CinémaHorreur

La Malédiction des profondeurs – Brian Yuzna

Beneath Still Waters. 2005.

Origine : Espagne / Royaume-Uni
Genre : Horreur
Réalisation : Brian Yuzna
Avec : Michael McKell, Raquel Meroño, Charlotte Salt, Patrick Gordon…

Mais au fait, nous sommes en 2021, Stuart Gordon est mort depuis un peu plus d’un an et aucune nouvelle de Brian Yuzna. Qu’est-ce qu’il devient ? Et bien on lui souhaite une agréable retraite, puisque c’est visiblement dans cette voie qu’il s’est engagé. Largement passé inaperçu, Deep Water, son dernier long métrage, remonte à 2010. Et lui qui à sa grande époque produisait à tour de bras n’est pas plus actif sur ce créneau, pas même comme producteur exécutif. Deux comédies horrifiques seraient dans ses cartons, une avec des zombies l’autre avec des vampires, mais rien de bien avancé. En gros, Yuzna semble avoir plié bagage en même temps que sa compagnie espagnole Fantastic Factory, succursale horrifique de la major espagnole Filmax. Tout feu tout flamme, ambitionnant d’enrichir sa propre filmographie tout en donnant leur chance à de jeunes pousses devant et derrière la caméra, Yuzna aura avec elle produit 9 films dans la première moitié des années 2000. Avec un bilan mitigé : il en aura réalisé lui-même pratiquement la moitié (Faust, Beyond Re-Animator, Rottweiler et La Malédiction des profondeurs) sans qu’aucun ne vienne véritablement marquer les esprits, si ce n’est de façon défavorable pour ce qui est de la seconde séquelle de Re-Animator. En revanche, la Fantastic Factory aura permis à son acolyte Stuart Gordon de se pencher une nouvelle fois sur les écrits de Lovecraft avec le réussi Dagon et aura rappelé le vétéran Jack Sholder à notre bon souvenir (Arachnid). Surtout, le studio aura mis Jaume Balaguero et Paco Plaza sur les rails de leurs [Rec] en leur confiant chacun un long-métrage (respectivement Darkness et L’Enfer des loups). Et puis il y aura eu le tout à fait oublié La Nonne, unique long-métrage de Luis de la Madrid, habituellement préposé au montage. En guise de postérité, la Fantastic Factory n’aura certes pas légué de classiques indéboulonnables (Dagon étant encore le meilleur film à en être sorti), mais elle aura néanmoins permis à l’horreur espagnole de se développer et d’amener certaines personnalités -y compris des techniciens- sur la voie du succès. N’étant pas le mieux achalandé du lot sur ce créneau, La Malédiction des profondeurs, le dernier film à être sorti du studio, aura tout de même eu le mérite de lancer la carrière de Javier Botet, acteur spécialisé dans les rôles de monstres ([Rec], Crimson Peak, The Conjuring 2, Ça et plein de films d’Alex de la Iglesia) ou encore de l’actrice et réalisatrice belge Axelle Carolyn (qui a depuis plusieurs fois travaillé avec Neil Marshall). A vrai dire, c’est même ce que l’on en retiendra le plus.

Conséquence de la construction d’un barrage, le village de Marienbad sera d’ici quelques jours submergé par les flots ! C’est donc dans un patelin déserté et déjà un peu inondé que deux enfants partent s’encanailler par une fraîche matinée. A leur grande surprise, de la lumière sort de l’une des maisons… Ainsi que des cris épouvantables. Courageux aussi bien que téméraire, l’un des gamins pénètre dans les lieux et y découvre ce qui ressemble à une secte démoniaque dont le maître est enchaîné. Charitable, il le délivre de ses fers et en guise de remerciement se fait massacrer. Non sans une certaine lucidité, le deuxième garçon, Luis, prend ses jambes à son cou. 40 ans plus tard, le nouveau village s’apprête à célébrer l’anniversaire du barrage sous la couverture médiatique de Dan Quarry, photoreporter en milieu sous-marin, et de Teresa Borgia, journaliste locale et fille du défunt maire qui impulsa le projet. Mais des choses étranges commencent à se produire : un jeune homme disparaît dans le lac, une vase noire se développe dans les eaux, des fissures apparaissent sur le barrage… Cela n’augure rien de bon, et le maire actuel tente de garder cela sous silence jusqu’à ce que les cérémonies soient passées. Peine perdue !

