Mais où est donc passée la 7ème compagnie ? – Robert Lamoureux
Mais où est donc passée la septième compagnie ?. 1973.Origine : France-Italie
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Mai 1940. L’armée française est en pleine déroute. Alors qu’elle amorce son repli, la 7ème compagnie voit sa retraite coupée par une division allemande. Pris sous les salves des tirs ennemis, le capitaine Dumont dirige sa compagnie au cœur de la forêt de Machecoul, bien décidé à laisser passer l’orage avant de reprendre la route. Une fois à l’abri, il mandate trois hommes pour constituer un poste avancé d’où ils pourront observer les mouvements des troupes allemandes. Sont désignés le sergent-chef Chaudard et les soldats Pithivier et Tassin. Tous trois prennent position dans un cimetière à quelques encablures de la forêt. A peine le temps de s’établir qu’ils constatent l’approche des troupes allemandes de leurs positions. S’empressant de prévenir leur compagnie, ils s’aperçoivent que leur ligne de communication est coupée, ne pouvant rien contre leur capture. Pour le moment. Car au prix d’un enchaînement de circonstances et de rencontres inopinées, nos trois bidasses vont gagner bien malgré eux leur statut de héros de la compagnie.
Réputé pour sa frilosité dès qu’il s’agit d’aborder les questions qui fâchent, à l’inverse d’un cinéma américain plus prompt à embrasser les sujets polémiques tout en étant capables de les insérer dans sa logique de spectacle, le cinéma français n’a pourtant pas attendu longtemps avant de s’immerger dans la Deuxième Guerre Mondiale. S’il commence par l’aborder sous son jour le plus héroïque avec notamment La Bataille du rail de René Clément dès 1946, bon nombres de cinéastes français s’enhardissent pour en montrer les facettes les plus sombres et ambigües. Parmi ces films, nous retiendrons Marie-Octobre de Julien Duvivier (1959), Tu ne tueras point de Claude Autant-Lara (1961), Arrêtez les tambours de Georges Lautner ou encore Le Repas des fauves de Christian-Jaque (1964). Des films qui évoquent la collaboration, les difficiles relations avec l’occupant et les tribunaux populaires qui ont fleuri au moment de la libération. Mais c’est encore à travers la comédie que le cinéma français se fait le plus remarquer. L’incroyable engouement pour La Vache et le prisonnier d’Henri Verneuil (1959) et surtout pour La Grande vadrouille de Gérard Oury (1966), longtemps plus grand succès du cinéma hexagonal, démontre une volonté de pouvoir rire de tout et de prendre un peu de recul sur une période bien sombre. C’est justement ce créneau que vise Robert Lamoureux, artiste complet ayant touché au music-hall, à la chanson, à la radio et surtout au théâtre pour lequel il écrit de nombreuses pièces de boulevard dont certaines qu’il reprendra lui-même au cinéma (Ravissante, La Brune que voilà). Il s’attaque pour l’occasion à une période peu représentée dans le cinéma français, celle de la débâcle. Avant lui, Henri Verneuil s’était concentré sur le sort de quatre soldats français, bloqués sur une plage française en attendant leur éventuel transfert en Angleterre alors que les avions de la Luftwaffe ne cessent de les canarder, en adaptant le roman éponyme de Robert Merle et lauréat du prix Goncourt avec Week-end à Zuydcoote (1964). Un film où l’on trouve déjà Pierre Mondy, trait d’union entre deux récits diamétralement opposés mais que le public aura autant plébiscité l’un que l’autre. Preuve qu’il y a de la place pour tous les genres et toutes les approches.
Pour construire sa comédie, Robert Lamoureux articule son récit autour d’un trio, trois pieds nickelés à l’attitude enfantine qui paraissent bien peu concernés par le sort de leur pays. Le sergent-chef Chaudard a beau rappeler à ses ouailles qu’ils sont encore en guerre et qu’à ce titre, il convient de se comporter en soldat en toutes circonstances, il apparaît lui-même davantage préoccupé par le bilan comptable de sa quincaillerie que par le sort de la 7ème compagnie. Plus il met de la distance entre l’ennemi et lui, mieux il se porte. Un point de vue que partagent ses deux compagnons, guère portés sur les actions de guérillas. La tendance étant au rire, l’héroïsme des trois acolytes s’exprime “à l’insu de leur plein gré”. Une glissade inopinée (le “J’ai glissé, chef !” lancé par un Pithivier contrit après que sa maladresse les ait contraints à ouvrir le feu sur l’ennemi en guise de phrase signature), la rencontre d’un fougueux pilote d’avion et la providence qui remet la 7ème compagnie sur leur chemin alors qu’ils ne cherchaient qu’à fuir (la désertion n’est pas évoquée) constituent autant d’étape vers leur accession à une forme de reconnaissance qui les amène, ultime pied-de-nez du destin, à participer à la libération du pays 4 ans plus tard en tant que soldats d’élite. Sur cet air des héros malgré eux, Robert Lamoureux brode une intrigue paresseuse qui tourne littéralement en rond. L’humour tient à peu de chose et souffre d’une criante absence de rythme. Il n’y a pas à proprement parler de gags. Le film navigue davantage dans le comique de situation, surtout dans son dernier tiers lorsque nos soldats français s’emparent d’une dépanneuse allemande et frayent avec l’ennemi torses nus, seulement affublés d’un casque allemand histoire de donner le change. Un comique de situation qui dévie vers le comique de mots, le temps que Jean Lefebvre s’essaye laborieusement à l’accent germanique. En homme de métier, Robert Lamoureux connaît les mécanismes de l’humour mais