affiche désormais en cinéaste complet, pas seulement à l’aise dans l’écriture de dialogues percutants et la direction d’acteurs, mais également en terme de mise en scène. Il donne ici la pleine mesure de ses capacités en réalisant un film riche, magnifié par la photographie de Philippe Rousselot. Le cinéaste brasse les époques, les effets de style et les personnages dans un film réalisé avec faste et moult effets superfétatoires qui en amoindrissent considérablement la portée. En adjoignant à son histoire deux équipes de tournage –une pour le présent, une autre pour le passé- il ôte toute substance à ses personnages, qui nous apparaissent alors comme de simples marionnettes au service d’une histoire. On peut voir là une définition du métier de comédien, sauf que Bertrand Blier les aime trop pour que cela puisse résulter d’un choix délibéré de sa part. Cependant, cela contribue à instaurer une certaine distance entre nous et le spectacle proposé. Dès lors, difficile d’être ému par un film aux allures de parcours initiatique pour Camille. Ce style ampoulé possède ses adeptes. Personnellement, je n’en suis pas friand, et je préfère le Bertrand Blier des débuts, plus sage sur un strict plan visuel, mais plus percutant quant au contenu.