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Le Salaire de la peur – Henri-Georges Clouzot

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Le Salaire de la peur. 1953

Origine : France / Italie 
Genre : Action / Thriller 
Réalisation : Henri-George Clouzot 
Avec : Yves Montand, Charles Vanel, Véra Clouzot, Folco Lulli…

Dans un village paumé d’Amérique en proie au chômage et à la misère, quatre hommes sont choisis pour conduire deux camions chargés de nitroglycérine jusqu’à une raffinerie américaine. Mais les camions ne sont pas adaptés à cette cargaison particulière et la route est fort mauvaise. Le moindre choc un peu violent et ce sera l’explosion…

Avant d’être un formidable thriller pendant une heure trente, Le Salaire de la peur est avant tout pendant une heure un film éminemment social et politique, permettant à Henri-Georges Clouzot d’illustrer une nouvelle fois son pessimisme envers l’humanité. Son village sud-américain (probablement vénézuélien, puisqu’il s’inspire d’un roman qu’écrivit le controversé George Arnaud d’après sa propre expérience de travailleur dans ce pays) est divisé en deux camps que tout oppose. D’un côté, nous avons les riches américains vivant dans le luxe, seuls capables de dynamiser ce coin reculé. Mais cela ne les intéresse pas, au contraire : ils vivent de la misère du coin, qu’ils entretiennent et qu’ils peuvent à tout instant utiliser à leur escient. La charge de conduire deux camions bourrés d’explosifs est ainsi rendue possible par la situation désespérée des gens du coin, quelques travailleurs précaires mais aussi et surtout des chômeurs. Devant le pécule potentiel que représente ce travail d’un genre particulier, les syndicats n’ont pas grand chose à dire et la prise de risque, même maximale, ne suffit pas à décourager des gens prêts à tout pour se trouver de l’argent et ainsi quitter ce coin paumé et sans avenir. Les exploiteurs américains savent tout cela, et c’est avec un énorme cynisme qu’ils utilisent la misère pour leurs propres intérêts. Leur mépris s’étend même jusqu’à leurs propres hommes de main, considérés avec à peine plus d’égards : révéler la mort d’un homme à sa mère est ainsi une tâche qui ne leur inspire qu’indifférence, et qu’ils délèguent volontiers à des subalternes. Alors évidemment, se soucier de la population non-américaine est bien le cadet de leurs soucis. L’amitié n’a pas cours, et même le fait de retrouver un vieil ami perdu de vue n’a pas de valeur, si cet ami est désormais du mauvais côté de la barrière. Seul compte le profit, et les quelques belles paroles n’ont pas d’effet. Tout le monde est résigné et sait pertinemment que rien n’a d’importance si ce n’est le bénéfice personnel. Cette dénonciation de l’attitude quasi colonialiste des américains dans les nations pauvres sous leur influence valut au Salaire de la peur de se voir expurgé de ses scènes les plus anti-américaines lors de sa sortie sur les écrans de l’Oncle Sam.

Et pourtant, si le film ne se montre effectivement pas très tendre avec les Etats-Unis, il ne l’est pas beaucoup plus avec les gens vivant de l’autre côté du mur séparant les riches des pauvres. D’origine française, allemande, italienne, russe ou sud-américaine, les ouvriers forment une diaspora mondiale écrasée par la prédominance des intérêts américains. La situation mondiale (on pense notamment au plan Marshall) est adaptée pour tenir dans ce village atypique. Mais il n’y a pas pour autant de vraie solidarité entre opprimés. Les amis d’aujourd’hui peuvent être les ennemis de demain avant de redevenir des amis après demain. C’est ainsi que Mario (Yves Montand), le héros du film, envoie paître son colocataire Luigi (Folco Lulli) après que Jo (Charles Vanel), un compatriote français, soit arrivé en ville. C’est également ainsi que ce même Mario affichera tout son mépris pour Linda (Vera Clouzot, épouse du réalisateur), femme autochtone très aimante à son égard, mais qu’il ne juge que comme une “moitié sauvage”, allant jusqu’à la baffer et la traiter avec mépris et violence au moment où celle-ci s’oppose en pleurant à son départ au volant du premier des deux camions. L’amitié est donc une notion très relative dans ce village, et elle le sera d’autant plus lorsque le poste de conducteur sera offert par les américains. Les coups bas pleuvront, chacun pour soi. Il y aura forcément des laissés pour compte, qui ne remonteront pas forcément la pente de ce fol espoir contrarié.

C’est dans ce contexte tendu que les quatre conducteurs seront choisis : Mario et Jo (ce dernier remplaçant au pied levé un homme défaillant, probablement victime d’un coup bas) pour le premier camion, et Luigi et l’allemand Bimba pour le second. Dès le départ, l’esprit de compétition fera rage entre les deux camions. La peur apparaîtra également très tôt, clairement avouée ou dissimulée par des excuses bidons. L’atmosphère du film (tourné dans la région de Nîmes, après que l’alors communiste Yves Montand ait refusé de tourner en Espagne franquiste) est lourde, suffocante. Que les camions roulent lentement ou rapidement, rien ne fait oublier le danger encouru. Pas même les conversations, renvoyant toutes au danger, à la peur. Il faut dire que les péripéties vécues lors du voyage sont nombreuses, et entretiennent un suspense intense, en même temps qu’elles permettent aux relations entre les personnages d’évoluer. Jo sera ainsi considéré comme un lâche par Mario et par les deux conducteurs du second camion : son isolement fait peine à voir, mais il ne reste pas moins qu’effectivement, Jo est un lâche, malgré les prétentions qu’il affichait encore juste avant le départ. De son côté, Mario est un dur, il est prêt à prendre des risques, tout comme Bimba et Luigi. Ils en prendront beaucoup, et le film répondra aux attentes que le spectateur était en droit d’attendre en terme d’action. Evidemment, tout le monde n’ira pas au bout de l’aventure, et Clouzot affichera une grande cruauté dans le sort de ses personnages. Au fur et à mesure de la tension, des sentiments plus humains verront le jour, mais leur seule issue sera la mort. Seuls les plus salauds survivront, et encore, en finissant eux-mêmes très péniblement.

Le Salaire de la peur est assurément un grand film. C’est une œuvre sèche autant dans son propos que dans son traitement, sans esbrouffe (la mise en scène est assez sobre) et sans baisse de régime. Que l’on soit dans la première partie au village ou dans la seconde sur la route, il n’y a pas d’optimisme possible : les seules finalités crédibles que l’on y perçoit sont déprimantes. Tous les minces espoirs relèvent de l’illusion. Un film d’action et un thriller radical qui influença certainement toute une génération de cinéastes des années 70 (Friedkin en tourna d’ailleurs un remake sous le titre Sorcerer, Le Convoi de la peur en vf).

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