L’Enfant du cauchemar – Stephen Hopkins
A Nightmare on Elm Street : The Dream Child. 1989.Origine : États-Unis
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Au moment de démarrer le cinquième Freddy, rendu inévitable par le carton du quatrième épisode (le plus rentable de tous), Robert Englund, sans cracher dans la soupe, en a un peu marre. Le personnage commence sérieusement à empiéter sur sa carrière, ne lui accordant que peu de répit entre deux films (cinq films en six ans, quand même) et l’obligeant depuis l’année précédente à tourner dans la série télévisée Freddy’s Nightmares. Mais un deal est un deal, et le bon Robert avait signé en même temps pour le quatrième et le cinquième Freddy. Chose que n’avait pas faite le maquilleur Kevin Yagher, pouvant ainsi travailler sur d’autre films et laissant de le champ libre au retour de David Miller, maquilleur sur Les Griffes de la nuit. C’était donc parti pour L’Enfant du cauchemar, avec toujours comme sempiternelle question : qui va-t-on dénicher pour le réaliser ? Il paraîtrait que certaines personnalités furent contactées (Stephen King, Frank Miller), mais après Renny Harlin, c’est encore une fois à l’étranger que sera déniché le metteur en scène. Après l’Europe, les prospections se firent cette fois en Océanie, avec dans un premier temps le néo-zélandais David Blyth, vité oublié, puis avec l’australo-anglo-jamaïcain Stephen Hopkins, un spécialiste du clip dans la lignée de Russell Mulcahy ayant travaillé avec Queen, Elton John, Duran Duran et Kate Bush. Engagé. Le voilà donc débarqué en Amérique à la tête d’une franchise-phare de l’horreur qui lui mettra le pied à l’étrier pour réaliser tout de suite après Predator 2 et quelques années plus tard la moitié de la première saison de 24 heures chrono. Il s’appuit sur un scénario rédigé et corrigé (comme d’habitude) par beaucoup de monde, la version finale ayant certainement été assemblée par Michael De Luca, scénariste et producteur en odeur de sainteté dans l’univers de Freddy, puisqu’il écrivit plusieurs épisodes de la série télé et qu’il rédigera le scénario du sixième Freddy.
Cet Enfant du cauchemar est pourtant un film assez à part dans la série, rompant violemment avec la voie tracée par Le Cauchemar de Freddy, qui lui-même ne faisait qu’amplifier Les Griffes du cauchemar. Sans non plus se rapprocher des Griffes de la nuit, il prend une direction nettement plus complexe, faisant la part belle à la noirceur d’une intrigue plutôt gothique et davantage adulte. Il reprend ainsi les deux survivants du film précédent, Alice (toujours Lisa Wilcox) et Dan (toujours le fade Danny Hassel), qui forment un couple tranquille célébrant la fin des années lycées. Mais Alice va être sujette à de nouveaux cauchemars impliquant sans ambiguité que Freddy est de retour. Jusque là, rien de plus classique. Sauf que la méthode même de la résurrection de Freddy est étrange : Alice se retrouve ainsi à être témoin de ce qui est arrivé à Amanda Krueger, la mère de Freddy apparue dans Les Griffes du cauchemar, de son viol par une centaine de psychopathes dans un asile et de son accouchement mouvementé. Freddy apparaîtra d’abord sous les traits du bébé difforme qu’il fut, avant de parvenir à retourner sur les lieux où Alice l’avait vaincu dans le film de Renny Harlin. Revêtant ses frusques et récupérant son gant, Freddy est bel et bien de retour, mais avec lui Amanda Krueger ne quittera plus trop les scènes de cauchemars : même si il ne s’agissait que d’un rêve, c’est elle qui vient à nouveau d’accoucher de Freddy, et ça sera à elle de lui reprendre la vie. Pour cela, elle aura besoin de l’aide d’Alice. Mais cela ne sera pas simple, surtout que Freddy n’a désormais plus besoin qu’Alice invite ses amis dans ses rêves : il a découvert que la jeune femme est enceinte, et il utilise les rêves du foetus (et un foetus passe son temps à dormir) pour attirer à lui les gens ayant eu la malencontreuse idée de s’endormir. Pour parfaire encore le tout, Freddy s’est mis en tête de se réincarner dans le bébé d’Alice, et par conséquent, en plus de pervertir son esprit, il se charge de le nourrir avec les âmes de ses victimes.
