CinémaHorreur

Le Métro de la mort – Gary Sherman

Death Line. 1972.

Origine : Royaume-Uni
Genre :  Souterrain
Réalisation : Gary Sherman
Avec : Donald Pleasence, Norman Rossington, David Ladd, Sharon Gurney, Hugh Armstrong, Christopher Lee.

Alors qu’ils descendent à la station Russell Square par le dernier métro, Alex Campbell et Patricia Wilson découvrent affalé dans les escaliers le corps d’un homme. Convaincu qu’il s’agit d’un ivrogne en train de cuver, Alex s’apprête à continuer son chemin lorsque Patricia insiste pour venir en aide à l’individu, qu’ils identifient come étant James Manfred. Ils remontent à la surface demander secours à un agent de police mais ne retrouvent plus personne une fois de retour sur les lieux. L’histoire pourrait en rester là. Sauf qu’il se trouve que l’individu en question est un officier britannique rattaché à un haut ministère, et que l’inspecteur Calhoun, qui a vent de l’affaire, fait le rapprochement avec de nombreuses autres disparitions qui ont eu lieu dans la même station de métro. Il demande donc à interroger les deux étudiants sans que leurs témoignages ne l’éclairent davantage sur le déroulé des événements. En compagnie du Sergent Rogers, il va néanmoins tenter de savoir pourquoi cet homme de la haute société traînait dans le métro et surtout ce qu’il est devenu. Une enquête qui va s’avérer plus délicate que prévue lorsque les services secrets britanniques vont s’en mêler.

Le cinéma est souvent affaire de cycles et le cinéma des années 70 n’a plus grand chose à voir avec celui des années 60. Après avoir pendant plus d’une décennie fait souffler un vent de modernité dans le cadre pourtant étriqué d’une horreur gothique flamboyante, la Hammer n’a pas su s’acclimater à ses changements en dépit de ses diverses tentatives. Le public a fini par se lasser de cette formule immuable, se laissant séduire par une nouvelle approche de l’horreur, davantage dans la proximité, plus brutale voire même triviale. Un changement qui s’est accompagné du départ de Londres de la majorité des compagnies américaines, à l’exception de la Rank Organisation et de Nat Cohen. L’effervescence des swinging London tend à s’émousser mais Londres demeure une ville attractive, ne serait-ce que dans le domaine de la publicité. De nombreux transfuges américains viennent y travailler et parmi eux, Jonathan Demme et Gary Sherman. Bons amis, les deux hommes envisagent de s’associer sur Le Métro de la mort dont le scénario, écrit par Gary Sherman en collaboration avec Ceri Jones, plaît beaucoup à Jonathan Demme. L’idée c’est que Gary Sherman en assure la réalisation tandis que Jonathan Demme se charge de la production. Or un imprévu du nom de Roger Corman modifie leurs plans. Lors d’un retour aux États-Unis, Jonathan Demme croise la route du pape de la série B, lequel lui propose de réaliser des films pour lui. Encouragé par son ami, Jonathan Demme accepte et démarrera sa carrière avec 5 femmes à abattre ou encore Crazy Mama. De son côté, Gary Sherman trouve d’autres soutiens auprès d’Alan Ladd Jr, Jay Kanter et surtout Paul Maslansky pour un budget dérisoire mais dont il s’accommode fort bien. L’idée n’est pas d’abandonner la publicité mais de s’essayer à un autre exercice sans que cela ne lui prenne trop de temps. Il met ainsi en boîte en moins de trois semaines un film au ton atypique qui aura une influence tardive mais décisive sur des cinéastes comme Guillermo Del Toro (Mimic) ou Christopher Smith (Creep).

Le Métro de la mort fait partie de ces titres qu’une aura mythologique accompagne au point d’en rendre le visionnage indispensable pour tout amateur de films fantastiques et horrifiques. Une aura dont la rareté n’est pas étrangère. Tourné en 1972 mais distribué en France qu’en 1986 après une lointaine projection lors du festival du film fantastique de Paris en 1973, Le Métro de la mort ne compte pas parmi les films les plus diffusés à la télévision. Et s’il a bien évidemment connu une exploitation en VHS, chez UGC vidéo, il est demeuré ce film confidentiel, vestige du talent – tout relatif – de Gary Sherman depuis longtemps égaré (Mort ou vif, Poltergeist 3). L’édition en haute définition par les bons soins de Rimini Éditions offre enfin l’occasion d’une séance de rattrapage dans des conditions excellentes et de pouvoir juger sur pièce. Première constatation, Le Métro de la mort n’est pas un film d’horreur à proprement parler. Il n’est pas construit dans une logique d’épouvanter le spectateur en ménageant des moments de tension ou de suspense. Cela tient notamment à la nature du péril, un être plus pathétique qu’effrayant dont les accès de violence ne suffisent à masquer la profonde détresse. L’homme qui se terre dans les entrailles du métro londonien est un reclus, le rejeton des choix iniques d’une compagnie, préférant abandonner à leur sort leurs ouvriers pris au piège d’un éboulement survenu en 1892 et passer à autre chose plutôt que tenter de leur venir en aide. L’homme incarne donc à son corps défendant la mauvaise conscience de la ville, symbole de tous ces morts sur laquelle la cité s’est construite et dont on ne veut plus entendre parler. Ce personnage presque rendu à l’état primitif cristallise le sous-texte politique voulu par Gary Sherman. Ce dernier en fait l’emblème des laissés pour compte, de cette classe ouvrière corvéable à merci dans des conditions souvent déplorables alors qu’il n’en est qu’un descendant. Ces souterrains poisseux et humides où grouillent les rats et la vermine constituent l’unique horizon de cet homme des cavernes des temps modernes. Il agit dans ces espaces oubliés du métro londonien comme un prédateur, n’attaquant l’homme que dans le but de se nourrir ou dans celui de soigner sa compagne agonisante. Il peut donc se montrer dans un même mouvement d’une grande férocité, très protecteur ou apeuré. Pour servir ses desseins, Gary Sherman ne cherche pas à nous le cacher bien longtemps. Plutôt que jouer la carte du mystère, il opte pour une révélation minutieuse, sa caméra s’aventurant en un plan-séquence de près de 8 minutes dans l’antre de cet homme, embrassant tout à la fois son voisinage direct (les rats), son garde-manger (les corps d’anciennes victimes en état de décomposition plus ou moins avancée) et ses compagnons d’infortune (les cadavres momifiés des ouvriers allongés sur leurs couchettes). Et le mouvement de caméra de s’achever sur un tas de décombres d’où émergent les ossements des premières victimes avec en fond sonore le flash-back audio de leurs cris de stupeur et de douleur. Une bonne idée qui achève l’immersion dans le quotidien sordide de cet homme, dépositaire de toute la souffrance de ses aïeux. Il a tout de l’être maudit, ou mal né, que Gary Sherman filme comme une figure tragique. En un sens, il pourrait être considéré comme le fantôme de la station Russell Square, un personnage légendaire dont on raconterait l’histoire pour jouer à se faire peur. Sauf que personne n’en parle car nul ne se soucie vraiment de ce qui peut bien se tramer dans les tréfonds de cette station. Le drame se noue dans cette chape de silence teintée d’indifférence.

