La Colline des bottes – Giuseppe Colizzi
La collina degli stivali. 1969Origine : Italie
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Troisième et dernière aventure pour Cat Stevens et Hutch Bessy, toujours réalisée par un Giuseppe Colizzi plus inspiré que jamais et désireux de livrer un film ne ressemblant pas au premier volet ni même au second. Au fantastique latent de Dieu pardonne… Moi pas, à la course-poursuite leonienne des Quatre de l’Ave Maria succède l’étrange Colline des bottes (retitré plus tard Trinita va tout casser), de loin le plus étoffé des trois films d’une mini-saga qui aura fait dans la diversité (certains feraient bien de s’en inspirer).
Cat Stevens (Terence Hill) est traqué dans les rues d’un village par une bande d’assassins. Gravement blessé, il trouve refuge dans l’une des voitures d’un cirque itinérant dirigé par Mamy (Lionel Stander, sosie de Ernest Borgnine). Sa présence dans le convoi n’est remarquée que plus tard, alors que la troupe fait route vers une autre ville et qu’elle se fait attaquer par d’autres tueurs, toujours à la recherche de Cat. Avec l’aide du trapéziste Thomas (Woody Strode), le pistolero blessé réussit à se défaire de ses assaillants. Bien que réticent, Mamy cède finalement aux insistances de Thomas, qui souhaite abriter Cat le temps qu’il se remette de ses blessures. Ce qui implique que le cirque sera désormais en proie aux tueurs. Et cela ne manque pas de se produire : dès la représentation suivante, des hommes, vexés de ne pas avoir retrouvé Cat, provoquent la mort du jeune collègue de Thomas en tirant sur le fil du trapèze. Ce qui marque la fin du cirque de Mamy. Peu de temps après, une fois Cat rétabli, Thomas le contacte pour l’accompagner dans sa lutte contre la bande de tueurs, qui travaillent en fait pour le compte d’un certain Finch, taulard en cavale qui avait été livré à la police par Cat et son vieil ami Hutch (Bud Spencer), que Cat s’empresse de reprendre à ses côtés. Mais ce n’est pas tant pour se venger de ses années de prisons que Finch souhaite faire la peau à Cat. Sa principale motivation est en fait que Cat est détenteur d’un titre de propriété d’une mine d’or confié par un ami vivant dans un village gangréné par la corruption de Fisher, un pourri faisant pression sur les villageois pour obtenir toutes les concessions de mines du coin, en passe d’être renouvelés sous le contrôle d’un fonctionnaire assermenté. Cat, Hutch, Thomas et même le personnel du cirque s’en vont donc faire le ménage.
Non seulement La Colline des bottes est différent des deux films qui l’ont précédé (et qui eux-mêmes étaient différents entre eux), mais en plus il présente deux films en un ! Le premier va du début jusqu’à la mort du collègue de Thomas et se caractérise par un minimalisme à tout craint. Le second, jusqu’à la fin, est tout l’inverse. Dans le premier, qui est à peine une exposition, nous ne savons rien du personnage de Cat Stevens, qui est souffrant et passe la majeure partie de son temps allongé, à transpirer comme un porc. Le film démarre alors qu’il est poursuivi par des hommes dont nous ne savons rien non plus. Enfin, la vie des employés du cirque n’est pas non plus abordée. Et bien sûr, Bud Spencer n’est pas là. Il y a très peu de dialogues, et Colizzi se fait un malin plaisir à mettre l’accent sur le bruit des rafales de vent, annonciatrice de la menace qui pèse sur le convoi. Et effectivement, l’ambiance est très tendue au milieu du désert. Cela vient déjà du fait que Thomas, après avoir découvert Cat, ne prévient personne mais s’active pour trouver une solution rapide et discrète dans l’attente des tueurs, qui comme il le devine ne vont pas tarder à se pointer. On ne peut pas tout à fait parler de siège, mais il y a de ça : les “assiégés” sont totalement à découvert, et on attend que les tueurs leur tombent dessus. Même le fait de s’en être débarrassés et d’avoir posé le cirque dans un village et commencé la représentation ne relâche pas la tension. Les divers numéros présentés n’ont pas la saveur d’un spectacle, et renforcent même un peu plus la tension du fait de la vulnérabilité qu’ils induisent pour ceux qui les pratiquent au milieu d’un public investi par les tueurs. Le cirque est pris totalement à contre-emploi. Dominée uniquement par cette tension, sans aucun justificatif scénaristique, avec des personnages silencieux (tant les méchants que les gentils) cette première partie de film ressemble à une sorte de moyen-métrage qui aurait pu servir à louer les mérites de Colizzi auprès de producteurs. C’est très réussi, et on ne peut s’empêcher d’être déçu lorsque cela s’arrête, surtout que le contraste avec ce qui suit est très fort.
