La Ferme de la terreur – Wes Craven
Deadly Blessing. 1981Origine : États-Unis
|
Fraichement enceinte, Martha (Maren Jensen) connaît la douleur d’être veuve lorsque son mari meurt dans d’étranges circonstances, écrasé de nuit par son propre tracteur. Bien qu’il n’y ait aucune preuve, il y a tout lieu de croire qu’il s’agit d’une vengeance de la part de la communauté Hittite, une Église sectaire façon Amish qui n’a jamais accepté que cet homme, fils du patriarche Isaiah (Ernest Borgnine), rejoigne le camp de “l’incube”. L’idyllique coin de campagne dans lequel vit Martha grouille en effet de ces intégristes, qui viennent régulièrement déranger la quiétude de Martha et de la seule autre famille non-Hittite vivant en ces lieux, une mère et sa fille par ailleurs elles aussi assez étranges. Pour supporter ces jours difficiles, Martha accueille chez elle deux amies, Lana et Vicky (Sharon Stone et Susan Buckner). Avec l’arrivée de ces deux nouvelles aguicheuses, les relations avec le voisinage se font encore plus tendues. Ca sera encore pire lorsqu’un Hittite sera retrouvé mort dans la grange de Martha.
Déjà pas en état de grâce après ses deux premiers coups d’éclat La Dernière Maison sur la gauche et La Colline a des yeux, Wes Craven dût accepter pendant plusieurs années quelques tâches ingrates. Montage, documentaire, un téléfilm (L’Été de la peur)… Pas de quoi assouvir les envies d’un homme ayant quitté son poste de professeur en philosophie pour le monde du cinéma. Mais au cours de ces quelques années d’errance, il eut l’opportunité de corriger un script, celui de La Ferme de la terreur, puis de le mettre en images. Pas vraiment convaincu par l’histoire y compris après ses propres apports, il se lança malgré tout dans l’aventure pour sa première expérience à la tête d’un film produit par des inconnus (il n’avait jusqu’alors que bénéficié de copinages) pour un budget bien supérieur à ceux dont il avait disposé dans ces précédentes oeuvres. De toute évidence, sa présence derrière la caméra de La Ferme de la terreur tient avant tout à la volonté de se faire les griffes avant de passer à des choses plus sérieuses. Ainsi, si les deux premiers scénaristes donnaient l’impression dans leur script “de ne pas savoir où ils allaient”, on ne peut pas dire que les révisions de Craven y aient changé grand chose. Chacune des trois filles dispose ainsi de sa propre intrigue : Martha se frotte aux affaires de meurtres très “slasherisantes”, Lana passe son temps à rêver ou à avoir des visions cauchemardesques à la lisière du fantastique et Vicky essaye d’arracher un jeune hittite de la dictature de Isaiah, qui cherche à le contraindre d’épouser sa cousine. Si Isaiah est présent plus ou moins directement dans ces trois sous-intrigues (son histoire d’incube le rattachant au fantastique et donc aux mésaventures de Lana), la mère et la fille non sectaires en sont pour leur part totalement absentes et leurs quelques furtives apparitions n’ont autre justification que la promesse de les revoir à la fin du film. Un dénouement en deux temps vraiment très inégal, qui illustre bien l’approche de Wes Craven, pour lequel le film est un puzzle inachevé de scènes et de thèmes avant tout destinés à lui faire engranger de l’expérience.