On ne saurait reprocher à Brian Yuzna d’avoir des idées. Son gros problème, en revanche, est de savoir les mettre en forme. Toujours partant pour l’excès, il ne s’est en fait jamais remis de la double réussite de Re-Animator premier du nom (qu’il n’a fait que produire) et de Society (son tout premier film -et son meilleur- comme réalisateur) et a passé sa carrière à courir après la folie douce qui ont caractérisé ces œuvres qui toutes deux se concluaient par un véritable pandémonium évocateur de l’enfer de Dante (Alighieri, pas Joe). Tout à son envie de reproduire cet esprit, Yuzna s’est laissé entrainer dans des intrigues que des délires mégalo ont eu tôt fait de rendre brouillonnes. Ça fuse dans l’esprit de Yuzna, mais n’étant pas Stuart Gordon, il ne s’est jamais révélé capable d’être à la hauteur de la démesure “lovecraftienne”, puisque dans le fond tout ceci est souvent proche des concepts infernaux imaginés par l’auteur de Providence. Là où Gordon réussissait à inscrire les “déviances” monstrueuses dans des cadres bien maîtrisés, à un Society près Yuzna n’a jamais su garder la maîtrise de ses films. Bien qu’il soit adapté d’un roman de Matthew Costello et non d’une nouvelle de Lovecraft, La Malédiction des profondeurs le met une nouvelle fois aux prises avec ses vieux démons. Difficile d’ailleurs de ne pas penser à Dagon : un culte maléfique plongeant ses racines dans le passé d’une communauté, une flopée d’humains dénaturés par les puissances occultes, un milieu aquatique, et la promesse d’un prochain avènement des ténèbres. Et pour couronner le tout, un paroxysme que l’on sent venir à des kilomètres puisqu’il s’agit de Brian Yuzna : le détournement des célébrations festives en orgie apocalyptique dans laquelle tous les notables du coin se vautreront dans la luxure. On ne pouvait y couper ! Mais malgré tout, Yuzna a bien essayé de faire monter la mayonnaise avec logique sinon avec retenue. Ainsi, La Malédiction des profondeurs ne fonce-t-il pas bille en tête vers un déluge d’effets spéciaux et tente de construire à petite dose, en se reposant sur ses personnages. Ce en quoi Yuzna force sa nature et, quitte à paraître éternellement insatisfait, échoue assez largement.

Car les personnages de La Malédiction des profondeurs sont tout simplement ineptes. Les deux journalistes, qui se mettent à flirter dès la première rencontre, ont en commun de partager des difficultés personnelles que les épreuves rencontrées dans cette affaire aideront à surmonter (tout en entérinant leur relation) : pour Dan il s’agit de se pardonner la mort de son fils qu’il n’a pu sauver de la noyade. Et pour Teresa cela consiste à prouver son affection à sa fille Clara qui de son côté se sent délaissée depuis la mort de son grand-père, celui-là même qui fut à l’origine de la construction du barrage et qui revient la visiter en rêves. Donc, tout en développant son sujet fantastique, Yuzna essaie d’illustrer ces mal-être avant de les résoudre par des pirouettes faciles grossièrement incorporées à la lutte contre les sombres desseins du sorcier Mordecai Salas, véritable incarnation symbolique de tout ce qui ne va pas dans la vie de ce petit monde. Le vaincre apporterait le bonheur à chacun et ferait une famille unie d’individus esseulés et tourmentés ! Parasitaires du contenu fantastique, ces considérations privées avaient de toute évidence pour objectif de faire naître l’empathie envers ces protagonistes. Las, le procédé est bien trop éculé et la nature des traumatismes bien trop conventionnelle pour ne pas rendre l’ensemble artificiel. Yuzna s’avère bien incapable de donner du relief à ses héros et pousse le vice jusqu’à leur mettre dans les pattes des seconds couteaux tout aussi mornes en plus d’être foncièrement inutiles, comme ce gamin acceptant mal le “baby-sitting” de Clara, comme cette copine traumatisée par la mort de son bellâtre (lui-même troisième couteau) ou encore comme ce gardien du barrage qui pleure en picolant sur la photo de sa femme trépassée… Autant de maladroites tentatives d’humanisation des personnages qui pour le coup évoquent plus les œuvres les moins inspirées de Stephen King (expert en communautés côtières !) que les écrits de Lovecraft. Notons au passage que cette prolifération de personnages brinquebalants a aussi pour conséquence d’éclater le récit, obligeant le réalisateur et son monteur à passer d’un individu à un autre, chacun dans son coin. Ce qui est plutôt agaçant, voire franchement désagréable dans le cas de la tant attendue orgie finale -à laquelle ne participe aucun des personnages principaux-, interrompue toutes les dix secondes. A moins que ce ne soit l’intrigue principale qui souffre de son caviardage par les scènes d’orgie. Tout dépend de ce que l’on pense de ladite intrigue principale.

