Les Cicatrices de Dracula – Roy Ward Baker
Scars of Dracula. 1970Origine : Royaume-Uni
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Probablement lassé d’être en poussière, Dracula ressuscite grâce à son amie chauve-souris, qui vient de baver du sang sur sa cape abandonnée. Sitôt d’attaque, le vampire s’en prend à une villageoise, retrouvée au matin. Furieux, les villageois menés par leur aubergiste décident qu’il est temps d’en finir. Ils s’en vont alors brûler le château de Dracula. Non seulement le vampire n’aura rien, mais en plus à leur retour les villageois trouveront toutes leurs femmes massacrées par la chauve-souris…
Maintenant, avançons un peu dans le temps. Libertin indécrottable, Paul Carlson abandonne une fois de plus sa conquête d’un soir pour aller courtiser Sarah Framsen (Jenny Hanley), sa proie principale qui se trouve également être la dulcinée de son très sage frère Simon (Dennis Waterman). Mais cette fois Paul y est allé un peu fort : c’est la fille du bourgmestre dont il a abusé des faveurs, et la police est à ses trousses. Arrivé un peu par hasard dans un village dont il se fit jeter sans ménagement par le peu sympathique aubergiste, il eut la chance de trouver un attelage vide en pleine forêt. Mieux vaut dormir là que dehors. Sauf que l’attelage en question est celui de Klove (Patrick Troughton), le serviteur de Dracula, et qu’à son réveil Paul se retrouve au château, d’où il ne pourra pas s’évader. Simon et Sarah se lancent alors à sa recherche.
Voilà l’histoire de ce sixième Dracula de la Hammer, dans lequel Christopher Lee n’a cette fois pas montré trop de réticences à tourner, contrairement au cinquième opus, Une messe pour Dracula, dans lequel il s’était engagé à retardement, provoquant la ré-écriture d’un scénario qui devait avoir recours à un autre vampire. Loin d’être un miracle, ce changement tardif fut au contraire la condamnation à l’oubli d’un film qui aurait pu être très bon mais qui n’est “que” pas mal. La Hammer venait de rater l’occasion de se renouveler avec sérieux, erreur dans laquelle elle s’obstinera, provoquant ainsi sa ruine à coup de fausses modernisations dépassant le cadre de leur savoir-faire. Présenté à l’origine comme un redémarrage, comportant plusieurs éléments issus du roman de Bram Stoker (tout le concept de séquestration au château incorporant quelques passages directement emprunté au livre), Les Cicatrices de Dracula a probablement réussi à s’attirer ainsi la présence de son acteur vedette, qui n’avait jamais caché son désir de figurer dans un film proche du roman de Stoker. Las, si ces ressemblances et quelques autres avantages -dont celui d’un rôle nettement plus actif qu’à l’accoutumée- ont pu séduire l’acteur, il faut bien convenir qu’avec un peu de recul, le spectateur peut difficilement croire en une véritable tentative de la Hammer pour se renouveler. A défaut de renouveau, la mythique firme britannique à qui l’on devait une dizaine d’année plus tôt le réveil du cinéma d’épouvante s’oriente dans une direction guère encourageante, celle du racolage.
Entendons nous bien : il n’est pas question de pester contre ces films proposant des éléments aussi vendeurs que du sang, des seins et des complaisances en tous genres… Ces choses peuvent même être subversives, tout en assurant un spectacle qui est finalement tout aussi valable sinon plus qu’un film d’épouvante à l’ancienne qui serait fait sans imagination (comme le furent certaines productions Hammer des années 60, dirons certains). Mais en gardant sa marque de fabrique gothique tout en cherchant à conserver la dignité d’un monstre qui a fait sa fortune, la Hammer ne se condamnait-t-elle pas à présenter un piètre profil face à une concurrence déchaînée, notamment en Italie ? Les Cicatrices de Dracula donne un début de réponse fort peu encourageant. Et ce, dès les premières minutes, puisque nous avons droit à une résurrection de Dracula qui, si le film avait vraiment été prévu comme un nouveau départ, n’aurait certainement pas eu lieu (il paraîtrait que ce sont les producteurs qui en ont imposé la présence). Surtout que cette renaissance va loin dans la gratuité, la chauve-souris crachant du sang étant digne d’un simple réveil matin que Dracula aurait pu programmer n’importe quand. L’absurde se poursuit avec ces villageois en colère ratant lamentablement leur vengeance et surtout avec le massacre des villageoises restées à l’Église, en hors champ. Heureusement, car la logique veut que Dracula ne puisse pas mettre les pieds dans ce lieu consacré et donc que le massacre a été perpétré par la chauve-souris, chose qui sera confirmée par la suite dans une scène similaire mais incluant une seule victime. J’imagine déjà la scène du massacre, avec toutes ces femmes attendant sagement que leurs voisines se soient faites déchiqueter pour subir à leur tour la fureur du chiroptère.
