Junior Bonner, le dernier bagarreur – Sam Peckinpah
Junior Bonner. 1972Origine : États-Unis
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Champion de rodéo sur le déclin, Junior Bonner revient dans sa ville de Prescott, en Arizona, pour y découvrir sa famille éclatée entre un père cow boy désireux de partir en Australie, une mère esseulée devant se préparer à lâcher sa maison, et un frère promoteur immobilier qui est en train de remodeler complètement la face de la ville pour en faire un endroit moderne où l’esprit pionnier du far west n’est plus qu’une source de revenue comme une autre… Reste uniquement pour Junior qu’a constater ce triste état de faits, et à participer au rodéo local, seul vestige du passé.
C’est un Peckinpah résigné que l’on trouve ici. Un Peckinpah qui déplore la marchandisation dont est victime l’ouest américain, conquis par des idéaux modernes aussi peu en adéquation avec la mentalité de son personnage principal que de celle du réalisateur lui-même. Sans sombrer dans la nostalgie pleureuse, dans la tristesse agressive ou dans l’idéalisme forcéné, le grand Sam nous décrit donc cette société en changements, avec un humour léger prenant des formes diverses. Satirique lorsqu’il s’agit de décrire l’arrivée massive de touristes en quête de clichés éculés à propos du far west, revanchard ironique lorsque Junior ramène l’esprit original des pionniers en initiant une bagarre de saloon, ou encore sentimental lorsqu’il concerne le père Bonner, un excentrique en perpetuelle quête d’aventures, le film joue sur plusieurs niveaux, mais reste cohérent dans son ensemble à travers le vague soupçon de mélancolie qui parcours tout le métrage. Avec tout ceci, Peckinpah décrit donc la nouvelle vie de la ville de Prescott, telle que la découvre Junior : une vie moderne confortable mais dénaturant pourtant totalement ce que fut autrefois l’endroit. De la ville du far west ne restent donc plus que les stéréotypes vendeurs, distribués par l’arrivisme commercial représenté par le personnage de Curly Bonner, le frère de Junior, qui n’hésite pas à brader bassement sa culture, à faire de sa mère un objet de promotion, qui considère son père comme un vieux fou, et qui viendra proposer à Junior de s’allier à lui dans son entreprise (mal lui en aura pris). Fini le temps de la vie sauvage, et tout doit être reglé au quart de tour, controlé par de nouveaux impératifs. Le politiquement correct règne et vient même empiéter sur la vie de famille (interdiction de fumer en présence des gosses, interdiction de leur faire boire de l’alcool…). Peckinpah, bien qu’évidemment partial, tente pourtant d’éviter le pamphlet contre le modernisme, et ne fait que constater l’évolution que subit l’ouest américain. Et de plus, il réserve à ses personnages “puristes” une porte de sortie, à savoir les compétitions de rodéos, qui permettent à Junior et à son père de retrouver leurs sources dans un esprit qu’ils vont eux-mêmes bâtir sur les failles de cette compétition commerciale pour touristes avides de sensations. L’esprit sportif de compétition ne règne plus, et ce sont les sensations des compétiteurs qui prédominent (à l’image de Junior qui souhaite ardemment se mesurer au taureau le plus enervé de la manifestation). C’est aussi lors de ces scènes de rodéo que l’on retrouve essentiellement la mise en scène fulgurante de Peckinpah, toujours très sèche et violente, bref à l’image de sa conception du western et par extention de l’ouest américain.
Mais malgré ses notes d’optimisme venant troubler ses constatations amères, malgré son humour subtil, et malgré qu’il ne condamne pas ouvertement la nouvelle orientation de la société, Peckinpah ne renverse pas la donne et la mélancolie finira par l’emporter. Sans pourtant que ses personnages ne se découragent jamais… La porte est toujours ouverte pour eux, mais leur conception de la société est appelée à devenir marginale…
Junior Bonner, s’il n’est pas le meilleur Peckinpah, est en tout cas un excellent film, un western moderne qui se paye en outre le luxe de revenir sur la destinée des vrais cow-boys, c’est à dire les gardiens de vaches et non pas les pistoleros vengeurs ou avides d’argent. McQueen excelle dans un rôle physique, et réussit sans problème à transmettre au spectateur les pensées de son personnage sans lui faire ouvrir la bouche. Un film qui, et ce n’est pas un hasard, fut réalisé la même année que Le Guet-apens, autre chef d’œuvre de Peckinpah avec Steve McQueen, à la thématique sensiblement similaire.