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Dracula – Francis Ford Coppola

dracula

Bram Stoker’s Dracula. 1992

Origine : États-Unis 
Genre : Fantastique 
Réalisation : Francis Ford Coppola 
Avec : Gary Oldman, Winona Ryder, Anthony Hopkins, Keanu Reeves…

Le pauvre Bram Stoker a dû se retourner maintes fois dans sa tombe depuis la première adaptation de son roman Dracula. Avoir créé un mythe n’a pas de que bons aspects, et tout comme Mary Shelley et son Frankenstein, l’œuvre de Stoker a servi, sert et servira encore longtemps d’alibi à toute une tripotée d’adaptations et de variations sur différents supports artistiques dont le cinéma n’est pas des moindres. La qualité du résultat fut parfois au rendez-vous (pour certains films de la Hammer notamment), mais plus souvent encore Dracula donna naissance à des films allant du médiocre au carrément nul. Bons comme mauvais, les innombrables films au sujet du plus célèbre des vampires se rejoignent toutefois dans leur penchant à ne pas respecter à la lettre l’œuvre originale. Lorsque Francis Ford Coppola s’attela à une énième adaptation, le mythe du vampire avait déjà du plomb dans l’aile, enseveli par une décennie 80 portée sur la gaudriole (Vampire… vous avez dit vampire ?). Mais le réalisateur du Parrain n’est pas homme à se laisser abattre par les modes, et c’est carrément sous le titre Bram Stoker’s Dracula qu’il porta à l’écran sa propre version, dont l’objectif était clair : enterrer toutes les précédentes adaptations, ne presque rien retenir de leur apport, et coller au plus près possible au roman original. Terminée l’épouvante expressionniste du Nosferatu de Murnau (et de son remake par Werner Herzog, peut être les meilleurs Dracula de l’histoire), oubliée la froide violence de la Hammer, au placard le gothique à papa de la Universal.

Coppola, soutenu par un budget conséquent, allait vouloir dépasser les canons du film d’horreur, pour livrer sa propre vision, avec une grandiloquence toute Hollywoodienne marquant pourtant le premier point de divergence d’avec l’œuvre originale. Là où Stoker livre un roman résolument victorien dans la tradition romantique, Coppola met les bouchées doubles sur l’emphase romantique, dépassant de loin le style pourtant déjà précieux de Stoker (que je ne tiens pas en plus haute estime). Son Dracula (Gary Oldman) est maniéré, théâtral au point de faire passer Bela Lugosi pour le plus sobre des acteurs, et il cesse même en cours de route d’être une incarnation du mal pour devenir une misérable créature s’étant elle-même attirée la colère de Dieu. La première scène du film nous présente ainsi l’origine du mal chez le compte Vlad Tepes, alias Dracula : ayant combattu et triomphé au nom de Dieu, il ne supporte pas que sa promise Elizabetha, suicidée, ne puisse entrer au ciel (comme le veut la règle chrétienne vis-à-vis des suicidés). Son amour brisé et la lourdeur de la condamnation divine sera à l’origine du reniement de sa foi et de son retranchement du côté des forces des ténèbres. Une histoire totalement originale, dont aucune trace ne figure dans le livre de Stoker. Coppola se fait encore plus romantique que les romantiques, et pousse le vice jusqu’à faire de Mina Harker (Winona Ryder) la réincarnation d’Elizabetha, ce qui ravive de douloureux souvenirs chez le Comte, qui a traversé les siècles avec le souvenir de sa belle. L’amour se retrouve ainsi au coeur des motivations de Dracula, et finalement, davantage créature miséricordieuse qu’apôtre du Mal, le vampire inspire la pitié, et le mal qu’il propage n’est que le syndrome de son trop ardent amour, placé au dessus de Dieu, dont les voies sont encore plus impénétrables qu’un RER pendant la grève des cheminots.