C’est ça, Les Cicatrices de Dracula : le rabaissement d’une franchise au niveau de la série B ludique et lubrique. Construit selon le schéma simpliste des promeneurs égarés là où il ne faut pas, son scénario comporte de nombreuses invraisemblances trahissant un manque d’idées total au sein duquel l’évocation du roman de Bram Stoker n’est utilisé que comme un stock d’images (l’attelage en pleine forêt, Dracula rampant sur les murs, son prisonnier cherchant à s’évader en passant par la fenêtre…). Non seulement cette structure de narration ne se prête pas à un film palpitant et générera une certaine lassitude chez les spectateurs, mais elle n’est en plus pas rehaussée par des personnages de “gentils” dont la vacuité semble calculée pour laisser un boulevard aux éléments commerciaux les plus flagrants. Une fois passée l’introduction déjà piteuse, nous nous retrouvons auprès du tombeur Paul Carlson et de ses consternantes aventures amoureuses. Quatre femmes en une demi heure : la fille du bourgmestre, l’héroïne, l’employée de l’aubergiste et la première maîtresse de Dracula. Toutes serviront à des degrés divers à participer au style d’humour amené par ce personnage de Don Juan qui paraît vraiment très déplacé dans le cadre d’un Hammer. D’autant plus qu’à la suite de sa disparition, Roy Ward Baker revient à des choses un peu plus coutumières : Sarah et Simon forment un duo victorien classique, entre la demoiselle éplorée et le jeune brave distingué. “Transparents” est un terme qui leur conviendrait bien, puisque la platitude de ces deux protagonistes principaux n’a pas d’autre but que de laisser le champ libre à Dracula, libre de composer sans ennemi à sa mesure comme le fut le Van Helsing de Peter Cushing à la belle époque.
Et effectivement, si l’on ne devait retenir qu’une seule qualité aux Cicatrices de Dracula, ce serait certainement la noirceur du vampire, encore plus malfaisant qu’à l’accoutumée. Christopher Lee triomphe personnellement dans cette nouvelle mouture de la franchise qui fit de lui une vedette, il bénéficie d’un manque de rivalité mais aussi de décors très sinistres et d’un scénario qui tourne entièrement autour de lui. Dracula est en train de devenir une star comme le seront plus tard Michael Myers ou autres croque-mitaines. C’est bien pour son personnage, mais ça l’est beaucoup moins pour le reste, qui tourne à la caricature de film gothique… Les Cicatrices des Dracula regorge d’éléments qui ne dépareilleraient pas dans des séries B peu glorieuses. On y trouve cet invraisemblable personnage de Klove, qui était déjà apparu dans la saga mais qui est ici d’une inconsistance rare : tout en étant le serviteur de Dracula, il trahit celui-ci à plusieurs reprises pour l’amour d’un portrait (celui de Sarah) trouvé sur Simon sans jamais renier sa fonction de serviteur. Un coup il aide le vampire, un coup il aide les pseudo héros. En fin de compte, il permet de débloquer aléatoirement des situations et n’affiche aucune logique. Il ne vaut guère mieux que la fameuse chauve-souris que Roy Ward Baker montre allégrement sans se soucier ni de la futilité de ses apparitions ni de son allure peu convaincante. Le réalisateur ne semble avoir eu honte de rien, et il affiche une complaisance qui fait mal à la réputation de la Hammer… Ainsi, l’érotisme si poussé mais toujours suggéré des meilleurs opus se retrouve ici réduit au voyeurisme le plus grossier, avec notamment de nombreux gros plans sur le large décolleté de l’actrice principal (qui passe une bonne partie du film en nuisette !) censés être justifié par la présence -ou non- d’un crucifix capable d’effrayer Dracula… Mais le pire est au début du film, lorsque Simon se livre à ses frasques amoureuses et que sa conquête le poursuit à poil à travers la maison. Digne d’une comédie sexy.
Enfin, sans être à proprement parler gênante, l’accentuation du gore et des plans le mettant en évidence achève de prouver qu’effectivement, la Hammer veut se lancer sur le terrain de la série B “moderne”. Et cela sans second degré (en revanche il y a du premier degré avec le triste Simon, mais qui s’arrête sitôt celui-ci enfermé chez Dracula), comme si cette orientation pouvait subsister avec la classe habituelle affichée par les films Hammer qui ne se retrouve en fait plus que dans le soin esthétique et le charisme de Christopher Lee. Tout le reste marque une nette perte d’identité et l’abandon de la franchise à des critères commerciaux mal maîtrisés et qui en sont donc d’autant plus flagrants.
Les Cicatrices de Dracula assume l’abandon de toute ambition et la capitalisation des producteurs sur un personnage qui si ce n’est par sa personnalité n’a plus grand chose à proposer. Ce n’est pas que le film soit haïssable, de nombreuses séries B produites à l’époque étant nettement plus mauvaises, mais c’est juste qu’il signifie le début de la fin artistique de la Hammer. On ne peut donc guère lui trouver de circonstances atténuantes.