La Main de la momie – Christy Cabanne
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The Mummy’s Hand. 1940.Origine : États-Unis
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Steve Banning et son ami Wallace Ford végètent en Égypte, sans le sou et sans la moindre perspective d’avenir. Lassé par son manque de résultats, le musée new yorkais qui emploie Steve Banning lui signifie par courier qu’à son retour, il sera relégué à un poste subalterne. Loin d’en prendre ombrage, il continue de croire en sa bonne étoile. C’est ainsi que sur l’étal d’un marchand, il déniche les restes d’un vase antique sur lequel se trouve le plan d’accès de la tombe de la princesse Ananka, morte 3000 ans auparavant. Il s’empresse de le faire authentifier auprès du Docteur Petrie, lequel confirme son intuition, quand bien même le professeur Andoheb, une sommité locale, ait tenté de refroidir leurs ardeurs. Il ne leur reste donc plus qu’à monter une expédition. Seulement pour cela, il faut de l’argent. Beaucoup d’argent. Dans le bar d’un hôtel, alors que Wallace amuse la galerie, ils font la rencontre du grand Solvani, un magicien renommé. Steve Banning lui expose avec emphase son projet, et la promesse de découvrir un trésor merveilleux qui rembourserait ses frais, achève de convaincre l’homme de scène. Loin d’être aussi convaincue, sa fille Marta se joint à l’expédition afin de s’assurer du retour sur investissement.
Sous l’impulsion de Carl Laemmle Jr, la Universal devient durant les années 30 LE studio de l’horreur en produisant coup sur coup le Dracula de Tod Browning, le Frankenstein de James Whale, La Momie de Karl Freund et enfin L’Homme invisible, toujours de James Whale. La demande étant forte, les suites affluent à un rythme métronomique qui n’atteignent pas toutes le même niveau d’excellence que celui de La Fiancée de Frankenstein, loin s’en faut. Ce qui n’empêche nullement la Universal de mettre les bouchées doubles durant les années 40, décennie qui offre au film de Karl Freund des déclinaisons aussi tardives qu’éloignées du film initial dans la mesure où aucun des personnages de La Momie n’est reconduit. En ce sens, le film connaît le même sort que Le Monstre de Londres de Stuart Walker, autre premier de cordée prestement oublié au profit d’une relecture sur laquelle s’aligneront les autres suites (Le Loup-garou de George Waggner). La Main de la momie se développe autour d’une nouvelle figure tragique, en l’occurrence le prince Kharis, coupable aux yeux d’Aménophis d’avoir voulu voler le secret de la vie éternelle. Et que ce fusse pour ressusciter sa fille n’a en rien infléchi sa position de pharaon intraitable. La momie du titre, c’est donc lui, le prince au coeur lourd, enterré vivant et condamné à protéger la sépulture de la femme qu’il a aimée. Mais comme une seconde malédiction, le prince momifié doit se contenter du rôle ingrat de monstre de service ne pipant mot. Et pour cause, sa langue a été coupée afin qu’il n’offense pas les dieux par ses invectives ! En outre, il ne bénéficie pas du concours d’un comédien de premier plan comme l’était Boris Karloff à l’époque. Sur ce point, La Main de la momie s’apparente à un pur film d’exploitation qui ne cherche pas à révolutionner quoi que ce soit.
