Les Griffes de la forêt – David DeCoteau
Grizzly Rage. 2007Origine : Canada
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Pour célébrer leur diplôme et avant que leurs chemins ne se séparent à la rentrée prochaine, les quatre copains Wes, Lauren, Sean et Ritch ont décidé de se faire un petit séjour détente et fiesta dans les bois. Mais plutôt que de frayer sur des chemins balisés, ils décident en cours de route de se rendre dans la forêt de Saranac Grotto, fermée au public pour une raison inconnue… Tout à leur enthousiasme, à bord de leur jeep, ils forcent des barrières, arrachent un cadenas, roulent comme des dératés et… écrasent un ourson. Un petit grizzli qui ne demandait rien à personne. Avec maman grizzli qui ne doit pas être bien loin, les fêtards ne la ramènent plus trop. Mais le choc a endommagé la voiture, et avant de décamper il va falloir trouver de l’eau pour refroidir le moteur. Et c’est justement là que Ritch et Wes tombent sur le majestueux et furax ursidé. Ritch n’en réchappera pas, contrairement à Wes. Bref, non sans mal, les trois survivants réussissent à regagner la jeep et à mettre quelque distance. Toutefois, à bord, la discussion s’envenime pour savoir si oui ou non il faut faire demi-tour pour rechercher Ritch. Les deux mecs en viennent même aux mains… et la bagnole de tomber dans le ravin. Bravo !
Entre autres spécialités utilisant les pires horreurs nées de CGI bas de gamme, la chaîne Syfy (née en 1992) s’est emparé du film de monstres. Les créatures à poils, à plumes, à écailles ou à rien du tout ont fait les beaux jours de cette succursale du groupe NBCUniversal : acquis auprès de studios tiers ou quelques fois produits par SyFy elle-même, ces oeuvres de haut vol étaient et sont toujours balancées à la chaîne. Alors tant qu’à faire, pourquoi ne pas en tirer un label en bonne et due forme ? C’est de cette brillante idée qu’est née une série de téléfilms (chacun indépendant des autres) désormais qualifiée du nom de “Maneater“, titre d’un de ces chefs d’oeuvre. Issue d’un partenariat avec la très prestigieuse firme RHI Entertainment, à laquelle on ne doit pas grand chose (en revanche elle se fit fort de racheter les catalogues de studios en perdition), cette série majoritairement produite au Canada débarqua sur les petits écrans mi-2007 et ne s’acheva qu’au bout de 28 opus, le dernier en 2015. Toutefois, les puristes pourront arguer que les 6 derniers téléfilms ne font office que de digestifs, puisqu’à partir du 23ème ils se firent bien plus rares sur les écrans. Ainsi les volets 1 à 22 furent diffusés entre 2007 et 2009, et les suivants en 2011, 2013 et 2015. Il est vrai que RHI Entertrainement réchappa de peu à la faillite au début des années 2010… Tout ceci est bel et bon, mais quelle est la philosophie derrière Maneater ? La quête de l’audimat bien entendu, la vente de DVD (ô combien glorieux pour ceux qui atterrirent plus ou moins officiellement en France) certes, la distribution en VOD il va sans dire, mais aussi et d’un point de vue plus artistique de rompre avec ces histoires de monstres mutants dopés aux déchets toxiques. Place aux véritables monstres, si possible dans leur jus ! C’est ainsi que si l’on relève quelques créatures légendaires (yéti, wyvern, roc…), la plupart d’entre eux sont des animaux tout ce qu’il y a de plus réels. Serpents, crocodiles, requins, guêpes, araignées… Bref tout le bestiaire des bestioles menaçantes qui pour la grande majorité n’en étaient pas à leur coup d’essai au cinéma et à la télévision. Quant aux gens chargés de gérer cette ménagerie, et bien là-dessus RHI et Syfy ne firent guère dans l’original et eurent recours aux habituels cinéastes / téléastes anonymes. Toutefois, quelques noms ressortent, tels que Ricky Schroder, le héros de la série Ricky ou la belle vie qui affichait des prétentions de réalisateur avec La Traversée des enfers (une histoire de chiens), Johannes Roberts (coupable bien plus tard du reboot de Resident Evil et qui se pencha sur le roc, cet oiseau mythique), Robert Young (qui, longtemps avant son téléfilm à base de singes, avait mis en boîte Le Cirque des vampires pour la Hammer) ou encore Stewart Raffill (naguère The Philadelphia Experiment et désormais un crocodile). Mais les férus de cinéma d’horreur pourront trouver que le nom le plus glorieux du lot n’est autre que celui du prolifique David DeCoteau. Disposant depuis longtemps de ses entrées dans les studios Charles Band, s’adonnant à l’envi au film homoérotique, capable aussi de faire dans le familial galvaudé, il est de ces réalisateurs que rien ne fait fuir. Un peu comme un Fred Olen Ray ou un Jim Wynorski, il est un réalisateur aussi prolifique que multitache, et si l’on devine aisément vers quoi inclinent ses goûts, il est un boulimique de tournages. Quant au résultat, et bien advienne que pourra ! Et en l’occurence ici, si l’on s’en réfère aux votes des usagers de l’IMDB (ça vaut ce que ça vaut), ses Griffes de la forêt, bien que venant très tôt dans la série Maneater, ne serait rien de moins que le plus mauvais des 28 téléfilms !