Se parant de relents lovecraftiens, le sujet de La Malédiction des profondeurs met donc en avant un culte ésotérique. Tellement ésotérique que le peu qui nous en sera dévoilé sera le fruit du monologue de Luis, le type qui 40 ans plus tôt avait vu son ami se faire tuer par Mordecai Salas. Vivant depuis lors dans l’étude du culte présidé par Salas, et franchement marginalisé, il aurait très bien pu être le principal personnage du film. Mais il n’est que le moyen trouvé par Yuzna pour mieux expliciter le péril et sa fonction s’arrête là. Belle occasion ratée. Ce n’est pas la seule : tout à sa volonté de rendre ses protagonistes crédibles, Yuzna commet l’erreur de personnifier le culte, réduit à la seule figure de son gourou. Bien loin des abominations métaphysiques de Lovecraft, il se contente de balancer quelques monstres ici ou là, avec pour unique objectif de leur faire assassiner tel ou tel quidam. Ces créatures, en réalité des humains “mutés”, voire à l’occasion de la vase semblable à celle d’un sketch de Creepshow 2, ne font que remplir le quota horrifique en apportant leur lot de maquillages (il est vrai réussis) et de gore (un peu). Mais jamais ils ne prennent une dimension supérieure en venant titiller l’imaginaire comme le faisait Lovecraft. N’apparaissant que bien trop ponctuellement, ils ne viennent pas non plus faire pencher la balance dans le grand-guignol à la manière de Re-Animator. Ils remplissent juste le cahier des charges, laissant le beau rôle au fameux Mordecai Salas, qui de son côté n’est qu’une pâle version du sorcier Nix dans Le Maître des illusions de Clive Barker. Avec son air patibulaire, ses répliques menaçantes, sa magie gérard-majaxienne et sa mégalomanie de pacotille, c’est un bien terne grand vilain. A la mesure de ses antagonistes ! Pas de quoi répondre aux espérances suscitées par ce qui est encore le plus réussi du film : ces travelings sous-marins dans les rues du village englouti, où malgré cela une fenêtre demeure en permanence allumée. Si Yuzna avait voulu – ou su- être moins plan-plan il en aurait tiré une intrigue baignant dans le mystère, une sorte de thriller surnaturel débouchant sur de la démonologie lovecraftienne tirée de l’atmosphère aquatique et putride du Cauchemar d’Innsmouth (comme le Dagon de Stuart Gordon). Mais non : il faut se farcir des personnages inintéressants qui se retrouvent mêlés aux calculs d’un sorcier sans envergure et pourvu d’un grimoire que le réalisateur tente vaguement de présenter comme le Necronomicon. En voulant se racheter une crédibilité après bien des films généreux mais bordéliques, Yuzna sombre dans le défaut inverse : à quelques éclats près, son film est globalement insipide et anonyme. Une fausse note qui conclue l’histoire de la Fantastic Factory et -à une unité près- celle d’un réalisateur qui aura décidément passé sa carrière à courir après ses succès initiaux. Non sans y parvenir ici ou là, au détour de scènes évoquant ces petits grains de folie d’antan, mais jamais de façon pérenne. Dans le cas de La Malédiction des profondeurs, cela se résume en quelques dizaines de secondes discontinues.

Une réflexion sur “La Malédiction des profondeurs – Brian Yuzna

  • Film à mettre en doublon avec Dagon de Stuart Gordon. Par certains choix scénaristiques, ils se rejoignent et partagent certains points communs. Il s’agit aussi de la dernière collaboration entre Stuart Gordon et Brian Yuzna avec Filmax. Après, ils prendront des chemins différents. Stuart Gordon fera sa trilogie d’horreur sociale tandis que Yuzna tentera de reproduire l’aventure Filmax en Indonésie, avec Amphibious 3D, mais l’aventure tournera court.

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