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L’Échappée sauvage – Jack Starrett

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Run, Angel, Run. 1969

Origine : Etats-Unis 
Genre : Biker 
Réalisation : Jack Starrett 
Avec : William Smith, Valerie Starrett, Dan Kemp, William Bonner…

Contrairement à ce qui s’est produit pour plusieurs modes du cinéma d’exploitation, la vague des films de bikers des années 60 (déjà dérivée de films de la décennie précédente tels L’Équipée Sauvage) n’a pas démarrée par un film mythique suivi de repompes jusqu’à extinction de la mode. Son film mythique est arrivée en 1969 avec Easy Rider, réalisé par Dennis Hopper et produit par Peter Fonda. Un film dont l’origine remonte aux productions Corman comme Les Anges sauvages et The Trip, deux manifestes de la contre culture pas aussi connus qu’ils le devraient. Avec Easy Rider, le film de bikers devint un genre immédiatement associé à cette même contre culture. Et pourtant, la même année 1969, un autre film motorisé creusa son trou, sans pour autant se référer aux mêmes engagements. L’Échappée Sauvage est un film à très petit budget (100 000 dollars) et réalisé en peu de temps (12 jours), qui obtint un succès non négligeable (13 millions de dollars de recette) allant à l’opposé des idées de Hopper et Fonda. Son réalisateur est Jack Starrett, individu dont la carrière ne fut pas des plus mémorables, et qui pour compenser ici son manque de budget fit appel aux membres de sa famille, telle que Valerie Starrett, sa femme. Pour le rôle principal, il engagea William Smith, bodybuilder universitaire et sportif multisport blessé en Corée dont la pléthorique filmographie se composait alors presqu’uniquement de séries télévisées, et qui allait avoir droit à son heure de gloire au début des années 80, lorsqu’il apparut auprès de Clint Eastwood dans Ça va cogner, chez Coppola dans The Outsiders et chez Milius dans Conan le Barbare et L’Aube Rouge.
Dans L’Échappée Sauvage, Smith incarne Angel, membre d’un gang de motards toute juste sorti de prison grâce à la caution payée par Laurie (Valerie Starrett), sa copine. Place à la liberté et à l’exploration des routes californiennes ? Non ! S’étant fait la malle avec 10 000 dollars appartenant à ses camarades motards, il sera pourchassé sans répit.

