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La Neuvième porte – Roman Polanski

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The Ninth Gate. 1999

Origine : Espagne / France / Etats-Unis 
Genre : Le Démon dans le livre 
Réalisation : Roman Polanski 
Avec : Johnny Depp, Emmanuelle Seigner, Frank Langella, Lena Olin…

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Chercheur de livres rares pour collectionneurs fortunés, Dean Corso est mandaté par l’un d’entre eux –Boris Balkan– pour s’assurer de l’authenticité des deux autres exemplaires des Neuf Portes du Royaume des Ombres, un légendaire manuel d’invocations sataniques. Et si leur authenticité est avérée, il a les coudées franches pour les récupérer à n’importe quel prix. D’abord empreint de son cynisme habituel, Dean Corso va peu à peu se prendre au jeu de ce qui s’apparente à un véritable parcours fléché semé d’embûches sur lequel la Mort s’invite un peu trop à son goût. A croire que cet ouvrage serait réellement maudit…

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Lorsqu’il se lance sur le projet de La Neuvième porte, cela fait une éternité que Roman Polanski ne s’est plus aventuré dans le genre fantastique. Depuis Le Locataire en 1976 pour être précis. C’est pourtant un genre qui lui a réussi par le passé, et auquel il a apporté quelques-unes de ses œuvre maîtresses comme l’humoristique Bal des vampires (1967) ou le plus angoissant Rosemary’s Baby (1968). Son retour dans le genre lui vient de l’affection particulière qu’il a pour le livre de Arturo Perez Reverte, Le Club Dumas. Livre érudit à l’intrigue complexe, ce dernier a fait l’objet d’un vrai travail d’adaptation de la part du cinéaste et de son acolyte Enrique Urbizu (réalisateur de Box 507, Grand Prix du festival de Cognac 2003). Les deux hommes se débarrassent ainsi de tout ce qui a trait au manuscrit extrait des Trois Mousquetaires de Alexandre Dumas pour resserrer l’intrigue autour du Livre des Neuf Portes du royaume des Ombres d’Aristide Torchia. Ce choix initial nécessite quelques ajustements, notamment au niveau des personnages, certains ne faisant plus qu’un (Varo Borja disparaît pour se retrouver tout entier contenu dans le personnage de Boris Balkan) quand d’autres perdent en importance (l’ami libraire de Corso) ou changent quelque peu de nature (Liana Taillefer, devenue Telfer dans le film). Néanmoins, nous retrouvons dans La Neuvième porte les scènes clés du livre et ce même plaisir à suivre les pérégrinations de Dean Corso à travers l’Europe et ses bibliothèques privées.
En dépit de son sujet diabolique, La Neuvième porte ne s’inscrit pas dans le genre horrifique, même si au détour de certaines scènes, Roman Polanski se laisse aller à quelques visions macabres du plus bel effet (cf. la découverte de la dépouille de la baronne Kessler, Ungern dans le roman). Au contraire, il aurait même tendance à faire preuve d’une certaine légèreté vis-à-vis du sujet, s’en amusant presque. J’en veux pour preuve cette cérémonie carnavalesque des adorateurs de Satan, clin d’œil appuyé à la confrérie des Cigares du Pharaon, au code -666- que compose à deux reprises Boris Balkan pour accéder à sa bibliothèque consacrée à ses ouvrages portant sur la démonologie ou encore à la Dodge Viper de couleur rouge que l’énigmatique demoiselle (fascinante Emmanuelle Seigner) emprunte pour ne pas perdre la trace de Liane Telfer et son chauffeur. Un ton goguenard qui ne va pas sans quelques accrocs, notamment la caractérisation de Liana Telfer, présentée comme une folle hystérique sans nuance. Et à l’inverse du livre, Roman Polanski ne cherche pas à préserver le mystère entourant “l’ange gardien” de Corso, dont il dévoile ouvertement le côté surnaturel à plusieurs reprises. En ce qui la concerne, la seule énigme qu’il maintient jusqu’au terme du récit réside dans son appartenance au Bien ou au Mal. Et sa résolution se montrera à la hauteur de l’attente lors d’une scène de toute beauté, à la fois sensuelle et inquiétante. A ce propos, on notera l’extrême soin apporté par le cinéaste à la composition du moindre de ses plans. Il convient de préciser qu’il bénéficie pour cela du concours des talentueux Dharius Khondji à la photographie (Seven, La Cité des enfants perdus) et de Dean Tavoularis aux décors (Les Parrain, Apocalypse Now), ce qui ne gâche rien. Il en résulte un film qui joue beaucoup sur les zones d’ombre dans des lieux le plus souvent isolés, et qui distille une atmosphère pesante, comme viciée par un mal indicible. Bien que démarrant à New York et passant par les palaces parisiens, l’enquête de Dean Corso emprunte régulièrement des chemins de traverse. Cela confère un tour très rustique à son parcours, au cours duquel il n’aura de cesse de se sentir épié et manipulé, jouet de forces obscures ou tout simplement de l’obsession d’hommes puissants. Roman Polanski filme la quête de Dean Corso à la manière des films noirs, ne le lâchant pas d’une semelle, quitte à le laisser patauger dans la semoule, et nous avec. Et pour mieux souligner cette collusion, il se permet quelques coquetteries de mise en scène comme cette caméra subjective lorsque Dean Corso se fait lâchement assommer. Ce qu’il rate, envoyé de force dans les bras de Morphée, nous le ratons aussi, ne retrouvant le fil de l’intrigue qu’à la faveur de son réveil. Ce « mercenaire de la bibliophilie » nous sert de guide dans l’univers fascinant des collectionneurs d’incunables, composé de personnages singuliers qui placent leur passion au-dessus de tout. En un sens, Corso leur ressemble. Sans attaches, il ne vit également que pour (et par) les livres anciens, masquant derrière un mépris de façade une profonde fascination pour tous ces ouvrages qui passent entre ses mains. C’est d’ailleurs son cheminement intérieur qui se trouve au cœur du récit, et qui au final intéresse davantage Roman Polanski que tout élément fantastique inhérent à celui-ci. Au fur et à mesure de son enquête, Corso abandonne son pragmatisme et sa vénalité légendaires au profit de sa seule curiosité. Il veut savoir ce qu’il en est réellement, au risque de se perdre. Malicieux, Roman Polanski se garde bien de répondre ouvertement à cette question, quoique son choix de conclure son récit dans les entrailles d’un château en ruines ne laisse que peu de doutes quant à son appréciation de tout ce folklore satanique. Il est évident pour lui que ces croyances ont quelque chose de désuet et qu’elles se doivent de rester ancrées dans le passé.

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Réalisé après l’étouffant La Jeune Fille et la Mort, La Neuvième porte se veut assurément plus ludique. Et nous sommes effectivement en présence d’un divertissement grand luxe porté par un Johnny Depp de tous les plans, et parfait dans les habits froissés de cet aventurier du livre perdu, ainsi que par la mise en scène élégante de Roman Polanski. Bien que fortement éloigné des préoccupations de ses personnages, le cinéaste a réussi là un film particulièrement envoûtant à la précision diabolique.

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