Qu’est-ce qui fait que tel animal est plus plebiscité par le cinéma que tel autre ? Les raisons peuvent en être diverses. Ainsi les requins passent pour des machines à tuer depuis que Steven Spielberg a lancé ses Dents de la mer. Ils bénéficient en outre d’une solide dentition et de leur habitat naturel, plutôt hostile à l’homo sapiens. Quant aux araignées et aux serpents, outre le fait qu’il s’agisse de bestioles dotées de venin, ils dominent les débats en matière de phobie instinctive. Nous avons aussi tout ce qui est félidés et canidés, avec leur force brute et l’alliance des griffes et des crocs. Ils ont également leur mot à dire. Et il est vrai que les chiens, compte tenu de leur proximité avec l’homme, sont à l’origine de bien des accidents dans la vie réelle. Toutefois, les statistiques de létalité animalière ne sont que très peu corrélées à l’exploitation cinématographique… Ainsi, les décès dûs aux serpents, aux araignées voire aux requins sont plutôt rares. Le véritable maître en la matière est le très peu cinégénique moustique (du moins quand il n’est pas géant comme dans le Mosquito de Gary Jones), qui tue d’ailleurs indirectement via les maladies qu’il transmet. Et puis il y a l’ours, qui pour ce qui est des mammifères dispose d’un solide potentiel : lui aussi est tout en crocs et en griffes, lui aussi est d’une force impressionante, et sa taille ne laisse que peu de chances aux humains en cas de mano a mano. En outre, il est impliqué dans bon nombre de faits divers avérés. Mais si plusieurs films lui furent consacrés (signalons notamment le Grizzly de William Girdler sorti en 1976), ceux-ci sont loin de truster le haut de l’affiche et aucun n’est passé au rang de classique. Les ours payent peut-être leur look de bons gros pépères un peu gauche aux yeux larmoyants et avec une progéniture bien trop “tchoupi” pour incarner des méchants assoiffés de chair. Ainsi, l’ours (ou le nounours…) est la créature rêvée pour la littérature et le cinéma jeunesse. Et même lorsqu’il s’adresse également aux adultes, par exemple sous la caméra de Jean-Jacques Annaud, il est le héros alors que l’humain est le méchant. En un sens, c’est le même schéma que reprend David DeCoteau, puisque le grizzli qu’il met en scène n’a d’autre ambition que de venger la mort de son ourson percuté par la voiture d’une bande de jeunes humains sans foi ni loi pour mère nature. Le postulat aurait pu être sympathique, mais le réalisateur n’en fait rien : si ses personnages sont immédiatement antipathiques, ils cessent de l’être dès qu’ils se sentent menacés par le grizzli. Ils deviennent alors les crétins standards de ce genre de production, dont la seule fonction est de lutter déséspérément pour leur survie en essayant des stratagèmes confinant au débile (ainsi de cette brillante idée d’envoyer l’un d’eux au pas de course à travers la forêt pour espérer qu’il en sorte et qu’il revienne avec de l’aide)… Rien que par la nature des personnages, on devine à l’avance qui va y passer et qui est appelé à perdurer. Et même rien qu’en regardant le casting : difficile d’imaginer que Tyler Hoechlin, qui tenait un rôle non négligeable dans Les Sentiers de la perdition de Sam Mendes, sera le premier à partir. De même, l’unique femme du lot ne saurait être boulottée trop rapidement. Il faut au moins lui laisser le temps de se promener en haut de maillot de bain (son débardeur ayant fâcheusement été déchiré lors de l’accident)… Toutefois, David DeCoteau oblige, Hoechlin finira lui aussi par tomber la chemise dans une consternante initiative par laquelle il semble se prendre pour Schwarzenegger lorsque celui-ci regresse au stade bestial dans Predator…
