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A chacun son dû – Elio Petri

achacunsondu

A ciascuno il suo. 1967

Origine : Italie 
Genre : Policier 
Réalisation : Elio Petri 
Avec : Gian Maria Volontè, Irene Papas, Gabriele Ferzetti, Salvo Randone…

Le pharmacien Manno reçoit régulièrement des lettres de menaces anonymes. Il en fait part à ses amis, mais ne réagit pas auprès des autorités. Parce que la vie continue malgré tout, Manno se rend à une partie de chasse avec son ami Roscio. Les deux hommes se font abattre. Puisque Manno était connu pour ses adultères, l’enquête conclue à un meurtre d’honneur et trois pauvres, le père et les deux frères de la servante de feu le pharmacien, sont arrêtés. L’enseignant Paolo Laurana (Gian Maria Volontè), ami de Manno et de Roscio, ne croit pas cette version des faits. Il se souvient que les missives anonymes étaient composées de mots découpés dans un journal catholique, le genre de presse que ne lisent pas des prolétaires siciliens, d’autant plus qu’ils sont probablement analphabètes. Paolo se lance alors dans sa propre enquête, rejoint très vite par Luisa, la veuve de Luisa Roscio (Irene Papas).

Et ainsi commença la vague d’adaptations de Leonardo Sciascia, auteur sicilien communiste (du moins à cette époque, puisqu’il deviendra socialiste dans les années 70) bien connu pour avoir notamment pourfendu le mythe de la mafia. L’instigateur de cette adaptation d’un livre fraichement écrit est un ancien membre du Parti Communiste Italien resté très proche des idées marxistes : Elio Petri, qui démarrait alors sa collaboration avec le scénariste Ugo Pirro et l’acteur Gian Maria Volontè, deux autres marxistes notoires. Ce n’est donc pas vraiment une surprise si A chacun son dû penche nettement à gauche, assimilant l’univers de la mafia à celui de la bourgeoisie et même de l’Eglise catholique, les trois parties étant intimement liées dans la gestion des affaires du “pays”, c’est à dire d’une Sicile encore profondément arriérée. Bien plus que le désir de venger son ami, c’est d’ailleurs l’arrestation des trois prolétaires qui conduit Paolo Laurana à mener sa propre enquête, qui lui réserve bien des surprises. Elio Petri dresse un portrait alarmant de la Sicile de l’époque : la mafia a des ramifications à tous les niveaux de la société, et ce jusqu’en dehors de l’île, puisque le parlement italien lui-même est infiltré. La mafia domine-t-elle la politique, ou bien est-ce la politique qui contrôle la mafia en sous-main ? La question se pose légitimement. Quoi qu’il en soit, le système mafieux auquel Paolo est confronté n’a rien du système basé sur l’honneur que cherche à se donner les organisations du crime. D’ailleurs la piste du crime d’honneur est rapidement écartée par Paolo. La mafia ne dit jamais son nom, et ses membres ne se montrent jamais. Les parrains sont inconnus, les citoyens ne sont pas tous les jours confrontés à elle, mais elle existe bel et bien, prête à sévir contre quiconque se mettrait sur sa route. Les menaces ne prennent pas des allures d’excursions musclées et préventives : ce sont de lâches missives composées de lettres découpées dans des journaux catholiques. L’Eglise marche elle aussi avec la mafia, fermant les yeux sur les manquements à la vertue chrétienne. Son prolongement, la famille (au sens des liens du sang, non de “la famiglia”) se trouve logiquement lui aussi miné par la traîtrise. En assimilant mafia, politique et Eglise, Petri accuse ces trois institutions indéboulonnables d’être à l’origine de l’oppression de classe. Là où le bas peuple demeure contrôlé, maintenu dans l’obscurantisme (l’illettrisme, la vertu…) et la peur (la fameuse loi du silence, appliquée aux civils), il ne risque pas de remettre en cause les pouvoirs établis… surtout quand des avocats corrompus (Gabriele Ferzetti) sont chargés de sa défense. Dans son enquête, aidé par quelques amis sans grand pouvoir (la veuve Roscio, un député communiste), Paolo se trouve isolé et menacé. N’importe qui peut se révéler être de mèche avec la mafia. L’homme se sent donc pris au piège, ayant mis le doigt dans un engrenage très complexe auquel il n’existe aucun échappatoire.

En dépit de l’intelligence de son propos, concentré dans un réalisme cru démythifiant tout autant la Mafia honorable que la Sicile bucolique, Petri se perd dans un travers plus fréquent dans le cinéma français que dans le cinéma italien : le syndrome de la parlotte, doublé d’une progressive tendance au sentimentalisme. Lâche, la mafia ne se montre pas, et la menace pesant sur Paolo s’inscrit davantage dans la fatalité que dans le frisson. A chacun son dû ne peut en aucune manière être considéré comme un thriller, et encore moins comme un polizieschi comme en fera plus tard Fernando Di Leo dans son excellente “trilogie du milieu”. Petri opte pour des plans généralement serrés, mettant l’accent sur les personnages eux-mêmes plus que sur leurs actes, qui sont d’ailleurs inexistants. Toute l’enquête consiste en réalité en bavardages, en visites rendues aux alliés potentiels et en soupçons à prouver. Le lien amoureux unissant peu à peu Paolo et la veuve Roscio tombe dans le classicisme de la relation née dans le rapprochement de deux êtres en danger. Sans être mauvais, les acteurs tombent dans cette solennité rébarbative typique des oeuvres sociales que d’aucun taxerait “d’auteurisantes”. Extrême sobriété de la forme -uniquement remise en question dans un final très ironique- et grosse ambition du fond : voilà qui plut en tout cas au jury du Festival de Cannes 1967, qui attribua au film la palme du meilleur scénario. Objectivement, il s’agit bien d’un bon film. Mais il n’est pas certain que le public populaire visé par les idées marxistes sous-jacentes soit conquis par un tel film. Davantage de vulgarisation n’aurait pas fait de mal, et c’est pourquoi Franco Solinas (El Chuncho, Le Mercenaire, La Bataille d’Alger) reste à mon sens le plus grand scénariste marxiste italien.

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