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Camp 731 – Tun Fei Mou

camp731

Hei tai yang 731. 1988

Origine :Hong Kong / Chine 
Genre : Documentaire / Exploitation 
Réalisation : Tun Fei Mou 
Avec : Hsu Gou, Tie Long Jin, Zhaohua Mei, Zhe Quan…

Trop rare est la connaissance du Camp 731, ce camp japonais basé en Mandchourie pendant la seconde guerre mondiale, dont les objectifs n’avaient pas à pâlir du rapprochement avec les camps de concentration allemands et aux crimes du “Docteur” Mengele. Tout comme eux, le Camp 731 se consacrait entre autres aux expérimentations biologiques sur des prisonniers ennemis (militaires ou civils), baptisés les “maruts” : principalement des chinois, mais également des soviétiques et quelques occidentaux. Le but de l’opération était essentiellement de préparer des armes biologiques, censées être la clef de la victoire. L’homme à la tête de ce camp était le lieutenant général Shiro Ishii, un homme de science devenu militaire fanatique, supervisant les opérations avec sévérité au nom de l’Empire du Japon.
Ce peu glorieux épisode de la seconde guerre mondiale était et reste tabou dans la société japonaise actuelle. Et pour cause : nombre de personnes liées au Camp 731 ont après guerre rejoint l’élite médicale japonaise, tandis que d’autres ont été graciées par les États-Unis, ravis d’accueillir ces scientifiques dans leurs laboratoires. Ishii lui-même émigra outre-pacifique, ayant préalablement laissé à ses hommes la consigne de ne parler des activités du camp sous aucun prétexte. Les soviétiques eux-mêmes, organisateurs d’un procès sur ces crimes de guerre, se montrèrent relativement cléments lors des sentences, prononçant des peines allant de 2 à 25 ans de travaux forcés en échange de quelques archives.

Bravant l’hostilité entourant son projet de film au sujet du Camp 731 (le gouvernement chinois souhaitant continuer à entretenir de bons rapports de voisinage avec le Japon), le chinois Tun Fei Mou passa cinq ans à faire des recherches pointues sur le sujet, bien décidé à investir ses propres deniers dans la production, dusse-t-il y laisser sa chemise. Il ne lui vint pas à l’esprit qu’un producteur pouvait très bien se montrer intéressé. Et c’est pourtant ce qui arriva. Un producteur originaire du nord de la Chine (donc près de la Mandchourie, là où le camp était implanté) lui proposa de financer les trois quarts de son film, quitte lui aussi à perdre de l’argent en cours de route. Mieux : il laissa carte blanche à Tun Fei Mou. Ceci étant, Camp 731 n’avait toujours rien d’une super-production historique à l’américaine. A sa vision, il apparaît que le manque de budget est flagrant, conduisant notamment le réalisateur à utiliser certains stratagèmes pour le moins polémiques : véritable autopsie d’un enfant filmée et intégrée dans le métrage (avec l’accord de la famille du jeune défunt), probable sacrifice d’un chat jeté en pâture à un milliers de rats, qui eux-mêmes seront plus tard enflammés vifs… Des procédés généralement attribués au cinéma bis le plus violent qui soit.