Un Freddy très ambitieux, donc, peut-être trop, puisque l’on en vient certaines fois à ne plus comprendre telle ou telle chose, comme par exemple la relation entre Amanda Krueger et son fils. Mais cela n’est pas bien grave, et en plus de permettre la reconstitution de la naissance de Freddy, cela contribue à donner à L’Enfant du cauchemar une touche d’originalité que l’on retrouve aux niveau du fameux asile de dingue. Un endroit très très sombre, d’un gothique modernisé et dépouillé, que Stephen Hopkins, en bon ancien réalisateurs de clips, filme en bougeant sa caméra dans tous les sens, sans perdre en lisibilité et en arpentant des couloirs assez glauques. Plus même que pour ses histoires d’enfants (celui d’Alice et celui d’Amanda), ce cinquième film est avant tout remarquable pour ses qualités graphiques qui culminent dans le final, où l’asile ressemble à s’y méprendre à une lithographie nommée “Relativité”, effectuée par le batave Maurits Cornelis Escher en 1953, et représentant un monde dépourvu de gravité, dans lequel des escaliers sont sens dessus-dessous. Freddy lui-même participe à ces étranges choix visuels, avec son maquillage plus proche de celui des Griffes de la nuit, les yeux beaucoup plus enfoncés dans ses orbites, mais aussi avec l’utilisation à plusieurs reprises des difformités de son corps (notamment un bras d’une longueur peu commune et désarticulé, proche également de l’une des scènes des Griffes de la nuit). Il apparaît ainsi bien plus menaçant, et les efforts de mise en scène de Stephen Hopkins sont louables et fructueux. Bien entendu, pour cela, il fallut aussi passer par une diminution assez drastique des pitreries de vigueur, ou du moins par des traitements radicalement différents de ceux de Renny Harlin. Si Freddy est encore prompt à sortir des bons mots et à humilier ses victimes, il le fait avec un style plus sombre, mettant mal à l’aise, que l’on doit également au réalisateur. Ainsi, quand il gave une mannequin au régime forcé de victuailles écoeurantes, Freddy est filmé en décadrage, et la scène a lieu au milieu d’une tablée hilare aux visages déments, faisant un peu songer à l’étrangeté d’un David Lynch des bons jours. Autre meurtre, autre preuve de la dureté de ce Freddy rénové : le sort qu’il réserve au conducteur d’une moto, qui se voit pénétré de toute part par les tuyaux de transmission de sa bécane, le transformant en un homme-mécanique vaguement comparable à celui de Tetsuo. Seule une scène de meurtre s’apparentera vraiment aux méfaits du Cauchemar de Freddy : elle montrera Freddy devenir “Super-Freddy” le temps d’assassiner un pauvre bougre ayant eu la prétention de se transformer en super héros de comics (on comprend d’ailleurs pourquoi Frank Miller fut un temps considéré au poste de réalisateur, et pourquoi Michael De Luca -lui-même fan de Miller et de comics en général- participa secrètement au film). Marrant mais assez déplacé, en dépit d’un habile jeu de couleur (en étant tué, le prétendu super héros perd ses couleurs qui coulent sur le sol, et il se transforme en bout de papier).
Quant au bébé d’Alice, l’idée d’en faire le jouet de Freddy est plutôt audacieuse, et même si elle sert de prétexte pour avoir recours aux cauchemars avec plus de facilité, elle permet à Hopkins d’orienter son film dans une direction encore inexplorée par la saga, celle de l’introspection d’un personnage sur ses propres responsabilités, et par l’extention de l’histoire d’Amanda, l’instrospection de Freddy sur sa propre existence. Plus adulte, donc. Et, c’est peut-être lié, L’Enfant du cauchemar connut les affres de la censure, qui jugea le film trop gore et qui pensa même un temps le faire écoper d’un classement X. M’est avis que le style dérangeant de Hopkins y est pour quelque chose, et que la présence de bébés dérangea également beaucoup de monde (ainsi le poster prévu à l’origine, avec un foetus tenu dans une bulle -celui en ligne sur Tortillafilms-, fut modifié pour qu’un landeau remplace le foetus, et cela à l’initiative des ligues de vertus américaines). Si l’on s’en refère à Hopkins, qui en plus s’est depuis plaint des ingérences de la New Line, le cinquième Freddy aurait pû être encore meilleur. Et pourtant, c’est déjà du solide.