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L’Au-delà – Lucio Fulci

audela

E tu vivrai nel terrore – L’aldilà. 1981

Origine : Italie
Genre : Horreur
Réalisation : Lucio Fulci
Avec : Catriona MacColl, David Warbeck, Cinzia Monreale, Maria Pia Marsala…

En 1981, Liza Merril (Catriona McColl) hérite d’un hôtel de Louisiane où en 1929 un certain Schweick, peintre maudit, s’était fait crucifié pour sorcellerie. Malgré les morts accidentelles qui frappent un ouvrier et un plombier, elle refuse d’écouter les dires de la mystérieuse aveugle Emilie (Cinzia Monreale), comme quoi le lieu serait bâti sur l’une des sept portes de l’enfer. Malgré les visions funestes qui vont se déchaîner, elle tentera de faire face avec le soutien d’un médecin, le Dr. John McCabe (David Warbeck).

Difficile de séparer L’Au-delà de Frayeurs, autre classique de Fulci tourné l’année précédente. Connaissant alors le second sommet de sa carrière (le premier étant sa période giallo, dix ans plus tôt), Fulci pouvait compter sur une demande accrue en gore dû à une large part au succès du Zombie de Romero. Si L’Au-delà dispose bien de plusieurs spécimens de zombies (demandés avec insistance par un distributeur allemand), le film ne peut pourtant pas être plus éloigné du pamphlet de Romero. Tout comme le fut Frayeurs avant lui, il s’agit d’une œuvre dominée en entier par un côté lovecraftien que l’on retrouve dans le traitement qui est fait de l’enfer dont les portes sont censées s’ouvrir sur le monde. Athée revendiquée, Fulci refuse les visions habituellement admises du diable et de son royaume. Il pioche ainsi dans les écrits de Lovecraft pour dessiner un monde (baptisé “la mer des ténèbres”) jouxtant le notre de façon physique, la frontière étant bien entendu ces fameuses portes de l’enfer, qui ici ne libèrent pas le paganisme de dieux oubliés mais bien une atmosphère poisseuse et meurtrière dont les zombies ne sont qu’une des composante. L’hôtel de Liza est l’épicentre de ce climat vicié dont l’importance est au moins aussi prononcée que ne le sont les nombreuses morts violentes qui parcourent le récit. Ces dernières, caractérisées par leur aspect outrancier (des geysers de sang en gros plan -dont une énucléation, plaisir récurrent de Fulci- accompagnés par des bruitages digestifs), dépassent ce que le réalisateur avait jusque là montré. Elles ne sont pas uniquement dues aux zombies, puisque l’on observe un cas de liquéfaction à l’acide, une attaque d’araignées carnivores, une autre d’un chien se retournant soudainement contre sa maîtresse aveugle (petit bonjour en passant à Dario Argento)…

La prouesse de Fulci est de réussir à accompagner ces scènes au fort potentiel grand-guignol d’une véritable aura de répulsion. A l’image de son excellente musique composée par Fabio Frizzi, toujours très macabre, L’Au-delà ne contient pas la moindre trace d’humour et garde intact tout le sentiment de mystère a rapprocher de la démonologie lovecraftienne, riche en perspectives funestes (énoncées d’ailleurs clairement dans le livre d’Eibon, voisin du Necronomicon). Les morts ne sont finalement là que pour nous rappeler que l’au-delà ne plaisante pas, et que sa fusion avec notre univers signifie la destruction brutale de ceux qui ont le malheur d’y être plongés. L’absence de la moindre porte de sortie (si l’hôtel est l’épicentre du mal, il n’est pas le seul lieu où il puisse s’exprimer) condamne les personnages à survivre jusqu’à ce qu’ils soient enfin rattrapés par l’au-delà, que ce soit en mourant ou en rejoignant les personnages aveugles marqués à vie par le contact avec ce monde de ténèbres. Sans cette échappatoire qui constitue habituellement la branche à laquelle se raccroche les spectateurs, tout peut arriver. Fulci s’affranchit des contraintes scénaristiques et peut donc laisser libre court à son imagination qu’il nourrit parfois de l’influence d’autres films (ainsi la chambre 36 fait écho à la chambre 237 de Shining), mais surtout de son goût pour le surréalisme.

Il a souvent été reproché au réalisateur de se montrer inconsistant voire incohérent dans le traitement de ses histoires. C’est tout à fait vrai, et L’Au-delà n’échappe pas à la règle. Plusieurs points du scénario restent incompréhensibles, d’autres semblent carrément déplacés (toute la visite rendue par la femme et la fille du plombier à la morgue). Comme c’était le cas pour ses gialli, et notamment pour son meilleur, Le Venin de la peur, Fulci prend sciemment ses libertés avec la linéarité d’une intrigue classique. Voilà une chose qui est acceptée dans le milieu psychédélique et psychanalytique du giallo, mais qui l’est beaucoup moins dans le cadre d’un film gore, genre que bon nombre de personnes se plaisent à considérer comme étant propice aux absurdités (ainsi les habitués d’Hollywood passent-ils leur temps à traquer la moindre petite bête lorsqu’ils tombent par hasard sur un film gore, a fortiori quand il est italien et donc fauché comme les blés). Bien sûr, il est impossible de dire que Fulci n’a pas profité de ses libertés pour faire accepter des choses qui relèvent effectivement du manque de cohérence, mais pour la plus grande partie du film il s’agit bel et bien d’une volonté de donner dans le surréalisme inquiétant capable de priver le public de tous ses repères. C’est ainsi que plus de la moitié du casting est composée de personnages sinistres auxquels il est difficile d’accoler la moindre étiquette (gentilles sentinelles ou vilains adorateurs du mal). Le plombier Joe, les deux domestiques, Emily, la petite fille… Tous contribuent à affirmer l’incertitude et la peur apparues d’entrée de jeu, dès l’ouverture du film située en 1929 (et pour laquelle Fulci utilise une teinte sépia). Pour le coup, celle-ci aura annoncé la couleur : le peintre Schweick est l’auteur d’une toile surréaliste représentant la fameuse “mer des ténèbres”. Tout le film ne sera donc que la lente invasion du monde rationnel par cette toile. Fulci se substitue à Schweick. L’Au-delà est pourvu d’un certain côté autobiographique : tout comme son peintre, Fulci fut lynché par la critique de son époque (moins littéralement bien sûr, tout ceci est symbolique). L’arrivée sur le monde de l’au-delà, et la férocité employée prennent des allures de revanche qui en disent long sur la rancœur qui animait le réalisateur. Le gore n’est donc pas une fin en soit : il reflète un état d’esprit, celui du réalisateur. Le film est la représentation des pensées de Fulci, que l’on sait en outre fasciné par le thème de la mort.

L’Au-delà prouve qu’un film gore italien peut se montrer à la fois choquant, effrayant et personnel. Il est le pendant logique de Frayeurs, film que l’on pourra juger supérieur au strict niveau spectaculaire (l’ampleur des ténèbres y est un peu plus marquée et les effets spéciaux de Giannetto De Rossi y sont meilleurs) mais qui disposait d’un peu moins de substance. C’est une des plus grandes réussites de Fulci, et sûrement son dernier grand film. Après ces deux films, le réalisateur avait presque déjà tout dit et son manque de motivation devint de plus en plus palpable.

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