Placer sa promise au-dessus de Dieu et réfuter les lois de celui-ci suggère que Dracula attache moins d’importance à la métaphysique divine qu’aux plaisirs terrestres de l’amour et de la chair. Cette interprétation sera corroborée par les explications scientifiques de Van Helsing, mêlant habilement naturel et surnaturel. Le vampirisme ne serait qu’une maladie sexuelle, donc une maladie de l’amour et de la luxure (mis dans le même panier). Ce n’est certainement pas un hasard si toutes les victimes de Dracula, passées (les trois tentatrices -dont Monica Bellucci-) comme présentes (Lucy, Mina) sont des jeunes femmes langoureuses, attirées par l’amour et la chair. Là aussi, Coppola force le trait en ayant recours à un érotisme marqué à base de nuisettes vaporeuses et transparentes et de morsures éminemment sexuelles. Ces jeunes femmes, plus portées sur les différents aspects de l’amour que sur la chrétienté, sont des victimes naturelles et quasi-volontaires du Comte, et comme lui elles semblent avoir oublié la primauté des lois divines. Le très prude Jonathan (Keanu Reeves) refusera au contraire la tentation, jamais il ne goûtera au sang des trois tentatrices de Dracula et de ce fait, il ne sera jamais “vampirisé”. Coppola ne condamne pas plus Lucy et Mina qu’il ne condamne Dracula : il évoque cependant leur fragilité morale, et leur oubli des règles de Dieu. Comme Dracula, elles sont miséricordieuses et appellent à la pitié des défenseurs de Dieu, c’est à dire la bande conduite par Van Helsing (Anthony Hopkins). Celui-ci, au nom de Dieu, ne fait pas dans la dentelle, et pour le salut des âmes il se montre prêt à trancher des têtes et à arracher des cœurs (comme Vlad Tepes en son temps). Il faut bien dire ce qui est : dans sa quête divine, il manipule ses jeunes camarades, les trois courtisans de Lucy ainsi que Jonathan Harker. Coppola ne s’intéresse pas à eux, préférant mettre l’accent sur son vampire, sur Mina, et sur Van Helsing. Les deux premiers sont exagérément romantiques, torturés et travaillés au niveau de l’âme jusqu’à ce que l’hystérique Van Helsing ne les contraigne à une rédemption forcée à coup de pieu dans le cœur. Dès qu’ils ont accepté les principes de combat de Van Helsing, les quatre autres personnages passent à la trappe, et leurs acteurs (Keanu Reeves en tête) s’effaçant dans une fadeur peu commune. Ils font bien pâle figure vis-à-vis des trois autres, qui au contraire en font des tonnes et des tonnes, au point parfois de tomber dans le ridicule (le vieux Dracula tout blanc, irréel, qui pique une crise en parlant de sa famille, Van Helsing et ses hystériques explications, Mina et ses jérémiades sur son “beau prince”…).

Coppola en arrive à un point où le déroulement même du roman de Stoker est détourné, certaines séquences étant même expédiées afin de laisser davantage de place aux moments clefs du film, ceux que Coppola juge aptes à véhiculer son point de vue. La destinée de Renfield est ainsi largement simplifiée, tout comme la visite de Jonathan au château de Dracula, de laquelle Coppola se désintéresse dès que les personnages restant à Londres font leur apparition. Si la structure même du roman (composé de journaux intimes, d’échanges épistolaires et d’articles de presse) est conservée, ce sera au prix d’une vulgaire voix-off surexplicative. Dracula est un film très déséquilibré, et Coppola ne semble avoir retenu certaines séquences et certains personnages qu’au seul motif qu’ils ou elles figuraient dans le livre de Stoker. Le reste, c’est à dire le développement du propos romantique, n’en est pas pour autant parfait, la faute à cette exagération permanente non seulement dans le jeu des acteurs (Gary Oldman, Anthony Hopkins, Winona Ryder voire Sadie Frost, interprète de Lucy), mais aussi à une production suintant l’argent hollywoodien avec ces décors et ces éclairages classieux au moins aussi grandiloquents que l’objectif du film, ainsi qu’à une musique signée Wojciech Kilar outrageusement gothique et à des mouvements de caméras (ralentis, accelérés, fondus enchaînés, superpositions etc etc) qui eux aussi font œuvre de surenchère lyrique.

Coppola a donc fait de son film un fourre-tout dans lequel les rajouts personnels du réalisateur prennent le pas sur l’oeuvre de Stoker et la surclasse même en terme de romantisme exacerbé. A ce titre, l’objectif de la transposition fidèle du roman n’est pas atteint. Décrire les origines du vampirisme n’est pas une chose condamnable en soit, mais le style de Coppola, très pompier, rend le tout énormément prétentieux. Dracula se trouve ici placé au même niveau que le mythe de Frankenstein, et le vampirisme apparaît comme un défi perdu d’avance lancé à la face de Dieu. Or, là où Frankenstein place l’humain au centre de l’enjeu, le Dracula de Coppola est tout entier lié à un mysticisme plombant fait de rédemption, de dévouement et de malédiction, syndrome du style précieux à l’extrême (et assez réactionnaire) qui continue encore encore aujourd’hui à pourrir le mythe du vampire.

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