Il n’aura pas fallu longtemps à David DeCoteau pour prouver que son film ne saurait être autre chose qu’une lutte entre les frêles humanoïdes et la monstrueuse maman grizzli, la mort de l’ourson n’étant qu’un prétexte au même titre que le particulièrement stupide accident de jeep ou encore le manque de réseau pour appeler les secours. Même les futs toxiques entrevus dans une clairière ou encore la particulièrement sinistre cabane dans les bois sur laquelle tombent les protagonistes ne feront pas dévier le scénario de sa simplicité. En gros, le réalisateur et son scénariste Arne Olsen (Le Scorpion rouge et une bonne rasade de comédies pour enfants) font une sorte de Vendredi 13 dans lequel Jason Voorhees est remplacé par un ours. A ceci près que Jason avait tout de même plus que quatre malheureuses proies à se mettre sous la machette. Le grizzli de DeCoteau ne dispose que de cela, et encore doit-il épargner deux d’entre eux pour que le téléfilm tienne son heure et demi réglementaire. De là la nécessité des stratagèmes foireux évoqués plus haut, mais aussi des moments de tension ne valant guère mieux (l’assaut de la jeep dans laquelle Wes et Laurie se sont retranchés). Les Griffes de la forêt fait décidément extrêmement fauché. Outre son budget, il y a une bonne raison à cela : si le choix de se passer d’effets numériques est louable, on ne saurait dire que la solution de repli ait été pertinente. A savoir que le téléfilm fut tourné avec un véritable grizzli (Koda de son petit nom) dirigé par son dresseur. Ce qui n’empêche qu’à des fins de sécurité les acteurs n’ont jamais tourné avec l’animal et que les trois ou quatre fois où le scénario nécessitait que l’un des protagonistes soit dans le même plan que la bête (ou plutôt ses pattes), le réalisateur a eu recours au vieil effet du figurant en costume poilu. Cette scène d’assaut sur la jeep est ainsi assez ridicule, d’autant qu’elle est entrecoupée de plan du véritable grizzli trainant autour de la voiture. Un grizzli qui vient d’ailleurs étayer l’image d’épinal de son espèce : particulièrement placide, la bestiole n’est jamais menaçante. Et même lorsqu’elle montre ses crocs, elle le fait dans un grand baillement ou dans un large sourire dû au dresseur qui derrière la caméra lui dévoilait son prochain casse-croûte. Il en résulte que la machine à tuer navigue entre la bonhommie et l’apathie, et ce ne sont pas les effets sonores rajoutés en post-production qui lui donneront un surcroît de crédibilité… C’en est à tel point que l’on se dit que tout le monde aurait pu tranquillement traverser la forêt à pied sans courir un gros péril. Ce sont les personnages qui en végétant autour de l’épave de la jeep ou en faisant des allers et retours en amont, cherchent des noises à cet ours endeuillé mais pacifique ! Terminons enfin en précisant que cette forêt interdite au public ressemble plus à un sous-bois périurbain, que les plans sanglants sont totalement absents ou grotesques (les giclures sur la caméra), que la musique est affreuse (on a ainsi droit à une horrible scène contemplative où le spleen des personnages est évoqué dans une ballade rock diffusée en intégrale), que DeCoteau n’insuffle pas le moindre embryon d’humour et on obtient donc un téléfilm franchement navrant et certainement pas amusant. La série Maneater était alors à peine lancée et la couleur était déjà donnée : elle ne vaudrait guère mieux que les navets à base de monstres mutants. Bien qu’il n’ait pas été le premier tourné, Les Griffes de la forêt est en tous cas le premier à avoir été diffusé, sur le site de VOD canadien Movie Central, qui avait négocié avant Syfy la primeur des six premiers volets. Bien entendu, l’engin est trouvable en nos contrées dans des éditions DVD aussi déplorables que le titre français dont elles l’ont affublé…