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L’Enfant du diable – Peter Medak

enfantdudiable

The Changeling. 1980

Origine : Etats-Unis 
Genre : Épouvante 
Réalisation : Peter Medak 
Avec : George C. Scott, Trish Van Devere, Melvyn Douglas, Ruth Springford…

Après la mort accidentelle de sa femme et de sa fille, le compositeur John Russell (George C. Scott) part refaire sa vie à l’autre bout du pays, dans l’État de Washington, où on lui offre un poste de professeur en musicologie. Grâce à l’aide de Claire Norman (Trish Van Devere), employée à la Société Historique, il obtient la location d’une vaste demeure isolée, où il sera à l’aise pour pratiquer sa musique. Enfin il aurait dû l’être, puisque très tôt des coups commencent à se faire entendre, des portes se mettent à claquer et les robinets s’ouvrent tout seuls. Quelques recherches dans la maison lui révèlent l’existence d’une pièce cachée, visiblement la chambre d’une fillette ayant vécu là au début du siècle. Après investigation, il s’avère que cette enfant est morte en 1909, dans des circonstances particulièrement similaires à sa propre fille. Afin de mettre les choses au clair, John décide de convier des médiums pour organiser une séance de spiritisme. Ce qu’il apprendra n’a rien à voir avec ce qu’il imaginait de prime abord.

Ce qui est arrivé en 1969 au dramaturge et compositeur Russell Hunter a le mérite de ne pas être banal. Vaste foutaise ou non, son histoire a en tout cas permis à L’Enfant du diable d’exister, puisque le film de Peter Medak n’est que la retranscription de sa soi-disant véritable aventure, qui d’après ce qu’on peut en lire ici ou là est très proche de ce que le film raconte. Même si il ne s’est pas impliqué au-delà de l’argument de départ dans le processus créatif (ce n’est même pas lui qui a écrit le scénario), Hunter a eu la chance de voir son alter ego cinématographique joué par George C. Scott, ce qui n’est pas rien. D’autant plus que Scott est accompagné de sa femme, Trish Van Devere, et du vétéran Melvyn Douglas. Un casting qui en dit long sur les ambitions de Peter Medak : ce n’est pas pour figurer dans une simple repompe d’Amityville que le couple Scott et l’oscarisé Douglas se sont déplacés au Canada, même si les maisons hantées connaissent un regain de popularité après le film de Stuart Rosenberg et après Shining. Comme bon nombre de ses homologues sérieux, L’Enfant du diable ne se contente pas de vouloir faire peur à son personnage principal. L’esprit hantant la maison est là pour une raison précise qu’il faut découvrir. Du reste, John Russell n’est pas vraiment effrayé par les phénomènes paranormaux et ce n’est certainement pas ça qui intéresse Medak. A ce niveau, son film est l’anti-Amityville, puisque ce dernier racontait comment une famille fut terrorisée durant un mois. L’épouvante, les frissons, Medak garde ça pour les spectateurs en adoptant un procédé très clair : ce n’est pas le scénario ni les rudimentaires effets de portes qui claquent, d’eau qui coule ou de miroirs qui se brisent (soit tout ce qui est perceptible du principal protagoniste) qui effraient, mais bien la mise en scène et la suggestion.