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Voici une intrigue simple et qui démarre de façon quasi simpliste, puisque cette introduction est expédiée vite fait bien fait durant le générique de début sous forme de split-screen. Le film en lui-même démarre donc lorsque Angel, sorti de taule, fonce sur sa bécane pour mettre les bouts fissa en compagnie de Laurie, dont le physique avantageux ne laisse pas insensibles les motards à leurs trousses. Voici une entame portée sur l’action routière, dont le réalisateur semble avoir vu et apprécié L’Affaire Thomas Crown de Norman Jewison, puisqu’il use et abuse de split screens pour le moins gratuits, notamment lorsque sur les cinq parties composant le cadre, quatre portent sur une seule et même séquence filmée non pas de façon différente mais disposée selon une symétrie variable (en gros, l’image est retournée dans tous les sens). Starrett est très fier de son début de film, et il se prend d’expérimentations à tout va, incluant également une profusion de plans insérés de façon subliminales dans le récit. Les points d’orgue de cette course-poursuite seront un dérapage devant un train en marche ainsi qu’un vol plané du héros et de sa copine, qui sur leur moto parviennent à atterrir à bord de ce même train. Fortiche ! Jusqu’ici, les moments de répit auront été rares, tout juste peut on signaler un arrêt repas et une vague tentative du héros pour se débarrasser de sa copine, qui sera récupérée cinq secondes plus tard lorsque le gang motorisé débarquera avec de mauvaises intentions.
Mais à partir du moment où le couple de héros sera à bord du train, le film changera radicalement d’orientation. Après s’être débarrassé de clochards belliqueux cherchant à violer Laurie (décidément, la pauvre n’a pas de chance), Angel investira une maison abandonnée à proximité d’un ranch au sein duquel il se fera engager comme mécanicien par Dan Felton (Dan Kemp), lui-même ancien motard dans sa jeunesse et désormais paisible père de famille campagnard. Il faut croire que Jack Starrett avait à ce moment là déjà dépassé son budget, puisque le reste ne sera plus que réflexion sur la vie de famille. D’un Angel attiré par le fric, complétement beauf et volontiers salaud avec celle qu’il aime (notons qu’il avait dans un premier temps proposé aux clochards du train de leur vendre les charmes de Laurie), nous aurons alors affaire à un Angel en phase de rédemption, et ce grâce au contact de Dan, pour qui s’en est définitivement fini des erreurs de jeunesse. Angel, qui au début était même pire que les membres de son gang, canalisera ainsi son énergie dans un travail des plus rigoureux (être prêt à bosser à sept heures et sentir l’odeur nauséabonde des moutons semblent être ses principales difficultés). Sa nouvelle vie n’ira pas sans quelques heurts avec Laurie, dont la personnalité plutôt inégale la conduit tantôt à lui reprocher sa muflerie, tantôt à lui faire part de son manque de motivation pour cette vie de ménagère. Les querelles conjugales seront le coeur du film, avec des disputes aussi passionnantes que celles portant sur le repas du soir, que Madame, occupée à acheter des fringues en ville, n’a pas préparé alors que son homme se tue au travail. “Non mais oh, vingt dollars claqués en fringues, c’est pas normal, et qu’est ce que c’est que cette radio que t’as achetée, et puis puisque c’est ça je me casse !” Particulièrement éprouvante pour le spectateur, qui doit dès lors lutter avec le sommeil, cette longue partie du film nous montre des personnages sujets à des sautes d’humeur qui sont autant de difficulté dans l’assimilation de la vie de gentils citoyens censée amener le bonheur et les longues promenades galopantes sur la plage voisine tandis que le soleil se couche et que la musique devient mielleuse. La moto n’est dès lors plus qu’un moyen de locomotion comme un autre, et tout juste Angel se permettra-t-il de retaper la moto de Dan pour qu’ensemble ils puissent se divertir une soirée.
Et que deviennent donc les motards pendant ce temps là ? Et bien nos caricatures de Hell’s Angels (Harley Davidson, panses à bière, vêtements de cuir, barbes touffues et cheveux longs) font tous les garages de la région pour montrer la photo d’Angel aux autochtones. Starrett ne leur accorde que peu d’importance, et du reste il remplace leurs dialogues par de la musique psychédélique venant quelque peu rompre avec la monotonie du couple néo-campagnard. Les rares instants où nous les verrons les présenteront en train de boire de la bière dans les bars, de provoquer des rixes (parfois entre eux), de déplorer le manque de femmes et de se reposer tels des ogres repus. Car c’est bien un gang de sauvages auquel nous avons affaire, pas de doute : Starrett n’aime pas les motards, auxquels il ne prête aucun idéal romantique. Nous attendons de pied ferme leur rencontre finale avec Angel. Le réalisateur n’ira pas par quatre chemins pour nous dénoncer ces barbares avides de sexe et de tueries : ce n’est pas à un mais à deux viols qu’ils se livreront (et pour y croire davantage, Starrett transforme sa femme en victime). Sur les deux, seule une scène sera explicite et même plutôt réussie (l’actrice en question, Margaret Markov, s’en ira quelques années plus tard au sein de la New World et tournera deux films vaguement “WIP” en compagnie de Pam Grier). Le problème restera que ce moment de bravoure ne sera intervenu que trop tard, et qu’il ne restera alors plus que dix minutes pour expedier un final fatalement décevant.

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Au gré d’un scénario plus prompt à la morale qu’à l’exploitation, nous seront donc passés d’un film de bikers un peu prétentieux à un film mollasson prônant la nécessité du dur labeur et exaltant une vie familiale dans laquelle l’homme se doit de gagner la croûte et de protéger sa femme vulnérable, qui en échange devra obeir à ses désirs. Les motards ne sont qu’une bande de barbares dangereux, prompt à exploiter la naïveté de jeunes gens que la fascination pour le non-conformisme (la fille violée) aura conduit à l’humiliation. Cela ne donne pas trop envie de regarder Les Machines du Diable, autre collaboration routière de Jack Starrett et William Smith, réalisée l’année suivante et dans laquelle des Hell’s Angels sont envoyés par la CIA pour délivrer un homme important des mains des communistes chinois pendant la guerre au Combodge… Grand duel de salopards en perspective, qui a cependant de fortes chances d’être plus marrant que cette piètre Échappée sauvage.

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