On y trouve donc de façon discrète le thème de la violence comme partie intégrante de la personnalité humaine. Bien sûr, il ne s’agit pas pour Craven de se montrer aussi radical que dans ses deux premiers films, mais il n’en demeure pas moins que le mode de vie Hittite repose sur la coercition, ce qui pour une société se réclamant de la charité chrétienne et prenant le nom d’une civilisation connue pour son ouverture d’esprit ne manque pas d’être hypocrite. Craven brocarde l’intégrisme religieux, ce qui n’est pas révolutionnaire, d’autant plus qu’il reste très évasif sur les codes régissant cette communauté. Mais il réussit tout de même à rendre ces Hittites menaçants par le biais du charisme de Ernest Borgnine, sur lequel toute la communauté repose. La violence dont il use n’est pas que physique : elle est aussi psychologique. La meilleure illustration en est certainement ce châtiment infligé à un gamin menteur sur l’autel de l’église, devant une foule muette. Cette communauté est endoctrinée pour accepter de telles pratiques de la part d’un chef despotique, véritable dictateur local, et elle est même reproduite par quelques personnalités de la communauté (dont Michael Berryman). Cette religion semble avant tout être une excuse pour justifier les violences reproduites selon une forte hiérarchie. Ceux qui ne s’y plient pas sont excommuniés et intègrent donc une vie “normale”. Laquelle n’est pas non plus synonyme d’innocence : la bizarrerie féministe des Stohler mère et fille, n’est pas à proprement parler des plus saines. Quand à Martha et ses amies, elles devront elles aussi avoir recours à la violence ouverte (parfois entre elles-mêmes, pour s’inciter mutuellement à réagir) après s’être cachées derrière l’institution policière, forme de coercition officielle de leur propre société civilisée. En essayant d’attirer un jeune hittite à elle (principalement en mettant en avant son physique), Vicky aura même entamé sans le savoir un bras de fer avec Isaiah, père du jeune homme. Du point de vue intégriste certes discutable du personnage de Borgnine, la liberté sexuelle de ces jeunes femmes est également une violence. Le prosélytisme dépend en fait du point de vue adopté, conditionné par ce qui est considéré comme étant la norme. En revanche, l’idée de confrontation reste présente dans tous les “camps”. Tout ceci est bien loin de La Colline a des yeux, mais il est indéniable que Craven n’est pas encore totalement passé à autre chose.
Film de transition dans sa carrière, La Ferme de la terreur marque également le développement du Wes Craven “onirique” des Griffes de la nuit et de L’Emprise des Ténèbres. Les scènes surréalistes n’ont à vrai dire pas grande utilité (de toute façon, le scénario étant ce qu’il est, c’est à dire un assemblage d’idées, il n’y a pas grand chose de consistant), mais ce sont assurément les meilleurs parties du film. En tête de liste figure la scène de la baignoire, dans laquelle une Martha somnolente ne se rend pas compte de la présence d’un serpent entre ses jambes. Non seulement la mise en scène sera reprise à l’identique pour Les Griffes de la nuit, mais en plus le serpent lui-même, bête vicieuse et discrète, évoque sans aucun doute possible le Freddy Krueger des débuts. Autre animal répugnant , là encore très proche de Krueger, l’araignée au centre des cauchemars de Lina qui se permet aussi d’apparaître à l’état de veille, bien que Craven utilise indistinctement une mise en scène très typée “épouvante” voire même gothique. Le côté terre-à-terre de la campagne cesse, les ténèbres s’imposent, et la lumière devient lunaire. La présence d’une silhouette humaine malfaisante toujours liée à ces instants donne autant à songer à Freddy Krueger qu’à un tueur de slasher plus classique. N’aurait-il pas eut à gérer les séquences réalistes supposant un tueur “matériel” que Craven aurait pu se consacrer au seul personnage de Lina et à son poursuivant “immatériel”, ce qui aurait donné Les Griffes de la nuit avant l’heure. Au lieu de quoi il adopte une forme hybride et n’ose pas pousser très loin son surréalisme, il est vrai peu compatible avec la sous-intrigue de Vicky, par exemple.
Tout ceci est vraiment trop disparate pour emporter pleinement l’adhésion. Difficile de mélanger des styles aussi différents que ceux de La Colline a des yeux, des Griffes de la nuit, de la mode du slasher tout en tartinant le résultat de relents musicaux grégoriens façon La Malédiction. Pourtant Craven ne s’en sort pas si mal. Il reste appliqué dans sa mise en scène, il peut compter sur des acteurs et des techniciens doués, mais il reste limité par le manque de rigueur du scénario. C’est un peu l’histoire du verre à moitié plein ou à moitié vide : ou bien l’on considère que le réalisateur affiche à la fois de beaux restes et de belles promesses dans un enchevêtrement d’exercices de styles, ou bien on considère qu’il a perdu de sa superbe, que sa nouvelle orientation n’est pas encore tout à fait au point, et que du coup La Ferme de la terreur est au creux de la vague. Pour ma part, en la replaçant dans la filmographie du réalisateur, je trouve qu’il s’agit là d’une œuvre certes inaboutie mais en tout cas autrement plus méritante que L’Été de la peur ou autre Créature du Marais.