La Femme d’à côté – François Truffaut
La Femme d’à côté. 1981.Origine : France
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Marié, un enfant, Bernard Coudray vit paisiblement dans sa belle maison d’un village des environs de Grenoble. Un beau matin, la maison de l’autre côté de la rue trouve de nouveaux locataires, les Bauchard. Très sympathique, le mari s’empresse de faire visiter sa maison aux Coudray, et de leur présenter son épouse, Mathilde. Un choc. Mathilde et Bernard ont vécu par le passé une ardente passion amoureuse. Feignant ne pas se connaître, les deux anciens amants vont peu à peu ranimer les braises d’une passion jamais vraiment éteinte.
Après le faste et la lourdeur d’un projet tel que Le Dernier métro, qu’il a d’ailleurs toujours jugé imparfait en dépit de sa flopée de prix, François Truffaut souhaite revenir à davantage de simplicité. Il veut tourner vite, autour d’une poignée de personnages, et sur un sujet contemporain. Pour cela, il reprend une vieille idée qui tourne autour de la résurgence d’une relation passionnelle, racontée à la manière d’un fait divers. Reste à trouver le couple idéal. Pour interpréter Bernard, François Truffaut ne va pas chercher bien loin en la personne de Gérard Depardieu, qu’il venait tout juste de diriger. En outre, ce dernier ayant déjà des engagements –La Chèvre de Francis Veber– un tournage rapide lui convient parfaitement. Et en guise de partenaire, Truffaut lui adjoint l’alors méconnue Fanny Ardant, que le cinéaste avait lui-même découvert à la télévision quelque temps auparavant. Ce couple inattendu est devenu pour lui une évidence lorsqu’il les a vus côte à côte lors de la cérémonie des Césars 1981. L’écriture n’est alors qu’une formalité même si, comme à son habitude, François Truffaut procédera à des rajouts en postproduction, comme le témoignage d’Odile Jouve face caméra qui ouvre le film.
François Truffaut place immédiatement son film sous le sceau de la fatalité. Une fatalité qui conduit à la mort de deux personnes pour des raisons que le récit s’évertuera à expliciter. Faut-il s’attendre à un semblant de suspense ? Tel n’est pas le propos d’un cinéaste qui s’attache davantage à dépeindre la grisaille du quotidien des deux amants. Car derrière le masque de leur vie de couple respective bien rangée, Mathilde et Bernard cachent une profonde fêlure que leurs retrouvailles fortuites remettent à vif. Ils souffrent l’un comme l’autre d’une même lassitude face à leur vie sans histoires. Voulue ou pas, l’interprétation de Gérard Depardieu sonne étonnamment faux, l’acteur ne s’animant qu’une fois son personnage replongé dans sa passion d’antan. Une constante, néanmoins, son approche immature de la situation, à quelque stade qu’elle soit. Incapable d’appréhender ces retrouvailles impromptues par le bon bout, Bernard joue les filles de l’air, cache la situation à son épouse, et lui fait faux bond lorsque celle-ci convie les voisins à dîner. Dans ce contexte, Mathilde fait preuve de davantage de sagesse, bien qu’elle ne dise rien elle non plus des liens qui l’ont unie à Bernard. Mathilde, c’est donc Fanny Ardant, nouvelle muse et compagne de François Truffaut, qui apporte au personnage une préciosité inhérente à son phrasé si particulier. A l’immaturité de Bernard, elle oppose un calme olympien. Elle cherche seulement à discuter avec lui de la situation, de manière posée et adulte. Elle semble plutôt bien accuser le coup, et savoir exactement où elle va. Sauf que dès le premier baiser échangé dans les sous-sols d’un parking de supermarché, son assurance s’effondre, et son corps avec elle. Rarement un baiser aura été vécu avec autant d’intensité qu’ici.
Ce baiser volé marque le véritable point de départ du récit, ce moment où un flot de sentiments contraires submerge les deux protagonistes. Chacun a sa propre façon de voir les choses, et passées les premières chaudes retrouvailles dans l’austérité d’une banale chambre d’hôtel, leurs divergences de vue enveniment leur relation. Première déception, François Truffaut donne une vision primaire des relations homme / femme. Mathilde apparaît plus réfléchie, demandant constamment à Bernard de discuter, alors que ce dernier ne voit pas plus loin que le bout de son sexe. Original. Déjà meurtrie une fois, Mathilde ne veut pas réitérer la même erreur, d’où ce besoin compulsif d’être rassurée, d’entendre Bernard dire ce qu’elle veut entendre. Alors que lui n’en a cure, plus enclin à profiter du moment présent qu’à déjà tirer des plans sur la comète. S’ensuit un pas de deux horripilant sur l’air du je t’aime moi non plus, duquel les conjoints respectifs sont presque totalement exclus. Il s’agit là de la deuxième déception. Leur adultère s’effectue sans anicroches, tant l’amour de leur conjoint respectif est fort, et s’accommode aisément du moindre aléa. Bernard peut faire un scandale lors de la réception donné par les Bauchard, secouant violemment Mathilde devant un parterre interloqué, mais peu actif, sans que cela n’éveille une quelconque colère, ni chez Philippe, ni chez Arlette. Et encore moins de ressentiment. François Truffaut nous entraîne dans un univers ouaté, où seul son couple vedette a le droit d’exprimer un tant soit peu d’émotion, jusqu’aux plus extrêmes. Des quelques personnages secondaires n’émerge que la seule Odile Jouve, observatrice privilégiée de cette passion déchirante, et dont le passé vaut illustration des tourments de l’amour. Car tel est le sujet de François Truffaut. Relater non seulement la résurgence d’un amour mais également son côté destructeur, pour peu qu’on se laisse complètement emporter par lui. Mathilde tente de lui résister, mais lui cède jusqu’à en souffrir atrocement. A travers elle, et l’histoire d’Odile, Truffaut donne à penser que seules les femmes savent ce qu’est le véritable amour, et en souffrent. A l’inverse la capacité de résilience de Bernard, et des hommes en général, semble infinie. La fin ne fait qu’entériner cela, chacun périssant par et pour sa conception de l’amour.
Il n’y a pas grand-chose à retenir de cette passion tumultueuse, qui se nourrit de petits riens. Mathilde et Bernard n’émeuvent guère, de même que la mise en scène de Truffaut, factuelle et froide. Alors certes, avec la Nouvelle Vague, il a su libérer le cinéma français du carcan des tournages en studios, mais pas le sien d’une pesanteur auteurisante fort désagréable. La Femme d’à côté ne témoigne pas d’un réel amour du cinéma, mais plutôt d’une appétence au nombrilisme m’as-tu vu.