Il y a bien une enquête policière qui se met en branle cahin-caha mais celle-ci relève davantage des lubies d’un inspecteur en butte à toutes formes d’autorité, sauf lorsqu’il s’agit de la sienne, que de la volonté de réparer une injustice. L’Inspecteur Calhoun est un drôle de type, anglais jusqu’à l’excès (il adore le thé, au point d’en boire même lorsque sa secrétaire lui sert en sachet !) et doté d’une vivacité d’esprit qu’il expose avec arrogance à son subalterne, le détective Rogers. Il mène cependant son enquête en dilettante, préférant farfouiller dans les appartements cossus de James Manfred plutôt que remuer la merde dans les sous-sols de la ville. Il éprouve un plaisir non dissimulé à l’idée de pouvoir écorner l’image d’un type de la haute société que l’irruption tout en souriante suffisance de l’agent du MI.5 Stratton-Villiers qui le renvoie à son insignifiance (“Vous êtes un homme du peuple et le demeurerez.”) suffit à calmer, quoiqu’il en dise à Rogers. Un agent joué tout en onctuosité par Christopher Lee dans une scène non prévue au départ et spécialement écrite pour lui afin qu’il puisse jouer avec Donald Pleasence, acteur qu’il admire. Ce dernier, désireux de frayer dans la comédie, a obtenu de Gary Sherman de pouvoir interpréter Calhoun comme il l’entendait, laissant une grande place à l’improvisation, notamment lors des scènes qu’il partage avec Norman Rossington (Rogers) dont celle du pub où il noie sa rancœur et son impuissance dans les pintes et les verres de whisky. Il dote Calhoun d’un ton sarcastique dont l’étudiant américain est le premier à en faire les frais. Cependant, pour amusante que soit la prestation de Donald Pleasence, décidément peu enclin à prendre le genre fantastique au sérieux, celle-ci tend à nous éloigner du sujet, à le rendre anecdotique voire inoffensif. Dans le même temps, la trajectoire du couple d’étudiants Alan – Patricia ne revêt que peu d’intérêt. Du désaccord liminaire quant à la marche à suivre – en bon new-yorkais qui en a vu d’autres, Alan n’a pas l’habitude de s’appesantir sur un corps inanimé alors que Patricia ne peut rester sans rien faire – il ne subsiste rien. Une explication vaguement houleuse dans la piaule qu’ils partagent et ça s’arrête là. Ils ne semblent là que pour nourrir le climax et permettre à Alan de se racheter en prouvant à Patricia que non, il n’est pas un fieffé égoïste. Au sein de ce récit ronronnant, les apparitions de l’homme visent à lui donner une coloration horrifique un peu forcée, lui ôtant par là même de sa singularité. Sans pour autant rendre le film désagréable, le mélange entre comédie et horreur sociale prend mal. Gary Sherman va trop loin dans un sens et pas assez dans l’autre au point que son propos demeure au stade embryonnaire. Disons que ce sous-texte apporte un peu de caractère au film mais ne le transfigure pas, faute d’un réel effort pour le développer.

Par son aspect macabre et crasseux, Le Métro de la mort annonce les grands chocs à venir que seront La Colline a des yeux et Massacre à la tronçonneuse. Il tire son originalité de son cadre – les tunnels du métro d’une capitale européenne – tout en s’en tenant à une poignée de personnages à l’implication inégale. Surtout, sous couvert de modernité dans son approche et son langage cinématographique, Gary Sherman ne se détourne pas complètement du travail de ses prédécesseurs. Il en fait au contraire le terreau de son histoire montrant que les monstres d’aujourd’hui se nourrissent de ceux du passé, à l’image de son cinéma encore balbutiant.

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