Le Tambour – Volker Schlöndorff
Die Blechtrommel. 1979Origine : R.F.A. / France / Pologne / Yougoslavie
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Difficile de cerner un film comme Le Tambour. Œuvre très polémique adaptée d’un livre (et d’un auteur) qui ne l’est pas moins, le film de Volker Schlöndorff n’est pas une fresque ordinaire. La vie de cet enfant allemand de sa naissance en 1927 jusqu’à la fin de la guerre n’est aucunement comparable à la structure que l’on pourrait attendre d’une biographie fictive. Son personnage central, Oskar, n’est absolument pas un personnage auquel le spectateur peut s’identifier : c’est une trace de surréalisme dans un environnement extrêmement réaliste, puisque brossant le portrait d’une ville réelle à un moment réel de l’Histoire.
Le Tambour ne reprend du livre de Günter Grass que la première partie, celle allant de 1927 à 1945. Les événements qu’il raconte se déroulent à Danzig (aujourd’hui Gdansk), une ville lourde d’Histoire, puisqu’après avoir passé de mains en mains au fil des siècle, après avoir été ville allemande au moment de la Première guerre mondiale (malgré qu’elle soit enclavée à la Pologne, sur la côte balte), le traité de Versailles l’a officiellement transformée en territoire libre, sous la surveillance de la Ligue des Nations. Avec une population cosmopolite constituée d’allemands, de polonais et de slaves (sans compter les différences de religion et les différences d’opinions politiques), Danzig était un lieu chaud. Crise économique et pressions géopolitiques aidant, la situation se fit encore plus tendue avec l’arrivée au pouvoir des nazis en Allemagne (1933). Mais avant cela, le jeune Oskar (David Bennent, qui caricaturera son personnage dans le piètre Legend de Ridley Scott) est né d’une mère slave partagée entre son mari allemand Matzerath (Mario Adorf) et son amant et cousin polonais Jan Bronski (Daniel Olbrychski), qui tout deux acceptent de plein gré la présence de leur “rival”. Un triangle amoureux qui fera basculer la vie du jeune Oskar à l’âge de trois ans. Particulièrement observateur dès sa naissance, le spectacle de la décadence de ses trois parents le décide à refuser toute croissance physique (son intellect continuant par contre à évoluer). Resté enfant et donc toujours en retrait des responsabilités, il passe son temps à jouer avec un petit tambour de fer blanc qui ne le quitte jamais. Il possède également le don de crier de façon si aigüe que les objets de verre se brisent à son moindre hurlement. En voix off, il témoignera de sa vie durant cette période particulièrement trouble de l’Histoire de Danzig.
Bien que mettant en scène un enfant pendant ces heures sombre de l’Histoire, Le Tambour n’est certainement pas un film mélodramatique sur la pauvre destinée du bas peuple. C’est un film plein de haine, de rancoeur portant sur une ville et une période donnée. Les trois parents d’Oskar peuvent se voir comme les incarnations des trois communautés de la ville, d’autant plus que Matzerath épousera très tôt les idéaux nazis et que Bronski rejoindra la défense polonaise. Pourtant, les relations privées n’évoluent pas : personne n’en veut à personne. Pour autant, personne ne semble aimer personne, et les relations entre Agnes, la mère, et son amant et cousin Bronski ne semblent qu’être purement charnelles. Les relations entre ces trois personnages ne semblent reposer sur rien, à l’image de la société, qui elle même fait face à un véritable chaos aggravé par la situation géopolitique complexe de Danzig. Le Tambour est un film très sale : tout n’y est que vulgarité, noirceur, amertume, et les scènes répulsives ne manquent pas (à titre d’exemple, citons la découverte d’une tête de cheval coupée dans laquelle est fourrée une dizaine d’anguilles dégoulinantes, ou encore un suicide à coup d’ingurgitation de poissons…). Oskar n’est que le fruit de cette époque dégénérée. Avant même qu’il ne vienne au monde, le réalisateur nous montre son visage grimaçant (le même que lorsqu’il aura trois ans) dans le ventre de sa mère. Après sa naissance, son refus de grandir fera écho à son refus de vivre dans ce monde (la décision aura été prise lors d’une fête de famille, après qu’Oskar eut assisté aux attouchements entre son “oncle” et sa mère). Certainement pas une marque de courage, et l’on ne peut d’ailleurs pas ressentir de pitié pour ce gamin éternel faisant tout son possible pour induire son monde en erreur. Mauvais comme la gale, agressif, sournois, capricieux, il est une véritable plaie pour tout le monde. Il n’hésite pas à jouer de mauvais tours à tous ceux qui cherchent à le protéger, tel que ce vendeur de jouets juif interprété par Charles Aznavour, telle sa mère. A plusieurs occasions, il met en jeu la vie d’autrui. Arrivé au moment du nazisme et de la guerre, il ne se soucie pas de son environnement. Il est un parasite pour tout le monde, capable aussi bien de saboter la parade militaire des jeunesses hitlériennes avec son tambour (dont il joue n’importe comment) que de provoquer la mort d’un militaire polonais réfugié dans le bureau de poste assiégé. Il y a quelque chose du Damien Thorn de La Malédiction chez Oskar, à ceci près que là où le jeune Damien faisait preuve de cruauté avec un naturel assez subtil (relevant purement du film d’épouvante), Oskar est au contraire exubérant dans sa méchanceté.
Mentalement adolescent mais physiquement enfant de trois ans (du moins si l’on oublie que son acteur a 12 ans), il sait qu’il n’encourt aucun risque. Il en résulte un humour extrêmement cynique, s’appuyant sur le malheur des gens. Son cri capable de briser le verre n’est rien d’autre que la représentation de son pouvoir destructeur, tandis que son tambour (duquel il ne se sépare jamais) est l’instrument de sa violence, sur lequel il se déchaîne. Son immoralité est telle qu’à sa puberté, il n’hésite pas à pratiquer un cunnilingus sur sa belle-mère de 16 ans (les acteurs ayant respectivement 12 et 25 ans, cette scène, déjà très corsée en elle-même- valut au film d’être interdit à plusieurs endroits). Oskar (et ses commentaires en voix-off, aux intonations aussi sauvages que celle d’Hitler) représente donc cette époque dans tout ce qu’elle a de plus sale, de plus radicale et d’hypocrite. Une ère de chaos, de tromperie, de débauche, à cause des nazis aussi bien que du peuple dans son ensemble, se laissant totalement aller à ses pulsions. Schlöndorff (ou plutôt l’auteur Günter Grass) n’est vraiment pas tendre envers son pays et le confronte violemment à son passé nauséabond. Son jeune personnage principal n’est non seulement pas le seul à avoir arrêté sa croissance (il rencontrera plusieurs autres spécimens), mais, il convient de le signaler une nouvelle fois, il n’est que la conséquence d’un monde en totale déliquescence, sans aucune barrière (le nazisme et sa sauvagerie n’est aucunement l’introduction de la discipline : c’est au contraire la représentation politique d’une société haineuse).
Il faut bien admettre cependant que, de par son opacité et de part le chaos toujours plus poussé qu’il met en avant et qu’il n’hésite pas à reprendre à son compte dans sa construction, le film provocateur de Volker Schlöndorff (palme d’or à Cannes en 1979, en compagnie d’Apocalypse Now, finalement assez proche dans ses thèmes) frôle parfois l’overdose. Plusieurs visions seraient nécessaires à sa compréhension, mais ce genre de courage n’est pas donné à tout le monde.