Et de violence, Camp 731 n’en manque pas. Les expérimentations effectuées par les hommes de Ishii sont assez ignobles dans leur genre, suffisamment marquantes pour justifier le sceau de Categorie 3 et orienter la distribution internationale du film dans le milieu du gore extrême (feu la firme Haxan en France) voire dans celui de la contrebande. Camp 731 ne serait-il donc qu’un film d’exploitation sans scrupules, ne reculant devant rien pour racoler un public voyeur en mal de trash ? L’éternelle question de ce genre de film se pose, et les avis seront partagés. Pour ma part, je ne considère pas que le film de Tun Fei Mou soit à ranger dans la même catégorie que les August Underground Mordum, I spit on your corpse, I Piss on your grave ou autres cochoncetés du même acabit. Preuve en est que si ses scènes de tortures se font bien remarquer autant par leur portée que par leur diversité (citons une expulsion d’intestins à coup de chambre à haute pression, une congélation suivie d’un arrachage de peau, ou encore les deux bébés balancés dans la glace) elles sont réduites à la portion congrue et illustrent la barbarie du Camp 731. Entre chaque, de longues scènes de dialogues viennent remplir le film. Non pas des dialogues stériles comme dans n’importe quelle production “trash”, mais des dialogues permettant de mieux connaître le Camp 731. C’est précisément lors de ces instants que Camp 731 affiche sa portée historique. Nous sommes en fin de guerre, en 1945, et le Japon s’écroule. Le Camp, isolé dans les neiges mandchoues, vit en autarcie. Ishii s’emploie à croire et à faire croire au possible retournement de situation, évoquant le Camp 731 comme l’unique espoir. D’où l’intensité croissante des expériences scientifiques, censées apporter la solution miracle capable de battre les américains ainsi que les soviétiques, dont les menaces de guerre se font pressantes. Le temps presse et Ishii et ses hommes sont arrivés à un point où leurs expérimentations n’ont plus aucun sens et ne servent en réalité que de prétexte pour se livrer aux actes de barbaries les plus sauvages. Des relents de Salo ou les 120 journées de Sodome se font sentir, à ceci près que le film se fait beaucoup plus amateur, ce qui a certainement joué un rôle non négligeable dans la réputation de l’œuvre de Tun Fei Mou.

La folie ambiante reste cependant disciplinée, soumise au stricte contrôle de Ishii, personnage froid aux pieds duquel rampent ses lieutenants et ses geishas. Ichii ne semble pas être fou : c’est est un véritable tordu, un sadique dans l’âme, gardant toujours la tête froide. Ses hommes lui sont inconditionnellement soumis et la jeunesse est conduite à haïr les “maruts”. L’intrigue du film se fait fort mince, et le style docu-fiction est de mise dans le sens où aucun héros ne vient s’immiscer dans le récit. Les prisonniers restent passifs, les destinées individuelles importent peu au réalisateur, qui se consacre à l’étude du Camp 731. Il y aura bien quelques amorces d’intrigue : le prisonnier ayant réussi à mettre la main sur des éléments capables de prouver l’existence du camp à la communauté internationale, la sympathie qu’éprouvent les jeunes militaires pour un gamin chinois muet venant régulièrement jouer avec eux à la balle par-delà les barbelés, mais rien ne constituera un intérêt central, et du reste ces sous-intrigues seront achevées anonymement. Tun Fei Mou ne laisse aucune place à la dramatisation et livre un film glacial, presque totalement dépourvu de musique, que l’amateurisme et le manque de rythme rendent pour le moins dérangeant, avec un côté “snuff” marqué (le film, réalisé en 1988, semble âgé d’au moins quinze ans de plus tant ses images sont sales). Aucune comparaison n’est possible avec les traditionnels films de prison, WIP ou même nazisploitation.

Si le film met indéniablement mal à l’aise, la transmission du témoignage historique n’est cependant pas des plus efficaces, le réalisateur ayant recours à certaines symboliques lourdes (le chat attaqué par les rats, symbole de la Chine attaquée par le Japon, le drapeau japonais taché de sang ou employé comme ornement lors de beaucoup de séquences violentes…) et, contrepartie de sa violence crue, ne parvenant pas à se donner suffisamment de recul pour être assimilé à un historien. Son initiative, celle d’un Chinois souhaitant faire connaître les méthodes du Camp 731, est louable. D’autant plus que Tun Fei Mou évite le racisme primaire en montrant le lynchage d’un officier par la jeunesse du camp, perpétuellement en proie au doute. Mais le film ne saurait cerner totalement la portée et le mode de fonctionnement de ce camp, fondé dès 1937. Une impression de dénonciation coléreuse se fait sentir, et le fait de faire porter toute la barbarie du camp sur les atrocités physiques témoignent du manque de maturité du réalisateur, qui aurait gagné à s’attaquer davantage à l’idéologie et au système fasciste japonais (comme il le fait brièvement à la fin du film, lors de l’épilogue écrit brocardant les réactions occidentales). Malgré ses nombreuses véracités historiques, Camp 731 est donc réduit à n’être qu’un film misant sur l’aspect répulsif, au détriment de la réflexion. Il n’en fallait pas plus pour qu’il soit immédiatement catalogué comme un film “trash”. Disons plutôt qu’il s’agit d’un film historique maladroit.

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