Les Anges gardiens – Richard Rush
Freebie and the Bean. 1974.Origine : États-Unis
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Après 14 mois d’un travail de longue haleine, les Sergents Freebie Waters (James Caan) et Benito Vasquez (Alan Arkin), dit The Bean, sont convaincus de pouvoir enfin coffrer Red Meyers, un collecteur de fonds pour la mafia locale. Sauf que les reçus qu’ils ont trouvés dans les détritus du bonhomme ne pèsent que peu de poids face au grand jury. Il leur faut un témoin. Or celui-ci a quitté la ville et ne revient que dans trois jours. Trois jours durant lesquels les deux policiers vont devoir paradoxalement veiller à la sécurité de Red Meyers, ayant entretemps appris que celui-ci avait un contrat sur sa tête.
Suivant son art consommé du raccourci, Hollywood a décrété que le succès de French Connection se résumait à sa poursuite motorisée. Dès lors, tous les studios ont cherché à monter leur polar nanti des poursuites automobiles les plus folles. Dans ce domaine, Les Anges gardiens –produit par la Warner Bros– n’est pas le moins généreux, multipliant les carambolages et autres cascades jusqu’aux plus improbables (la voiture de nos deux héros finit sa course dans la chambre à coucher d’un vieux couple ; des automobiles surgissent de nulle part pour s’entrechoquer aux autres). A l’inébranlable sérieux du classique de William Friedkin, Richard Rush oppose néanmoins une approche plus décontractée au rythme des incessantes chamailleries entre les deux flics.
Dans la longue lignée des duos plus ou moins mal assortis, Freebie et Bean occupent une place particulière en leur qualité de précurseurs. Certes, un film comme La Chaîne (Stanley Kramer, 1958) jouait déjà de la dichotomie entre ses deux personnages principaux comme ressort dramatique, mais il le faisait avec une volonté sociale et politique très marquée. Rien de tel dans Les Anges gardiens, qui joue pleinement la carte du divertissement décontracté, à l’image de son duo de pieds nickelés. Toute l’intrigue, assez sommaire, se résume à des scènes d’action placées à intervalles réguliers, lors desquelles James Caan se taille la part du lion. Chauffeur attitré du duo, Freebie est à l’origine de toutes les cascades motorisées, opposant à la prudence de son coéquipier –un père de famille– un côté casse-cou invétéré. Il est du genre à foncer tête baissée au mépris de toute prudence, quitte à mettre en danger la vie des quidams qui ont le malheur de se trouver là. Chaque scène d’action équivaut alors à des instantanés de chaos filmés sans sur-dramatisation. Les ralentis sont proscrits, tout comme les effets pyrotechniques. Quant à la musique, elle se fait discrète sur un mode primesautier, laissant davantage entendre vrombir les moteurs, crisser les pneus, crier les passants et vitupérer les deux flics. Comme tout bon buddy-movie qui se respecte, Les Anges gardiens vaut principalement pour son duo d’acteurs, dont la parfaite alchimie qui se dégage à l’écran tranche avec le climat glacial qu’entretenaient les deux hommes en coulisses. Alors qu’aujourd’hui, il s’agit d’un genre archi rebattu qui ne surprend plus grand monde, le film de Richard Rush parvient, 40 ans après sa sortie, à conserver toute sa fraîcheur. Issu du cinéma d’exploitation (motards et marijuana font bon ménage dans Le Retour des anges de l’enfer et Psych-Out), Richard Rush ne cède aucun pouce de terrain à l’aune de sa première incursion dans la politique des studios, s’autorisant toutes les digressions.
L’intrigue des Anges gardiens a ceci de particulier qu’elle ne repose ni sur une enquête ni sur l’opposition d’un adversaire précis. Elle nous plonge au contraire dans le quotidien de deux inspecteurs de police, d’autant plus laborieux qu’ils sont contraints, dans leur quête de respectabilité, à jouer les « nounous » auprès de celui-là même qu’ils souhaitent mettre sous les verrous. Ultime vexation pour un duo qui s’en prend plein la figure, subissant tête basse la soufflante du procureur, qui n’en finit pas d’ironiser sur le nom de code qui leur a été attribué : Intelligence Squad. Le ressentiment est leur compagne, et n’aura de cesse d’influer sur leur comportement. Ainsi, il n’est pas rare de les voir violemment molester des suspects, parfois au mépris de toute déontologie, jusqu’à cette exécution sommaire dans les toilettes d’un bowling. A force de devoir ronger leur frein, ils en deviennent chatouilleux. Pourtant, en dépit de leurs méthodes expéditives, qui consistent le plus souvent à foncer dans le tas et à réfléchir après, Les Anges gardiens ne vire jamais au polar « hard boiled ». Au contraire, Richard Rush s’affranchit suffisamment des codes et du genre pour aboutir à un film atypique, aussi à l’aise lors de moments d’intimités captés à la volée (volcaniques chez Bean avec ses déboires conjugaux, tendres et sensibles pour Freebie), que lors de scènes d’action à l’inspiration burlesque comme cette bagarre dans une cuisine de restaurant qui n’est pas sans évoquer Blake Edwards. Et sous couvert de dérision, Les Anges gardiens distille néanmoins cette amertume qui parcourait bon nombre de films des années 70, à l’image de cette fin en trompe-l’œil, dont le côté décalé ne saurait masquer le désenchantement de personnages qui n’auront finalement jamais été maîtres de leur destin.
Les Anges gardiens fut un triomphe, engendrant immédiatement une déclinaison pour la télévision qui ne connaîtra pas le même sort, au contraire de Starsky et Hutch, série qui n’aurait peut-être pas vu le jour sans ce film. Quant à Richard Rush, loin de capitaliser sur ce succès, il préféra concentrer toute son énergie à un projet qui lui tenait à cœur, et qui sortira finalement en 1980 (Le Diable en boîte) avant de disparaître à nouveau de la circulation jusqu’au catastrophique Color of Night, son dernier film à ce jour.