CinémaDrame

Don’t Come Knocking – Wim Wenders

dontcomeknocking

Don’t come knocking. 2005

Origine : Etats-Unis / France / Allemagne 
Genre : Drame 
Réalisation : Wim Wenders 
Avec : Sam Shepard, Jessica Lange, Gabriel Mann, Eva Marie Saint…

Vedette du western vieillissante habituée à défrayer la chronique mondaine, Howard Spence (Sam Shepard) décide sans prévenir personne de quitter son plateau de tournage et de plaquer sa carrière pour rentrer chez lui, à Salt Lake City, afin de renouer contact avec sa mère qu’il n’a plus vu depuis trente ans. La vie a bien changé depuis cette époque, et Howard n’est pas au bout de ses surprises : sa mère (Eva Marie Saint) lui révèle qu’il est le père d’un enfant conçu avec une serveuse vivant dans un bled du Montana, à l’époque où il démarrait sa carrière d’acteur. Howard va se rendre là-bas pour essayer de réparer les pots cassés avec Doreen, la mère de son enfant (Jessica Lange, qui a l’air parfois complètement stone) et tenter de faire connaissance avec son fils Earl (Gabriel Mann).

Vingt ans après Paris, Texas, Wim Wenders et Sam Shepard se réunissent à nouveau pour ce qui peut apparaître comme une resucée thématique de leur grand succès, palme d’or à Cannes 1984. Dans Don’t come knocking, il est également question d’un homme de l’ouest américain revenant à ses racines pour recoller les morceaux de sa vie. Et cette fois, c’est Sam Shepard qui tient le rôle principal, confiant également le rôle de Doreen à sa propre compagne, Jessica Lange. En lieu et place de l’amnésie qui avait conduit Travis Henderson à oublier ses racines familiales, l’acteur Howard Spence est confronté à sa propre faillite, celle qui l’a volontairement tenu éloigné de sa mère et qui lui a fait manqué la croissance d’un fils qu’il ne savait même pas être né. Au lieu des quatre ans de Paris, Texas, l’errance du héros de Don’t come knocking s’est étirée sur trente ans. C’est avec une forte gueule de bois que Howard sort donc de ce qui apparaît comme une interminable cuite. Qu’est ce qui le pousse à faire ça ? En l’absence totale de connaissance sur sa vie dissolue (tout juste saura-t-on qu’il est devenu célèbre pour ses orgies et qu’il a été mêlé à un trafic de drogues), difficile de le savoir. Lorsque le film démarre, il a déjà chevauché un cheval et en plein désert il s’éloigne au galop du lieu de tournage. La véritable raison n’est donc pas vraiment à chercher dans le film, surtout qu’Howard reste tête basse chaque fois que quelqu’un lui pose la question. Sa fierté est en jeu. C’est finalement au spectateur de dresser sa propre conclusion à travers les non-dits. La plus évidente est encore que Wenders suggère que chaque homme, même le plus sauvage, est destiné un jour à la stabilité. Plus vraiment de la première jeunesse, Howard est rongé par une crise de l’âge, et il se dit que finalement il n’a rien accompli de sa vie. Il restera à la postérité à travers sa carrière d’acteur, mais concrètement, sa vie personnelle n’existe pas. En un sens, Howard n’a pas vécu. La première chose qu’il fait en homme “libre”, c’est d’échanger les luxueux costumes et accessoires utilisés pour son dernier film avec les frusques crasseuses d’un vieux fermier, bien moins reluisantes et donc largement plus à même de satisfaire son envie de rentrer dans le rang. Tout ce qui tourne autour de sa carrière cinématographique, symbole des trente ans perdus, lui sort par les yeux. Professionnels du cinéma depuis longtemps, Wenders et Shepard remettent les choses à leur place et affirment que le cinéma n’est pas une fin en soi. C’est un milieu trompeur où les vedettes sont grisées par la reconnaissance et se coupent petit à petit de leurs racines pour mener une vie risquant d’être livrée pâture au public. Finalement, derrière les apparences intenables de sa vie dissolue, Howard Spence s’est privé de son propre libre-arbitre, appâté à un âge encore influençable par de faux plaisirs qui l’ont condamné à rester dans un même système où il n’est qu’un pantin. L’ouest qu’il a connu, celui du cinéma, est à l’image de sa vie : une vague caricature de la réalité. Les femmes lui sont contractuellement acquises, la reconnaissance est écrite dans le dénouement de ses scénarios, et ce sont ces illusions qui ont envahi la vie d’Howard jusqu’à l’extérieur des studios. Il n’est pas exclu de déceler un certain investissement autobiographique de la part de Wim Wenders, qui depuis presque trente ans passait sa vie entre ses racines européennes et ses coups de coeur américains. Féru de culture US, il ne s’était déjà pas moins montré sceptique sur les méthodes de l’usine à rêves hollywoodienne, consacrant notamment un film au sujet (L’État des choses, 1982).