les emploie ici à mauvais escient et ne peut guère compter sur les comédiens, pas vraiment à leur aise, pour rattraper le coup. Pierre Mondy, le meilleur du lot, se dépatouille comme il peut de cette partition bâclée. Il joue les pleutres à l’assurance feinte, se rêvant le garant du prestige d’une armée française en déroute qui l’a perdu depuis longtemps. Pour sa quatrième expérience en France, Aldo Maccione se heurte à des conditions de tournage qui le rebutent, ne trouvant pas grâce aux yeux du réalisateur, lequel se montre trop sévère avec lui et ses velléités récréatives. Résultat, il campe un personnage sans saveur ni aspérités, qui se singularise néanmoins comme étant le seul à tuer des soldats allemands. Un détail qui tient à son métier, employé dans un abattoir. Tuant pour gagner sa pitance, faire couler le sang n’a donc aucun secret pour lui, même si ici il n’agit qu’en cas d’extrême nécessité et pas pour le simple plaisir de faire un carton. Il n’y a pas de place pour les machines à tuer. Nous sommes entre gens de bonne compagnie dont le principal acte de bravoure se résume à la destruction d’un char… vidé de ses occupants. Le plus heureux reste Jean Lefebvre, débarrassé des manigances d’un Louis De Funès trop interventionniste sur la série des Gendarmes, et qui peut compter sur l’indéfectible soutien de son réalisateur et ami Robert Lamoureux. Avec son personnage de cossard un peu benêt, il incarne l’atout humoristique du film. Enfin, sur le papier. Dans les faits, la mollesse du jeu de son interprète, ce côté dilettante à moitié endormi donne plus souvent envie de le secouer une bonne fois pour toute que de rire avec lui. Et même à ses dépends.
En dépit de ces griefs, il faut bien reconnaître que le spectacle aurait pu être de pire qualité. Robert Lamoureux a la délicatesse de ne se focaliser que sur le côté français. Les quelques soldats allemands qui traversent le récit ne sont ainsi jamais tournés en ridicule. Il n’est pas fou au point de vouloir faire passer des vessies pour des lanternes et garde bien en mémoire que son récit est avant tout celui d’une débâcle. Débâcle incarnée à leurs corps défendant par Chaudard, Pithivier et Tassin et qu’une voix-off moqueuse décrit en ces mots : “L’armée française reculait dans les meilleures conditions selon le porte-parole du quartier général. Aucune armée avant celle-ci n’avait reculé aussi bien ni surtout aussi vite”. Robert Lamoureux ne réécrit donc pas l’Histoire mais s’amuse avec la notion toute relative d’héroïsme, notamment par le biais de Carlier, jeune soldat qui ne tarit pas d’éloge sur les agissements des trois compères voyant en eux de supers soldats alors qu’ils ne sont tout au plus que de supers escrocs. Ils ne pourront d’ailleurs rien lorsque la guerre reprendra un court instant ses droits, prouvant une égale naïveté à celle de ce jeune homme en quête désespérée de héros à qui se raccrocher. La guerre proprement dite, Robert Lamoureux préfère néanmoins la tenir à bonne distance. L’avancée allemande s’effectue de manière inexorable et sans effusions de sang. S’il n’omet aucun détail (les trois compères se retrouvent un moment au milieu de la population civile qui fuit les zones de combats; Chaudard peste contre le manque de praticité de leur équipement vieillissant; l’épicier d’un village privilégie déjà l’occupant afin de conserver son petit commerce intact), Robert Lamoureux joue la carte de l’édulcoration. Un côté gentillet qui se retrouve également dans l’humour pratiqué, très voire trop bon enfant. Il y a bien une volonté de raconter la France de l’époque par l’intermédiaire des diverses rencontres du trio mais celles-ci ne vont jamais au-delà de la simple anecdote. C’est ce paysan accueillant, vétéran des tranchées qui ne manque pas une occasion de rappeler que lui et les siens avaient su tenir les Allemands en respect. C’est cette jeune femme qui, le mari parti au front, se jette dans les bras du premier bellâtre venu. Une incartade aux couleurs patriotiques, le bellâtre en question étant issu de l’aviation française, qui annonce néanmoins l’inévitable porosité à venir dans les rapports occupants-occupés. Tout cela manque singulièrement de contenu, à l’image de ce titre sous forme d’interrogation qui relève en réalité de la rhétorique pure et simple. Seul le colonel Blanchet (Robert Lamoureux lui-même) se pose la question, gradé en perdition pour qui tout va trop vite, un peu à l’image de cette guerre éclair que l’état-major français n’avait pas anticipé, se sentant à l’abri derrière sa fameuse ligne Maginot, outil technologique mal utilisé et finalement peu utile lors des quelques combats.
Film éminemment populaire qui a longtemps fait le bonheur des chaînes de télévision, Mais où est donc passée la 7ème compagnie ? demeure une énigme. A le découvrir aujourd’hui, tant le film que son humour paraissent bien vieillots. Une appréciation qui tient également à ses acteurs, tous associés à ce que la comédie hexagonale compte de plus navrant. Mais au moins ces autres films par leurs côtés paillards ou absurdes (les comédies des Charlots) constituent des instantanés d’une époque que la patine du temps peut rendre intéressant par leur approche ou leur totale décomplexion de ton. Rien de tel ici tant tout tombe à plat, la faute à l’absence d’un réel parti-pris. Que deux suites aient pu être entreprises sur cette base laisse songeur, même si cela n’a malheureusement rien d’extraordinaire, dans l’industrie cinématographique d’hier comme d’aujourd’hui.