La momie a ceci de particulier dans ce film qu’elle ne bénéficie d’aucun libre arbitre, dépendant du bon vouloir d’un prêtre intronisé gardien du temple. Elle lui sert de dernier recours, d’atout ultime lorsqu’il s’agit de dissuader les explorateurs de poursuivre leurs recherches. Un homme de main en quelque sorte dont on nie les souffrances passées afin qu’elle en inflige dans le présent. Difficile dans ces conditions de conférer un tant soit peu d’épaisseur à cette figure mythologique qui est utilisée uniquement dans le but d’effrayer. Le film va même plus loin dans son avilissement en rendant cette momie dépendante d’un fluide composé à base de feuilles de Tana. Elle agit donc moins pour tuer que par manque, se jetant avidement sur tout ce qui contient le fameux fluide, allant même jusqu’à lécher le sol sur lequel le liquide s’est répandu. L’image du prince déchu et au coeur brisé en prend un coup. Et sa soudaine magnanimité au moment de croiser la route de Marta Solvani tient moins à la résurgence du souvenir de l’être aimé que d’une volonté de reproduire l’image désormais iconique du monstre emportant la belle dans son antre. Cette momie n’a donc rien de mémorable, bien au contraire. Et pour qui s’interroge sur la portée du titre, précisons que ladite momie, sevrée de fluide, ne dispose que d’une main valide pour effectuer son ingrate besogne. En fait, le véritable antagoniste du film, et qui agit en pleine conscience, n’est autre que le professeur Andoheb. A travers son rôle de gardien du temple, statut qui se lègue d’initié à initié, c’est tout un pays qu’il tente de préserver de la convoitise des étrangers. Depuis trop longtemps, l’Égypte attire les pilleurs du monde entier et son ordre tente d’y mettre un terme. Cela passe d’abord par de la désinformation puis, en cas d’échec, il n’hésite pas à recourir à la manière forte. Un combat qui possède son fond de légitimité mais qui dans le contexte du film se limite à la lutte rétrograde d’une sorte de secte arc-boutée sur ses secrets. Finalement, Andoheb se révèle tout aussi prisonnier du passé que Kharis, à la différence que lui l’a choisi en toute connaissance de cause. Ce qui ne lui confère pas plus d’épaisseur pour autant. Il n’est qu’un obstacle supplémentaire sur le chemin de la résolution, et clairement pas le plus difficile à surmonter. La menace reste légère car ce film introduit un élément totalement absent de son prédécesseur, l’humour. En cela, La Main de la momie annonce les fossoyeurs Abbott et Costello. Il s’agit d’un duo de comiques très populaire aux États-Unis que la Universal s’ingéniera à confronter à tout le bestiaire maison. La momie ferme le ban avec le funeste Deux nigauds et la momie réalisé par Charles Lamont en 1955, l’avant dernier film mettant les deux compères en vedette.
Dans La Main de la momie, tout repose sur les épaules d’un duo constitué de Steve Banning, l’intrépide beau gosse, et de Babe Jenson, le faire-valoir maladroit. Au premier revient le lancement de l’intrigue (c’est lui qui trouve le vase contenant le plan) et la romance dans les bras de Marta Solvani, lorsque le second assure toute la dimension humoristique et légère du récit. Pour cela, il peut compter sur le concours du Grand Solvani, magicien de son état et quelque peu étourdi lorsqu’il a un petit coup dans le nez. Sa recherche désespérée dans les poches de sa veste du contrat qu’il vient de signer avec les deux compères compte comme le meilleur moment du film. L’essentiel souffre néanmoins d’une trop grande nonchalance, aussi bien dans le traitement de l’exploration qu’au travers des réactions des personnages. Les morts qui s’amoncellent suite à la découverte du corps momifié de Kharis n’inquiètent guère Steve Banning et sa clique. Ils sont davantage préoccupés par la fuite de leur main d’oeuvre locale, qui les obligerait à s’employer, que par l’éventuelle malédiction qui viendrait les frapper. Babe prend même le temps d’expérimenter un tour de passe-passe, preuve que l’angoisse ne l’étreint guère. La périlleuse expédition s’apparente donc davantage à un camp de vacances dont les quelques morts qui l’émaillent servent seulement à rapprocher Steve et Marta. Steve qu’on nous présente comme un obstiné qui ne peut se résoudre de rentrer à New York sur un échec. L’un de ces aventuriers plus intéressés par la gloire et la fortune que de faire avancer l’égyptologie. L’Égypte et son histoire ne servent de toute façon que de folklore à un récit qui cherche avant tout le frisson à moindre frais. Et hormis une belle apparition de la momie en ombre chinoise dont la fameuse main pèse comme une épée de Damoclés au-dessus de la tête de Marta, la partie horrifique inspire peu Christy Cabanne. En guise de feu d’artifice, le final cède au sempiternel sauvetage de la demoiselle en détresse sur fond de monstre en flamme, comme on l’a déjà vu par le passé chez d’autre figure du bestiaire fantastique. Dur, dur d’être une momie, à plus forte raison lorsqu’on vous fait revenir d’entre les âges pour un bref tour de piste chiche en sensations fortes.
Que les adeptes de la momie se rassure, le film de Christy Cabanne n’a pas suffi à l’enterrer défintivement. En revanche, il synthétise parfaitement les limites de cette figure au cinéma. Il y a plus d’horreur, de mystère et d’ampleur dans les flashback rappelant le drame du momifié que dans le récit lui-même à la suite de son réveil. La Main de la momie souffre d’être trop conventionnel et d’être dépourvu du souffle de l’aventure. On ne ressent jamais l’excitation de la découverte, celle-ci étant rapidement sacrifiée sur l’autel de l’efficacité. Le film est court et les préparatifs occupant une large place, il ne reste plus beaucoup de temps à consacrer à l’expédition proprement dite. Difficile dans ces conditions de laisser le charme agir.