Ayant créé en studio les intérieurs d’une demeure propice aux effets de caméra, Medak peut fixer son objectif où bon lui semble, c’est à dire là où les effets d’éclairages pourront habilement compléter l’esthétique d’un cadre souvent porté sur la claustrophobie. Majoritairement, le réalisateur place sa caméra en hauteur, dans la cage d’escalier, pour mieux donner une vision d’écrasement de George C. Scott et renforcer ainsi la sensation d’une présence dans la maison. Il a également recours à quelques mouvements également utilisés par Kubrick dans Shining, à savoir des travellings dans des couloirs vides. Au-delà de ses effets de mise en scène, Medak compte aussi sur le hors-champ, et notamment en titillant l’intellect de son public. La présence jamais remise en question de l’esprit d’un défunt s’exprime sans grands fracas, nous plaçant ainsi face à l’inconnu le plus total. Que veut cette présence ? Est-elle seule ? Est-elle dangereuse ? La prise de contact lors de la séance de spiritisme apporte un début de réponse, mais tout reste à faire. Et quand bien même le danger ne serait pas là, le simple fait de voir déambuler George C. Scott dans cette vaste demeure hantée au passé sombre n’est pas sans produire son petit effet. L’Enfant du diable doit être l’un des seuls films où une personne isolée vit dans une maison hantée (il y aurait bien également La Sentinelle des maudits, mais l’héroïne a vite fait de déguerpir). La personnalité de John Russell joue également un grand rôle, puisqu’il n’hésite pas à parcourir la maison, sans montrer de peur face à l’inconnu, y compris lorsqu’il pénètre dans la chambre d’enfant dissimulée. Nous n’avons donc d’autre choix que de le suivre dans les recoins les plus sinistres de la maison, là où l’imagination peut tourner à plein régime.

Cette histoire de fantôme d’enfant évoque immédiatement la propre fille disparue de John. Hypothèse contredite dès la séance de spiritisme, et sur laquelle nous ne reviendrons plus. Dès lors, se pose la question de savoir à quoi a servi ce drame familial qui ouvre le film. La réponse la plus plausible est qu’elle permet à John Russell de se montrer imperméable à la peur. N’ayant plus rien à perdre, il s’investit dans une histoire de fantôme qui, loin de le faire fuir comme une personne sensée (Claire Norman n’en mène pas large dès qu’elle vient à la maison), le pousse à s’y immerger totalement, puisque c’est l’occasion de faire ce qu’il n’a pu faire, c’est à dire sauver un enfant. Il se garde pourtant bien de faire part à quiconque de cet aspect émotionnel, mais celui-ci se ressent fortement. Sans non plus tomber dans l’excès, John promène sa tristesse durant tout le film, et se l’alourdit encore en prenant à son compte la détresse de Joseph Carmichael, l’enfant qui hante les lieux. Autant que le fantôme et la morbidité de la maison, le personnage principal participe à donner au film ce climat mélancolique et résigné au sein duquel viennent se fondre les résultats de l’enquête menée par John sur l’affaire Carmichael. Une histoire sordide, et qui peut apparaître déplacée dans un film de maison hantée. Loin d’être totalement enfouie dans le passé, elle dispose de ramifications atteignant le monde politique du moment, à savoir le sénateur Carmichael, qui en gros verrait ressurgir des casseroles qu’il croyait à jamais oubliées. Ce qui le pousse logiquement aux menaces. John Russell prend alors des allures de journaliste d’investigations, en risquant à terme de menacer la respectabilité de ce politicien admiré, généreux philanthrope de la Société Historique.

Une façon pour Peter Medak de remettre en question les origines du succès politique et / ou financier ainsi que de s’interroger sur ce dont est capable un homme disposant du pouvoir pour se protéger, quand bien même il aurait une situation déjà bien établie. Comment un film de maison hantée peut-il basculer dans un tel sujet ? Tout simplement en gardant à l’esprit que la seule présence d’une maison hantée suffit rarement à remplir son film. Après tout, la résurgence des cinémas fantastiques espagnol (L’Échine du diable, Fragile) et dans une moindre mesure japonais (Dark Water) est fort similaire à L’Enfant du diable, et placent eux aussi un enfant au cœur de leur intrigue. Ils ne se satisfont pas d’une simple maison hantée. Peter Medak a précédé cette vague qui a eu ses succès comme ses échecs, même si son film à lui va plus loin dans son enquête en abordant un thème politique ambitieux. Mélanger ainsi épouvante et policier / politique pourrait être un frein, et effectivement ce dernier sujet n’est pas très profond. Mais l’important est que Medak parvient à s’y aventurer d’une façon limpide, sans choquer et sans nuire aux autres considérations. L’Enfant du diable reste du début à la fin un film fantastique, et loin de compter parmi les plus mauvais. Ce n’est pas la grande frousse façon La Maison du diable, mais c’est assurément une œuvre efficace car intelligente à tous les niveaux.

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