Lorsqu’il rentre dans le vrai ouest, celui des villes où vivent des personnes évoluant avec les joies et les soucis quotidiens, Howard Spence ne connaît plus vraiment les codes de bonne conduite. Il est dépaysé, ne parvient pas à s’adapter. Au cours d’une soirée où il se sera fait remarquer, il se fera même ramener chez sa mère par un policier. En fin de compte, il est semblable à un adolescent turbulent dont l’éducation n’as pas été achevée. Elle a cessé lorsqu’il a décidé de partir sur les routes pour devenir acteur. Preuve supplémentaire de la stérilité des trente années écoulées. L’existence d’un fils conçu au tout début des ses années d’errements lui fait prendre conscience que non seulement il a raté sa propre vie, mais qu’il a en plus dégradé la vie d’autrui, à savoir celle de Doreen et de Earl (lequel n’est pas au courant de l’identité de son père). Tout comme sa mère, ils ont bien dû faire face à l’abandon, mais ils sont restés dans une solitude absolue. L’une est restée serveuse, l’autre est devenu chanteur dans le même bar où Doreen travaille et où elle a rencontré Howard. Ressorti du cocon maternel, Howard est donc livré à lui-même et ne sait trop comment s’y prendre pour obtenir la réconciliation. Il n’est pas dans son monde. Doreen se montre sarcastique à son égard, et Earl le rejette violemment. Lui-même est encore pourchassé par sa vie ancienne, représentée par Sutter (Tim Roth) l’agent d’assurance de la production du film qu’il a quitté. Un bureaucrate qui le traque, cherchant à lui faire respecter le contrat du film, et plus symboliquement le contrat de soumission qu’il avait passé implicitement en échange de sa vie sans responsabilités. Sa célébrité est un autre inconvénient, le replongeant invariablement dans son passé, et y renvoyant Doreen par la même occasion. Si il espère mener à bien sa rédemption, Howard devra donc apprendre à s’asseoir sur son amour-propre. Il est contraint de ne pas réagir devant les allusions humiliantes de Doreen, et il laisse même Earl s’emporter physiquement contre lui. Profitant de ces scène démystificatrices, Wenders distille un subtil humour permettant d’éviter l’effet guimauve du mélodrame. Don’t come knocking n’est d’ailleurs pas un film triste : c’est le bilan de la vie d’un personnage. Bilan négatif que Howard tente de sauver in extremis, du moins si c’est encore possible. Ne se laissant pas décourager, il sent monter en lui la fibre paternelle en observant la nature caractérielle de son fils, proche de celle qu’il avait à son âge (et comme lui, c’est un artiste, dont le rôle est d’imiter la réalité). Plus que la tristesse ou l’abattement, c’est bien l’incertitude qui domine le film. A défaut de pouvoir réhabiliter sa propre vie aux yeux de ceux dont il cherche à se rapprocher, Howard se retrouve à l’aune d’un défi : empêcher que son fils ne suive ses pas. La lenteur et l’onirisme développés par des images belles et éthérées caractérisent le style de Wenders, au même titre que la musique country assez lourde de T-Bone Burnett. La seule rupture dans cette incertitude tient en un personnage : Sky (Sarah Polley), jeune femme venue en ville pour disséminer les cendres de sa mère. Elle aussi, elle est la fille de Howard, née d’une liaison depuis longtemps oubliée. Délicate, presque angélique (comme l’indique son nom) la jeune femme est en faveur de la réconciliation. Mais elle est écrasée par les sentiments rancuniers de Earl, et elle est délaissée par Howard qui ne voit en elle qu’une agaçante admiratrice sans écouter ce qu’elle a à dire. Elle résume l’incapacité des personnages à s’écouter, et donc à s’expliquer.

Vrai film de penseur (rien de négatif à ça) centré uniquement sur l’étude des personnages, Don’t come knocking est le fruit des réflexions de deux hommes aux préoccupations convergentes, Wim Wenders et Sam Shepard, qui y mettent beaucoup d’eux mêmes en remettant à jour leur propre Paris, Texas. Ils y brassent des thèmes propres à leur sensibilité (la relation avec l’art, avec leurs familles, le questionnement sur la vie qu’ils ont jusqu’ici menée…) tout en faisant part de leurs priorités, modifiées depuis l’époque de la jeunesse. Une démarche retrospective très mature, pouvant très bien servir de pivot dans leurs vies respectives.

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