Immédiatement après la mort du jeune trapéziste, particulièrement cruelle car intervenue dans un grand silence, nous nous retrouvons auprès de Hutch, qui a pris sa retraite pour vivre une vie sédentaire en compagnie d’un ami rouquin sourd-muet. La musique est enjouée, Bud Spencer glandouille sur le bord d’une rivière. Peu de temps après, Cat et Thomas débarquent, et Hutch râle. Nous sommes alors tout près de Trinita, plus que les deux films précédents ne l’ont jamais été, car jamais ils n’ont montré que Hutch était réfractaire à la présence de Cat. Mais l’impression d’assister aux premiers pas de Trinita et Bambino ne dure pas : Cat évoque alors les tenants et les aboutissants de toute cette histoire, et c’est parti pour un scénario cette fois très dense, au point de reléguer Cat, Hutch, le muet et Thomas dans un quasi-anonymat. Car pour une fois, ce ne sont pas les quelques héros qui doivent protéger un village d’une bande de pourris mais bien la bande de pourris qui doit se défendre contre une invasion libératrice ! Le village est d’ores et déjà “occupé”, et tous ses personnages importants sont des hommes de Fisher. En face, c’est une véritable armée qui s’apprête à déferler sur la ville. Cat, Hutch, Thomas, Mamy, les danseuses du cirques, les nains, les acrobates, tous s’apprêtent à livrer un combat particulièrement original. Plus qu’une histoire de personnes, c’est une histoire de camps en lutte, et du côté des “gentils”, personne ne tire son épingle du jeu. C’est que leur plan n’est pas un traditionnel règlement de compte, mais bien de motiver un soulèvement parmi les villageois en utilisant le cirque pour offrir un spectacle profondément subversif, successions de sketchs aux métaphores à peine voilées au nez et à la barbe de Fisher, qui ne peut réagir en raison de la présence du fonctionnaire chargé de renouveler les concessions des mines. Le film est bien plus politique qu’il n’y paraît et à ce titre il n’est pas étonnant d’y retrouver Lionel Stander, membre du Parti Communiste américain, blacklisté dans les années 50 et connu pour avoir incité certains de ses camarades hollywoodiens à rejoindre les rangs du Parti. On peut également s’en rendre compte en se penchant sur les activités des membres du cirque entre le moment où leur organisation fut démantelée et celui de la réunion : tous se sont reconvertis dans des postes ingrats, prostituées, réceptionnistes (et méprisé par des clients très riches), serveurs et tous en sont repartis en faisant un pied de nez à leurs employeurs. La Colline des bottes (expression désignant les cimetières au far west) devient sans équivoque une satire, et son propos justifie le manque de relief des individus au nom de la collectivité. Bien sûr, la substance de ce propos politique ne va pas chercher bien loin, ne dépassant jamais le cadre de la lutte contre la corruption des milieux d’affaires, mais sa forme est extrêmement originale. Pas de mexicains barbus, pas de leader, mais une troupe de cirque offrant des prestations bizarres semant la zizanie au village et orchestrant une révolution qui pour sa part ressemble assez aux futurs films du duo Bud Spencer / Terence Hill (une bagarre générale et burlesque). Niveau western, il n’y a pas grand chose de remarquable (en fait à ce niveau tout est concentré dans la première partie), mais par contre, encore une fois, Giuseppe Colizzi a livré un film concept, montrant un combat politique sous une forme a priori très peu politisée. Le résultat est une étrangeté, tant dans la carrière du duo en tête d’affiche que du western spaghetti. Les promesses affichées ici sont moindres que dans Dieu pardonne… Moi pas ou Les Quatre de l’Ave Maria, mais le film est généralement plus maîtrisé. La trilogie est qualitativement homogène, et plus que les deux Trinita, sympathiques mais trop mécaniques, c’est bien elle qui aurait dû marquer la carrière des deux compères. Hélas, une fois passés sous la houlette de Enzo Barboni, Hill et Spencer n’en sortiront plus, et même le retour de Colizzi derrière la caméra pour Maintenant on l’appelle Plata ne les sortira pas de leur style devenu coutumier. Un peu d’originalité de temps en temps ne leur aurait pourtant pas fait de mal et n’aurait sûrement pas ruiné leur admirable association.